La Justice face à la question sociale en banlieue

samedi 7 avril 2007.
 

Elever un diagnostic des banlieues relève désormais de l’exercice de style avec énumération sans fin de tous les signes de désœuvrement. Et pour cause, près de 40% d’actifs pointe à l’ANPE dans certaines zones urbaines sensibles (ZUS) avec parfois trois générations subissant les ravages du chômage massif et, finalement, un seul terme pour résumer tout cela : la misère. « La galère », vous diront les jeunes de Sarcelles, Grigny, Clichy-sous-Bois. Malgré tout, les interprétations et les réponses préconisées à un tel marasme social divergent cruellement.

En témoigne le traitement politique des révoltes d’octobre-novembre 2005 lesquelles eurent pour seul effet de classer définitivement les banlieues comme des zones de non-droit à récupérer absolument. Et pourtant le casus belli fut lancé d’abord par les forces de l’ordre dont l’action fut ensuite avalisée par le Décret d’état d’urgence, traitant par là-même les habitants des quartiers comme de véritables ennemis de l’intérieur.

Quoi de plus normal alors que les jeunes se soient révoltés avec une telle fureur ? Cette belligérance populaire manifestait la volonté de démontrer, à soi et aux autres, et aux termes de milles humiliations quotidiennes, que l’on se respecte et que la mort d’un des leurs est tout simplement inacceptable. Les banlieues, en effet, sont des quartiers populaires malades dont les victimes ne sont pas seulement celles que le gouvernement désigne comme telles. Il n’y a pas d’un côté les « délinquants » ou « la racaille » et de l’autre les « bonnes victimes ». Tous les habitants de ces quartiers sont victimes : de l’inattention sociale, plus encore du mépris avec lequel on nie leurs droits, leurs valeurs, leur existence même, et dont le droit de cité n’est compris que comme une quasi-assignation à résidence. C’est pourquoi, les révoltes relèvent bien d’une forme de rationalité politique, à laquelle nous ne sommes pas habitués certes, mais dont le mode d’expression enragé manifeste combien il est urgent de baisser le seuil de l’audible en politique pour recevoir les demandes de justice sociale de ceux qui sont exclus de tout : du système éducatif, du travail, des loisirs, des centres-villes et même, si l’on peut dire, du cercle de la respectabilité.

Le système judiciaire lui-même semble avoir été sourd à cette demande de justice sociale : c’est du moins ce que manifeste la plupart des peines infligées aux révoltés. Mais comment faire entendre sa voix quand l’injustice et la vulnérabilité sont le résultat naturel d’une répression policière aveugle et d’une usure psychologique liée à des années de chômage ou de surexploitation dans des formes de travail précaires ? Prononcées en situation d’hystérie sécuritaire et d’abattage judiciaire, les condamnations (600 majeurs et 118 mineurs incarcérés) font preuve d’une étonnante dureté sans qu’on puisse raisonnablement expliquer comment le fait d’être mineur, chômeur, ou simplement habitant d’un quartier dit « sensible » présume d’une culpabilité certaine. De plus, la procédure exceptionnelle a été banalisée comme le montre le recours fréquent aux comparutions immédiates menées parfois dans des conditions douteuses. En effet, la convocation de juges dits de « réserve » pour faire face au surnombre de dossiers ne se justifia que pour rendre des verdicts dans l’urgence parfois jusque très tard dans la nuit et sur la base de témoignages partiaux. Faut-il alors accuser la Justice ? Le Syndicat de la Magistrature est le premier à avoir dénoncé l’instrumentalisation dont les juges étaient l’objet, pris dans des enjeux politiques qu’ils récusent mais dont témoigne le rétablissement tout juste camouflé de la double peine.

Que faire alors face à ce diagnostic amer ? Premièrement et indépendamment des réponses pénales qui pourraient être largement revisitées à travers l’opportunité des poursuites, le recours aux circonstances atténuantes ou à l’excuse, il semblerait que la véritable urgence sociale soit de mettre en place une justice réparatrice laquelle prendrait en compte la vulnérabilité sociale des inculpés et renoncerait ainsi au recours systématique du droit de punir et à l’enfermement qui ne fait qu’aggraver l’humiliation. Est réparatrice la Justice qui met l’accent sur le dialogue et la médiation comme résolution des conflits entre la victime et l’auteur du délit plus que sur la punition. Concrètement, cela veut donc dire d’éviter de recourir systématiquement au pénal pour traiter les litiges. Ainsi à Bobigny, il existe un délégué du procureur depuis 1992 chargé de veiller à ce que soit appliquée le plus possible cette forme de Justice réparatrice en proposant des alternatives à la peine. On ne peut donc que souhaiter que les tribunaux généralisent ce type de recours aux médiateurs des procureurs. Deuxièmement, il est souvent question de l’idée d’un « plan Marshall » des banlieues.

Certes la répartition de richesses, même à travers une forte dotation, n’épuise pas le contenu de la justice sociale, mais il demeure indéniable qu’elle en est une composante essentielle quoique non suffisante. En effet, viser à atteindre l’emploi pour tous ne peut se faire que si on prend acte d’un autre problème crucial : celui de l’inégalité des chances et du racisme. Avoir un nom à consonance arabe reste une tare dans le monde du marché du travail. Faut-il alors améliorer l’intégration ? Au risque de décevoir, les « enfants d’immigrés » sont français et... intégrés et ne demandent qu’à être reconnus comme des citoyens à part entière. La solution se situe-t-elle alors sur le plan de l’Education ? Favoriser la mixité dans les écoles, c’est-à-dire en fait redéfinir la carte scolaire à partir du collège sur la base des « codes postaux » élargis, avec un système de transports et d’internats permettant aux enfants de banlieues d’avoir un accès physique aux centres-villes, est fortement problématique car cette voie aurait tendance à faire de la discrimination positive la solution miracle alors qu’elle est profondément inégalitaire.

En résumé, l’urgence est à la mise en place d’une justice réparatrice comprise dans les deux sens du terme : au niveau judiciaire comme résolution discursive, non nécessairement pénal, des conflits et au niveau de la justice sociale comme accès égal au marché du travail, entendu comme digne et non comme simple emploi de fortune.


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