François Fillon et le programme du Medef

vendredi 9 décembre 2016.
 

S’appuyant sur les échecs du quinquennat de François Hollande, la droite, et tout particulièrement François Fillon, propose aujourd’hui un programme profondément réactionnaire, un retour en arrière par la mise en cause méthodique de l’État social, tant par la baisse des dépenses publiques et le creusement des inégalités de revenus que par l’affaiblissement du droit du travail et le renoncement à la transition écologique.

Les difficultés de la France viennent-elles, comme le prétendent les experts mis en avant par les médias, de trop de socialisme ou d’étatisme ? C’est oublier que tous les pays développés souffrent encore des suites de la crise financière, que cette crise n’était pas due à trop de socialisme, mais à l’avidité et à l’aveuglement des marchés financiers. C’est oublier que le capitalisme financier d’aujourd’hui génère des déséquilibres profonds dont souffrent toutes les économies développée. La victoire du capital sur le travail permise par la mondialisation, la recherche effrénée de compétitivité et la hausse des inégalités de revenus induisent un déficit global de demande dont témoignent les bas taux d’intérêt et d’inflation. La demande doit être soutenue par des bulles financières (qui un jour éclatent) ou des hausses insoutenables de l’endettement privé ou public. La dégradation de la situation de l’emploi permet aux entreprises de faire pression sur les salaires et les conditions de travail des salariés, le travail précaire se développe, la cohésion sociale est mise à mal. Partout, comme en témoignent le vote en faveur du Brexit et la victoire de Trump, les classes populaires sont les victimes de la mondialisation telle qu’elle est impulsée par les firmes multinationales, les institutions financières et les classes dominantes. Enfin, le refus d’intégrer sérieusement les contraintes écologiques entraîne la planète vers la catastrophe écologique. Faut-il que la France se donne l’objectif de se caler sur le modèle libéral-productiviste ? Faut-il sauter dans le train de la libéralisation à tout crin, qui mène à la catastrophe, comme la crise de 2007 l’a montré ?

François Hollande n’a pas été capable d’impulser un nouveau modèle de croissance. Il n’a pas voulu rompre avec une politique européenne, qui reposait sur le diptyque « austérité budgétaire/réformes libérales ». Aussi a-t-il constamment pratiqué une politique budgétaire restrictive qui a certes quelque peu réduit le déficit public, mais en brisant la croissance. Il n’a pas tenté une politique industrielle novatrice reposant sur une impulsion publique forte pour engager la transition écologique, sur la participation des salariés et des citoyens aux décisions des entreprises et sur la réorientation de l’activité des banques hors des marchés financiers vers le crédit aux activités productrices. François Hollande, Manuel Valls, et Emmanuel Macron ont pratiqué une stratégie de complaisance vis-à-vis des revendications du patronat, en oubliant la responsabilité de celui-ci dans la désindustrialisation et la financiarisation de l’économie, en prétendant reconstituer les marges des entreprises par des baisses d’impôts financées par des baisses de dépenses publiques, en acceptant leur discours : « c’est le droit du travail qui est responsable du chômage ». Cela pour un résultat plus que médiocre. Et le patronat en demande toujours plus.

La droite française refuse de reconnaître la responsabilité du libéralisme dans la crise financière, économique et sociale. Elle retourne à un mythe éculé : supprimons les réglementations, faisons baisser les coûts salariaux, augmentons la durée du travail, diminuons la protection sociale et les impôts, et l’économie livrée à elle-même connaîtra une croissance équilibrée, juste et efficace. C’est oublier que se sont l’instabilité, l’inefficacité et l’injustice du libéralisme qui ont rendu nécessaire l’intervention publique. Comme les émigrés de retour de Coblence en 1815, les hommes politiques de droite n’ont rien appris.

