Comment Podemos a dépassé le PSOE aux élections régionales de Galice et Pays basque

lundi 24 octobre 2016.
 

Les élections régionales de ce 25 septembre, en Galice (2,7 millions d’habitants) et au Pays basque (2,2 millions d’habitants) ont fait de Podemos et ses alliés le projet de gauche de référence sur ces territoires, devançant le parti socialiste en nombre de voix.

Le résultat électoral dans ces régions ’historiques’, dotées d’importantes compétences de gestion et de leurs propres langues (qui font partie des langues officielles en Espagne), confirment deux caractéristiques de la nouvelle dynamique qui s’est instaurée dans la politique espagnole : l’émergence d’une société civile qui ne se sent pas représentée par les deux partis traditionnels (et qui construit ses propres formes de représentation), et la capacité de Podemos à articuler un projet pour le pays incluant toutes les forces et les identités régionales, qui jusque-là étaient dominées par des projets nationalistes de droite. Nous proposons ici une brève analyse de la façon dont Podemos a construit ses appuis dans ces deux régions.

Galice

Le 13 mai 2003, le pétrolier Prestige, transportant 77000 tonnes de fuel, subit un accident lors d’un orage à proximité des côtes galiciennes. Six jours plus tard, 17000 tonnes de sa cargaison se sont répandues dans la mer : la pire marée noire de toute l’histoire espagnole. Devant l’incapacité à gérer la crise des gouvernements régional et espagnol (tous deux dirigés par le parti populaire, de droite), la société civile s’organise : des dizaines de milliers de volontaires, non seulement de Galice mais de toute l’Espagne, forment une ’marée humaine’ en direction des côtes galiciennes pour faire front à ce déversement.

Cet événement, qui à première vue peut paraître purement écologique, marque un avant et un après dans l’histoire espagnole récente. Le nettoyage des côtes galiciennes s’accompagne en effet d’une forte mobilisation contre la gestion gouvernementale de l’accident, sous le slogan « Nunca máis » (Plus jamais en galicien). Ce mouvement – qui s’organise indépendamment des partis et des syndicats – ouvre une brèche entre la classe politique et la société civile. Avec l’apparition de la crise en 2008, cette brèche grandit jusqu’à devenir une crise de la ’représentation’, dont l’expression la plus forte est l’occupation des places espagnoles à partir du 15 mai 2011.

La Galice est l’un des territoires où se manifeste le plus rapidement la possibilité d’impulser une proposition électorale répondant à l’indignation qui se propage dans la rue. En 2012, le taux de chômage dépasse 20 % (il est aujourd’hui de 18 %, mais atteint 44 % pour les moins de 25 ans), annonçant à toute une génération galicienne un futur de précarité. Lors des élections régionales de la même année, une nouvelle coalition de partis de gauche, AGE (alternative galicienne de gauche), menée par le charismatique Xosé Manuel Beiras, crée l’événement en remportant 14% des voix et fait une entrée remarquée au parlement de Galice. Beiras – l’un des pères en politique de Pablo Iglesias, leader de Podemos – s’engage dans la campagne de façon novatrice, intégrant le discours indigné émanant de la rue, et transcendant les étiquettes politiques classiques.

Ce projet s’avère en outre capable de rassembler de nouvelles personnes, notamment des jeunes formés à l’activisme durant leurs années d’étudiants et qui sont profondément marqués par « Nunca máis ». Ainsi, lorsque Podemos est créé, en janvier 2014, en Galice se trouve déjà une structure œuvrant pour un projet similaire. Mettant à profit leur expérience au sein d’AGE, ces jeunes promeuvent une série de candidatures ’citoyennes’ pour les élections municipales de mai 2015. Leurs listes, réunissant non seulement des membres d’AGE mais de nombreuses figures des mouvements sociaux, de Podemos et d’Izquierda Unida, remportent la victoire dans des villes comme La Corogne (243 000 habitants, autant que Bordeaux), Saint-Jacques-de-Compostelle (96 000 habitants) ou Ferrol (69 000 habitants).

C’est le point de départ de En Marea, le parti auquel s’intègre Podemos pour les élections régionales du 25 septembre 2016. Suite aux résultats d’une primaire ouverte, Podemos y contribue avec un tiers des candidats ; un autre tiers de la liste provient d’AGE ; le tiers restant de citoyens indépendants. En Marea développe le discours initié par AGE en 2012 et promouvant le sauvetage social, la transparence et la participation citoyenne, à l’opposé du projet centralisateur et pro-austérité du PP. Avec les élections du 25 septembre, il s’est imposé comme l’une des forces de référence pour la gauche dans cette région, surpassant le parti socialiste.

