Six mois de prison avec sursis ont été requis hier contre le gardien de la paix qui avait frappé un lycéen de Bergson opposé à la loi travail. Au delà de la défense maladroite du policier, le procès a mis en lumière les dysfonctionnements et l’« omerta » au sein des forces de l’ordre.
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Les cris rauques résonnent dans la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris. :« Lève toi ! Lève toi ! ». Dans une vidéo de onze secondes, trois policiers casqués interpellent un lycéen à terre. Celui-ci, sac sur le dos, se relève avant de prendre un violent coup de poing au visage. La mère de l’adolescent, aujourd’hui sur le banc des parties civiles, cache son visage dans ses mains.
« Qui demande au lycéen de se lever ?, demande la présidente du tribunal.
C’est moi », reconnaît le gardien de la paix Sofiane O. qui comparaît pour violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique.
A la barre, loin de la brutalité de ces images, le policier de 26 ans présente bien : costume cravate, ton extrêmement poli. « C’est un malheureux concours de circonstances, se justifie-t-il. J’ai senti ses doigts sur la jugulaire de mon casque, j’ai voulu donner un coup proportionné au plexus, mais il a été poussé vers l’avant. Je ne voulais pas le frapper au visage. » Et d’ajouter : « Je ne me serais jamais permis de commettre des violences, sachant que nous sommes filmés en permanence. »
« Lui avez-vous demandé s’il avait mal ?, poursuit la présidente.
Il était conscient oui, mais il n’a rien dit, il y avait juste quelques gouttes de sang (à l’arrière de son crâne après sa chute, NDLR).
C’était plutôt une flaque », précise la juge, cinglante.
Le lycéen de quinze ans est ressorti de cette manifestation avec un nez fracturé, une légère plaie à l’arrière du crâne, plusieurs ecchymoses et six jours d’incapacité totale de travail (ITT). L’adolescent confie timidement à la cour qu’il n’avait à l’origine aucunement l’intention d’y participer mais qu’il resté devant le lycée “parce que ses copains étaient là“. Comme eux, il a lancé des œufs en direction des policiers. De même qu’un petit sachet de farine, mais nie l’avoir enflammé. Il affirme également n’avoir assisté à aucun jet de bouteilles ou de pierres. D’ailleurs, ce dernier élément ne figurait pas dans le rapport initial de Sofiane. Pourquoi l’a-t-il ajouté par la suite ?, l’interroge la présidente. “Comme je l’ai expliqué à l’IGPN [la police des polices, ndlr], c’est un simple oubli.” La magistrate souligne que pendant l’enquête, le fonctionnaire a “largement modifié” sa version après avoir vu les images. Et celles-ci sont bien loin de confirmer la présence d’une “foule hostile“. En revanche, elles correspondent parfaitement aux déclarations de l’adolescent.
Interrogés par l’IGPN (la police des polices), les collègues de Sofiane O. ont tous nié avoir vu un « acte de violence ». Le gardien de la paix, lui-même, a d’abord nié le coup de poing, avant de « largement modifier » sa « version des faits après avoir vu la vidéo », relève la présidente du tribunal. A l’avocat du jeune qui lui demande ce qui se serait passé si la scène n’avait pas été filmée, le policier a l’honnêteté de répondre : « J’avais l’intention de porter plainte. »
Le 24 mars au matin, en plein mouvement contre la loi travail, plusieurs dizaines d’élèves bloquent le lycée Bergson dans le 19e arrondissement parisien. La brigade de Sofiane O. est dépêchée sur place. Les policiers disent avoir dû gérer une « foule de 300 jeunes hostiles » et essuyé des « jets de pierre, de bouteille, de pavés ». Dans les vidéos visionnées durant l’audience, les lycéens paraissent au contraire calmes, « obéissant aux ordres de dispersion », relève une représentante de la FCPE à l’audience, qui note que « pour beaucoup, c’était la première fois qu’ils avaient une prise de conscience politique ». « Nous étions très peu en effectif pour encadrer de manière correcte la manifestation, explique pourtant Sofiane O. Nous ne sommes pas formés au maintien de l’ordre. On se débrouille... On n’a pas de protection, à part des casques défaillants hors d’usage, un bouclier par équipage... »
« Ce sont des œufs, lui répond la présidente. Certes, ça n’est pas très agréable mais physiquement, est-ce que ça présente un réel danger ? »
Il y avait aussi des jets de cailloux.
Comment se fait-il que vous n’ayez pas précisé dans votre rapport et à l’IGPN que ce jeune homme avait lancé des cailloux ? ».
Sofiane O. assure aussi que les lycéens jetaient vers les forces de l’ordre des « paquets de farine enflammé ». « Le tribunal n’a jamais essayé de mettre le feu à un paquet de farine, comment fait-on ? » ironise, visiblement sceptique, la présidente.
« Dans cette affaire nous avons le schéma classique des violences policières illégitimes, plaide Me Alimi, avocat de l’adolescent. Un systématisme dans le mensonge, la manipulation et l’omerta. Tous les policiers interrogés n’ont rien vu ! Mon client a 15 ans, c’est un enfant, il a droit à la vérité. ».
Le procureur lui-même ne peut faire autrement que de dénoncer une « vidéo choquante » : « par l’illégitimité des faits et le jeune âge de la victime ». Mais précise que « les faits ne se résument pas à onze secondes de violence brute » : « M. O. a probablement paniqué au moment des faits ». Il requiert six mois de prison avec sursis sans inscription au casier judiciaire : autrement dit pas d’exclusion de la police pour le fonctionnaire. Le représentant du ministère public met en avant un « parcours irréprochable et un fonctionnaire conscient de la gravité de son geste ».
La défense demande une requalification des faits en violences involontaires, punis d’une contravention de cinquième classe (1500 euros) au lieu des trois ans de prison et 45 000 euros d’amende risqués pour des violences volontaires. « Faut-il condamner mon client pour une absence de formation ? » interroge Me David Kahn, qui regrette qu’on « l’envoie à la guerre avec un casque et un bouclier ».
Depuis le 24 mars, Sofiane O. n’a subi aucune sanction disciplinaire. Interdit d’exercer sur la voie publique par son contrôle judiciaire, il a simplement été muté... aux caméras de surveillance.
Le jugement a été mis en délibéré au 23 novembre.
Marie Barbier, L’Humanité
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