Il s’agit donc aujourd’hui pour eux de rivaliser de propositions libérales, en rien novatrices, celles qui traînent depuis toujours au Medef, chez les hauts fonctionnaires de Bercy, au club « Le Siècle » et autres dîners dans les salons parisiens. Il s’agit de prolonger la politique de Hollande-Valls-Macron, en en faisant simplement davantage. C’est François Fillon qui va le plus loin dans la soumission au patronat ; son programme vient directement du Medef et des officines patronales (comme l’Institut de l’Entreprise ou l’Ifrap). Que propose-t-il ?

Accepter toutes les exigences du patronat. Peut-on prétendre favoriser le dialogue social dans les entreprises tout en affaiblissant les syndicats, en augmentant les seuils sociaux (le seuil de 10 passerait à 50 et celui de 50 à 200), en permettant aux chefs d’entreprises d’organiser des référendums sans consulter les syndicats ?

Supprimer la durée légale du travail. La durée du travail serait fixée par accord d’entreprise, la seule contrainte étant les 48 heures maximales de la législation européenne. Cela veut dire la suppression de la majoration des heures supplémentaires, soit une baisse de salaire de 2,5 % pour ceux qui travaillent 39 heures aujourd’hui. Cela veut dire surtout que les entreprises seraient incitées à faire travailler plus longtemps leurs salariés au lieu d’embaucher.

Sécuriser le CDI (pour les entreprises). Les entreprises pourraient prévoir dans le contrat de travail des conditions de licenciement que les salariés pourraient (librement) accepter (sous la menace de ne pas être embauchés). Il suffirait que ces conditions soient suffisamment larges pour que le CDI soit totalement insécurisé pour les travailleurs. Évoquer une simple « réorganisation de la production » suffirait pour permettre un licenciement économique.

Imposer à l’Unedic un retour rapide à l’équilibre financier alors qu’il est légitime qu’elle soit en déficit en situation de fort chômage. Comme le patronat refuse toute hausse de cotisation, cela se ferait sur le dos des chômeurs. La dégressivité des allocations chômage serait rétablie bien que les partenaires sociaux l’aient supprimée, vu son impact nul sur le retour à l’emploi. Est-ce une mesure de justice quand le taux de chômage est élevé, que ce n’est pas le désir de travailler de chômeurs qui fait défaut, mais bien les emplois offerts ?

Porter rapidement l’âge de la retraite à 65 ans, sans tenir compte de la situation de l’emploi (des jeunes et des seniors), ni de la longueur et de la pénibilité de la carrière. Certes, le taux d’activité des seniors a fortement augmenté depuis 2008, malgré la crise, mais le report de l’âge de la retraite s’est traduit aussi par une baisse de l’emploi des jeunes et une hausse du chômage des seniors. Faut-il en faire plus quand les emplois disponibles ne sont pas là ?

Supprimer les comptes de pénibilité. Tant pis pour les travailleurs à conditions de travail pénibles que les entreprises ne voudront pas maintenir en emploi après 60 ans. Ils se débrouilleront pendant quelques années, chômage puis RSA.

Introduire un nouvel étage de retraite par capitalisation, tandis que la retraite publique passerait à un système par points. Le niveau des retraites serait encore moins garanti.

Abroger l’encadrement des loyers. Réécrire la loi SRU (qui impose aux communes de construire des logements sociaux. Faciliter les procédures d’expulsion des locataires. C’est la victoire des propriétaires.

Faire dépendre l’évolution du Smic de la "performance économique de la France"

Inscrire dans la Constitution l’obligation d’équilibrer les comptes sociaux, en oubliant donc que ceux-ci n’ont été, et ne sont, en déficit qu’en raison de la crise.

Poursuivre et amplifier les politiques de réductions des impôts des entreprises financées par baisses des dépenses publiques : nouvelles baisses de cotisations employeurs sur les bas salaires (pour inciter les entreprises à offrir des emplois précaires sans perspective de carrière), nouvelles réductions d’impôts sur les entreprises au total (soit 30 milliards supplémentaires après les 40 milliards de Hollande) en particulier par la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés à 25 %.

