De Sarkozy à Hollande, les indulgences françaises envers le paradis fiscal panaméen

samedi 17 septembre 2016.
 

En matière de délinquance financière et d’hypocrisie fiscale, les rapports des dirigeants français – présidents en tête – avec le petit État d’Amérique centrale sont jalonnés d’indulgences coupables.

Puisque le Panama revient sur le devant de l’actualité avec le scandale des « Panama Papers », rappelons que les politiciens et grandes instances internationales nous mentent régulièrement lorsqu’ils mettent en avant le combat contre ce fléau. En France par exemple, Nicolas Sarkozy se moquait de nous quand, fanfaronnant, il déclamait le 23 septembre 2009 sur TF1 et France 2, « Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est terminé ». Faut-il lui rappeler que l’évasion fiscale coûte de 60 à 80 milliards d’euros par an au budget de la France ; que la principale banque française, la BNP Paribas, détient pas moins de 170 filiales dans les paradis fiscaux (dont 29 filiales au Luxembourg, 10 à Hong-Kong, 7 en Suisse, 7 à Singapour et 7 aux Îles Caïmans) et que toutes les entreprises du CAC 40 fraudent allègrement le fisc en échappant à l’imposition via leurs filiales implantées dans ces territoires à faible fiscalité ?

Paradoxalement, après la décision prise par le G20 de Londres de sanctionner les États non coopératifs en matière fiscale, cette même année 2009, au mois de mai, le Panama sort de la liste noire établie par l’OCDE. Cette liste noire devient vierge dès 2009 : « Il n’y a plus actuellement aucune juridiction dans la liste des paradis fiscaux non coopératifs du Comité des affaires fiscales de l’OCDE » peut-on lire sur le site de l’OCDE. Le Panama figure simplement sur une liste grise |1| des États dont les engagements restent à être traduits dans les faits.

Sarkozy fait sortir Panama de la liste des paradis fiscaux

Mais, comme si cela ne suffisait pas pour le bon déroulement des affaires, Sarkozy a obtenu la sortie du Panama de cette liste grise. Tout d’abord en signant le 30 juin 2011, une convention fiscale entre la France et le Panama « en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu ». Actant cette décision, le pays est naturellement sorti de la liste noire française des paradis fiscaux |2| qui est mise à jour tous les ans au 1er janvier (Notons au passage, qu’en janvier 2014, Jersey et les Bermudes sortent de cette même liste noire, après avoir été inscrits pendant seulement six mois !). Pour le Panama, c’était la 12e convention obtenue avec un pays de l’OCDE, quota et condition nécessaire pour sortir de la liste grise établie par l’OCDE, sortie effective le 6 juillet 2011 |3| |4|.

Pour la sénatrice UDI, Nathalie Goulet, qui avait été vice-présidente d’une commission d’enquête du Sénat sur le rôle des banques dans l’évasion fiscale, c’est très clair : « C’est Nicolas Sarkozy qui a fait enlever le Panama de la liste des paradis fiscaux ». Le 4 avril 2012, malgré l’opposition du Sénat, son ministre de l’Économie et des Finances François Baroin, et sa ministre du Budget, Valérie Pécresse, ratifient l’accord fiscal avec le Panama.

La décision de Sarkozy, qui a donc eu des répercussions importantes, aura sans doute été influencée par sa rencontre avec celui qui était son homologue panaméen, Ricardo Martinelli, de passage à Paris – où il a par ailleurs été reçu au siège du MEDEF – le 17 novembre 2011. Cette rencontre a permis d’aborder la question de la présence d’entreprises françaises dans d’importants appels d’offres pour de juteux contrats au Panama. « En réalité, cet accord a été acheté pour Bouygues et pour Alstom », s’indignait alors le député communiste Jean-Pierre Brard en plein hémicycle. Certes, GDF-Suez, Alcatel, Degrémont ou encore Alstom pour le métro de Panama city et la Compagnie du Rhône, pour l’élargissement du canal, étaient alléchées par d’éventuels contrats. À la même période, l’ex-dictateur panaméen et ancien informateur de la CIA, Manuel Noriega, condamné pour blanchiment d’argent, est extradé de France, où il était détenu, vers le Panama. « Coïncidence troublante », relèvera l’élu Jean-Pierre Dufau (PS) |5|.

Hollande décore l’ex-président du Panama de la Légion d’honneur

Tout comme Noriega, qui reçut la Légion d’honneur des mains de François Mitterrand en 1987, le multimillionnaire et ancien président du Panama de 2009 à 2014, Ricardo Martinelli, a été décoré le 14 juillet 2013 par François Hollande qui l’a élevé au rang de Grand-Croix de la Légion d’honneur |6|. Actuellement visé par une douzaine d’enquêtes pour détournement de fonds, crimes financiers, distribution de pots-de-vin et poursuivi pour avoir fait surveiller illégalement plus de 150 opposants en utilisant des fonds publics, Martinelli, en cavale, est visé par un mandat d’arrêt.

Ironie de l’histoire, le Panama parviendra à sortir de la liste grise du Groupe d’action financière internationale (GAFI), institution qui dit lutter contre le blanchiment, le 18 février 2016, 2 mois avant que n’éclate l’affaire dite des Panama papers. Sur le site de l’ambassade du Panama en France, on peut voir le GAFI féliciter le Panama et le ministre panaméen de l’Économie et des Finances, Dulcidio De La Guardia, déclarer : « C’est un triomphe de tous les panaméens d’un pays qui a travaillé ensemble, secteur public et privé, et réussit les consensus nécessaires pour sauvegarder les meilleurs intérêts de notre Nation. Cela a permis l’adoption et l’application d’une nouvelle réglementation qui positionne le Panama à l’avant-garde en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux » |7|.

Il faudra attendre le 8 avril 2016, sous la pression du scandale des « Panama Papers », pour que le ministre des Finances, Michel Sapin, et le secrétaire d’État au Budget, Christian Eckert, annoncent avoir réintégré par décret le Panama dans la liste française des États et territoires non coopératifs (ETNC) en matière fiscale |8|. La multiplicité de ces listes est totalement incohérente et celles-ci, parfois attachées au folklore lointain, oublient trop souvent certains paradis fiscaux du Nord comme le Delaware aux États-Unis, la City de Londres, la Suisse, le Luxembourg ou la Belgique par exemple. Qu’on ne se méprenne pas, Nicolas Sarkozy, tout comme François Hollande, sont bien les amis de la – grande – finance.

Jérôme DUVAL


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