19 juin 1956 : Zabana et Ferradj sont les premiers guillotinés de la guerre d’Algérie

vendredi 26 août 2016.
 

Il y a soixante ans, deux militants nationalistes algériens, Hamida Zabana et Abdelkader Ferradj, étaient guillotinés. Le président du Conseil était Guy Mollet, le ministre de la Justice, François Mitterrand. Ces deux exécutions furent les premières d’une longue série.

Comme chacun sait, la guerre d’Algérie n’a pas eu lieu, pour paraphraser une pièce célèbre, l’Algérie constituant des départements français, il ne pouvait y avoir de déclaration de guerre entre la France et… une partie d’elle-même  ! De ce fait, les gouvernements successifs ont tout fait pour minimiser les « événements » qui s’y déroulaient, depuis les attentats de la Toussaint en 1954, en utilisant des euphémismes  : opérations de maintien de l’ordre, pacification…

De même, il ne pouvait être question de combattre une armée de libération. Ainsi, les combattants algériens n’ont jamais été considérés comme tels, mais comme des « rebelles » ou des « hors-la-loi » faisant partie de « bandes armées » sous le régime de droit commun. De ce fait, les condamnés à mort n’étaient pas passés par les armes devant un peloton d’exécution, mais guillotinés.

Pourtant, le cadre législatif s’est progressivement rapproché de l’état de guerre, d’abord avec la loi d’avril 1955 créant l’état d’urgence, puis un nouveau pas est franchi en 1956  : Guy Mollet, leader socialiste nouvellement nommé à la présidence du Conseil, malmené par la manifestation pied-noire du 6 février 1956 à Alger, bascule alors dans la répression (1). Le 15 février, le Conseil des ministres se prononce en faveur des exécutions capitales. Seuls Pierre Mendès France, Gaston Defferre et Alain Savary s’y opposent. En revanche, François Mitterrand, alors ministre de la Justice, y est favorable (2). Le 12 mars 1956, les « pouvoirs spéciaux » sont votés  ; ils autorisent le gouvernement à mettre en œuvre tous les moyens pour rétablir l’ordre en Algérie (3). Dès les jours suivants, toute une série de lois et de décrets sont adoptés, notamment pour condamner à mort les déserteurs rejoignant une « bande armée ».

Ces exécutions plongent l’Algérie dans une spirale de la violence

Or, Abdelkader Ferradj est justement un goumier déserteur. Il a participé à une attaque ayant tué six personnes, près de Palestro, et la presse souligne qu’il a déserté de cette localité. Or, le nom de Palestro prend une tout autre résonance à partir du 18 mai 1956  : 20 rappelés au service militaire sont tués près du village de Djerrah, dans les gorges de Palestro. Le nom attaché aux événements enflamme l’actualité, choque l’opinion publique française, jusqu’à rester gravé dans les mémoires (4). Condamner à mort et exécuter Abdelkader Ferradj, c’était répondre aux morts de Palestro en tuant quelqu’un qui n’en était pas responsable mais qui était difficilement défendable.

Hamida Zabana était un militant beaucoup plus chevronné. Ouvrier dans une cimenterie à Oran, il était syndicaliste de la CGT et un animateur du parti indépendantiste de Messali Hadj, le PPA-MTLD (Parti du peuple algérien-Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques). Membre de l’Organisation spéciale (OS), bras armé clandestin du PPA-MTLD, il a déjà été arrêté et torturé en 1950, et condamné à trois ans de prison. Le 1er novembre 1954, il a participé à l’insurrection près d’Oran, avant d’être arrêté huit jours plus tard, lors d’un accrochage près de Saint-Denis-du-Sig, au cours duquel il est sérieusement blessé. Accusé d’avoir participé à l’attaque d’une maison forestière et d’avoir tué le garde, il est condamné à mort le 3 mai 1956.

Le Conseil supérieur de la magistrature, auquel participent le président de la République René Coty et le garde des Sceaux François Mitterrand, rejette les demandes de grâce. Le 19 juin 1956, à 4 heures du matin, dans la prison Barberousse à Alger, Hamida Zabana puis Abdelkader Ferradj sont guillotinés.

Ces exécutions plongent l’Algérie dans une spirale de la violence. Le FLN avait déjà prévenu qu’il tuerait cent Européens pour chaque exécution. Les attentats individuels se multiplient, en effet  : en dix jours, 43 Européens sont tués ou blessés. Les « ultras » de l’Algérie française décident de passer à la vitesse supérieure  : au mois d’août, ils déposent une bombe dans la casbah d’Alger, rue de Thèbes, qui tue 70 Algériens. L’escalade du terrorisme urbain est dès lors lancée  ; elle conduira à la triste « bataille d’Alger » de 1957 et à son corollaire, la ruine des valeurs morales.

Tramor Quemeneur, L’Humanité

Une guillotine très active

222 Algériens ont été officiellement exécutés pendant la guerre d’Algérie. 142 l’ont été sous la IVe République  : 45 pendant que François Mitterrand était garde des Sceaux (ce sont les premières), soit une exécution tous les 10 jours en moyenne. La plus forte fréquence revient au gouvernement Bourgès-Maunoury, qui a commis 29 exécutions en trois mois (soit une tous les trois jours). 80 exécutions ont eu lieu sous de Gaulle (soit une tous les 20 jours), bien qu’il ait amnistié 209 condamnés à mort en janvier 1959, commuant leur condamnation en peine de prison à vie. Avant cette date, la guillotine a continué de fonctionner  ; après, les militaires ont changé de mode opératoire  : ils ont eu recours aux pelotons d’exécution.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message