Supprimer l’ISF, qui nuirait, paraît-il, à l’investissement, bien qu’il ne frappe pas les biens professionnels, de sorte que les dirigeants d’entreprises y échappent déjà. N’est-il pas juste que ceux qui ont un patrimoine important, qui bénéficient ainsi fortement des dépenses publiques en supportent (un peu) les coûts de fonctionnement ? Faut-il céder au chantage et ne pas faire payer d’impôt à ceux qui peuvent se réfugier à l’étranger ? Quand les inégalités de revenus se creusent au profit d’une étroite minorité, ne faut-il pas au contraire se battre en Europe et dans le monde pour augmenter la taxation sur les plus riches ?

Réduire fortement la taxation des revenus du capital, comme s’il n’était pas légitime que les revenus du capital contribuent comme ceux du travail aux dépenses publiques et sociales.

En sens inverse, plafonner les prestations de solidarité, avec l’argument faux et maintes fois démenti qu’elles sont plus élevées que les revenus du travail. Créer une allocation sociale unique, ASU, comme le propose l’IFRAP, avec une baisse de revenu importante pour les familles, de l’ordre de 20 % pour une famille au RSA. L’ASU engloberait le minimum vieillesse et l’allocation d’adulte handicapé, qui sont aujourd’hui nettement plus élevés que le RSA, dont les montants seraient ainsi remis en cause. La France doit-elle se donner comme objectif de plonger davantage d’enfants dans la pauvreté ? En sens inverse, le plafond du quotient familial serait augmenté (pour un coût de 3 milliards). Bref, prendre aux familles pauvres pour donner aux familles riches.

Au total, pour les ménages, la hausse de 2 points de la TVA, soit 16 milliards, l’impôt le plus injuste, financerait les réductions d’impôt pour les plus riches (suppression de l’ISF, baisse de la taxation des revenus du capital, hausse du plafond du quotient familial, ...).

Baisser de 100 milliards des dépenses publiques (nettement plus que Hollande cette fois, qui n’aura fait qu’une baisse de 30 milliards), avec des baisses fortes mais non explicitées en matière de nombre de fonctionnaires. François Fillon veut-il réduire le nombre de personnels de l’Éducation, de la Justice, la Police, la Défense, de l’Inspection du Travail, de la Culture, des hôpitaux, ceux qui luttent contre la fraude fiscale ? Sachant que la France a besoin de 4 millions d’emplois supplémentaires au moins, faut-il commencer par en supprimer 500 000 ? Et ne faut-il pas se poser la question : les emplois dans la culture, la santé, l’éducation, les crèches, les activités d’éveil, de culturelles, sportives, ne sont-ils pas au moins aussi utiles, si ce n’est plus, que beaucoup d’emplois privés (publicitaires, traders, communicants, vendeurs de complémentaires santé, etc.) ?

Dans la fonction publique, développer les emplois de contractuels au détriment des emplois sous statut.

Cette politique aurait un effet nettement dépressif. L’effet des 100 milliards de baisse des dépenses publiques l’emporterait sur celui des 30 milliards de baisses d’impôts des entreprises pour induire un choc négatif de 3,5% du PIB étalé sur 5 ans. A peu près le même effet dépressif que celui du programme que Hollande annonçait en 2012 et le même aveuglement : prévoir une politique budgétaire restrictive, sans évaluer son impact sur l’activité. A court terme, cependant, si les baisses d’impôt se faisaient rapidement tandis que les baisses de dépenses publiques étaient étalées sur 5 ans, un effet temporaire de relance est possible, mais le déficit public se creuserait et il faudrait que la France affronte les foudres des Institutions européennes. Espérons, au moins, que Français Fillon y résisterait.

François Fillon doit donc compter sur un miracle. La joie des plus riches qui bénéficieront de fortes baisses d’impôts, le soulagement des chefs d’entreprises qui seront seuls maîtres chez eux permettraient de relancer la production malgré l’insécurité ainsi créée pour les salariés, malgré les pertes de pouvoir d’achat pour les classes populaires, et malgré les pertes de possibilités d’emplois pour les jeunes et les chômeurs. Oui, c’est bien un programme de lutte des classes que Fillon propose.


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