En 2012, le PSOE avait obtenu 21% des suffrages et l’AGE 14%. Quatre ans plus tard, En Marea (héritier d’AGE et lié à Podemos) progresse à 19% alors que le PSOE régresse à 18%.

Pays basque

La situation au Pays Basque est passablement différente. Depuis la mort de Franco en 1975, cette région a été gouvernée par le parti nationaliste basque, PNV (parti de la bourgeoisie catholique basque), à l’exception de trois années de gouvernement socialiste entre 2009 et 2012. Avec le PNV et grâce aux compétences d’auto-gestion dont profite cette région, la Pays basque a développé l’un des systèmes d’« état social » le plus développé de toute l’Espagne, en bonne partie grâce à l’existence d’un mouvement ouvrier fort, et c’est aussi la région qui a le mieux résisté à la crise. Là, la dichotomie électorale a traditionnellement opposé d’une part « le territoire et l’identité basques », représentés par le PNV et par Bildu (gauche indépendantiste basque, liée dans le passé au groupe ETA), et d’autre part le projet « consitutionnaliste espagnol » représenté par le PSOE et le PP.

Dans ce paysage, Podemos a su lire l’importance des questions sociales aux yeux de l’électorat basque, ainsi que la nécessité de respecter l’identité de ce territoire. Iván Redondo, propriétaire de l’entreprise de communication politique Redondo et associés, basée à San Sebastián, résume ainsi pour le journal La Marea :

« Podemos a surgi dans le débat avec une nouveauté qui a asséché toutes les autres forces et qui consiste à utiliser les mêmes armes dialectiques que le nationalisme basque, c’est-à-dire à défendre le territoire et l’identité. Jusqu’à présent, cette revendication était la marque du PNV et de Bildu face au parti socialiste et au PP. Tout à coup c’est un parti d’envergure espagnole qui en fait son étendard, avec un succès énorme parmi les nouvelles générations d’électeurs, qui sont en faveur de la plurinationalité de l’Etat. Voilà ce qui a ruiné le statu quo basque de manière irréversible. Pas de doute. »

Pour Podemos, la défense du droit à décider en se limite pas aux questions territoriales, mais fait partie d’un projet plus vaste de récupération d’une souveraineté populaire qui, grâce à la participation citoyenne au sein des institutions et aux mouvements sociaux, pèse sur tous les aspects de la vie collective, depuis les questions sociales élémentaires (éducation, santé, logement, soin) jusqu’aux problèmes économiques (revenu de base, réforme fiscale, travail). Tel est le positionnement de Podemos aussi bien au niveau étatique espagnol qu’à l’échelle des régions aux identités fortes, comme la Catalogne. Et bien que Podemos défende le droit à l’autodétermination dans ces régions, il se prononce pour le « non » à l’indépendance.

Comme le rappelle Iván Redondo, Podemos a été capable de séduire principalement de jeunes électeurs, couvrant un large spectre politique, du PNV au PSOE en passant par Bildu. Ce dernier incarne la gauche radicale dans la région depuis la fin de la violence terroriste de l’ETA en 2011. Cependant, il n’a pas su rénover ses symboles, avec de fortes références à des leaders historiques liés au passé violent de l’organisation (entre 1968 et 2010 l’ETA a causé la mort de 829 personnes, dont 343 civils). La jeunesse basque est la frange de la population qui a le plus souffert de la crise (37 % de chômage chez les moins de 25 ans) et trouve en Podemos un discours proche du mouvement des indignés de 2011, auquel elle s’identifie beaucoup plus qu’à la gauche nationaliste représentée par Bildu.

Malgré la présence d’une extrême gauche nationaliste basque très forte (25% pour Bildu en 2012) et d’un PSOE historiquement bien implanté (19% en 2012), Podemos a réussi, sous son étiquette, une percée spectaculaire en 2016 atteignant 15% pour sa première apparition au Pays basque alors que le PSOE tombe à 12%.

L’une des clés de la forte avancée de Podemos aux élections législatives de décembre 2015 a été sa capacité à analyser avec acuité la situation économique et sociale d’une Espagne traversée par une forte crise économique, mais aussi par une crise de la représentation politique. Cette lecture lui a permis d’adapter sa stratégie et ses propositions aux différentes réalités régionales de l’état espagnol, et d’articuler toutes ces réalités en un projet de transformation sociale pour l’ensemble du pays. L’une des tactiques les plus efficaces du parti violet a été de soutenir, en leur laissant l’initiative, les mouvements et plateformes électorales pré-existants, dans les régions où ils étaient déjà bien implantés : c’est le cas en Galice, mais aussi en Catalogne et en Valence. Et au Pays Basque, le territoire doté de la plus forte identité régionale, Podemos a su se faire, vigoureusement, une place sur l’échiquier politique.

Par Alberto Amo Garcia


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