Union européenne : Panique à bord

mercredi 20 juillet 2016.
 

Je suis revenu de la session de juillet du Parlement européen avec une impression étrange. J’ai vu un bateau ivre, un poste de pilotage désemparé. Bien sûr, toutes les routines bureaucratiques continuent. Les séances du Parlement restent organisées en dépit du bons sens et à des horaires improbables, les votes continuent à la cadence de plusieurs dizaines par minute. Les députés britanniques sont toujours en rangs en face de nous sur les bancs de l’extrême droite, comme si de rien n’était.

La semaine passée, Juncker prétendait que les chefs d’État des autres planètes nous observaient avec anxiété. Cette semaine, le vice-président de la Commission a harangué la foule des parlementaires en défense de ce cher Juncker avec un talent de montreur d’ours. Ivre de joie et de frustrations, les députés de la droite et leurs duplicatas du PS européen se sont levés pour hurler d’enthousiasme et applaudir en cadence. Pauvres diables. Car un instant après venait en débat un rapport sur le Luxleaks détaillant les arnaques du Luxembourg comme paradis fiscal volant toutes les nations européennes sous l’autorité du même Juncker. Personne n’avait pensé à décaler d’une séance la présentation de ce texte. De fait toute l’Europe bruisse de pressions allemandes pour faire partir le sieur Junker. Au point que ceux qui l’ont élu changent de camp. Aussitôt les sociaux-démocrates et les libéraux montent en ligne.

Car de façon très troublante, le gouvernement allemand pousse de toutes ses forces dans une direction explosive. En réponse au Brexit, les amis de madame Merkel veulent davantage de contrôle budgétaire, davantage d’austérité, davantage de violences sociales contre les peuples. Sont sur la sellette les pays du sud, proies désignées des proconsuls libéraux allemands. Evidemment, la France est visée. C’est mécanique. La politique économique de l’Europe actuelle est une politique de puissance au seul bénéfice de l’Allemagne. Les principales victimes de la folie ordo-libérale sont les trois nations qui suivent et concurrencent l’Allemagne dans la hiérarchie des puissances du vieux continent : France, Italie, Espagne.

J’ai résumé ce qu’était ce soi-disant modèle allemand dans mon livre « Le Hareng de Bismarck ». Je vous y renvoie en préparant l’édition de poche de ce travail. N’ai-je prévenu ? Ce que vous acceptez pour un voisin vous sera fait un jour. Ce qui a été expérimenté à Chypre a été appliqué à la Grèce et ce qui est appliqué à la Grèce sera fait à tous. Pour ma part, je suis convaincu que le clan Schäuble et ses équipes poussent à la désintégration de la zone euro actuelle. Leur objectif est de ne laisser en place qu’une zone Mark reconfigurée où seraient englobés tous les pays déjà annexés sur le plan économique à l’est de l’Union européenne. Sinon, il n’y a pas d’explication rationnelle à une obstination austéritaire aussi bornée.

Tout le monde sait et sent que l’Union européenne telle qu’elle est n’est pas viable. Aucun gouvernement ne peut y résister. Le prochain gouvernement espagnol a pour feuille de route une nouvelle contraction budgétaire. Mais où trouvera-t-il une majorité stable pour le faire ? Le gouvernement Portugais se voit imposer une nouvelle cure d’austérité pour avoir réussi à sauver son pays de la récession par une injection d’à peine un point de PIB. Le soutien au gouvernement socialiste de la part des parlementaires de l’autre gauche a une limite, non ? Et ainsi de suite. Le chaos politique va se propager. Personne ne peut résister à l’étranglement mortel du docteur Schäuble. En tous cas aussi longtemps qu’on lui cède.

Pendant ce temps, l’onde de choc du Brexit continue son œuvre. La caste politique de Grande Bretagne est décapitée. Pan par pan les personnages inconsistants et velléitaires s’effacent du tableau. Peu importe jusqu’au point où la turbulence deviendrait incontrôlable. En tout cas, les points de tensions n’ont aucune raison de se relâcher. Ils se nouent sur des plans divers qui pourraient entrer bien vite en résonance. Que la City soit le siège de la finance mondiale et qu’elle y traite 35 % des échanges en dollars du monde place sous un jour particulier tout ce qui la concerne. Car 85 % des tractations et spéculations du monde se font en dollars. La spécificité du système dollar, c’est qu’il s’agit d’une bulle de plusieurs dizaines de millions de milliards sans contrepartie matérielle. Dès lors, la seule crise de l’immobilier liée au départ possible des yuppies et traders qui ont pourri le monde peut être le point de départ d’un effet papillon de première splendeur.

En effet l’immobilier est lui-même une bulle quand le prix du mètre carré s’éloigne à ce point de toute valeur d’usage. S’ajoute le fait que l’Angleterre, ce modèle d’économie de service vanté dans les années 90 et 2000 par tous les très intelligents qui papotent sur les plateaux de télé à chaque occasion, est un pays qui ne produit plus grand-chose lui-même. Ils achètent à l’étranger et sa monnaie, la livre, est chargée d’éponger l’un des déficits commerciaux les plus élevés du monde. L’ajustement monétaire est en vue. Ça va faire mal pour les actifs libellés en livres. « Si vous en avez : vendez ! », voilà les conseils qui vont se donner derrière le rideau !

Cette turbulence va en percuter une autre. C’est la question des frontières. Là encore, tout tient à des effets mécaniques dépassant la volonté des protagonistes. Des enchaînements en quelque sorte. Exemple en Irlande du Nord incluse dans un processus de paix très fragile. Le Brexit rétablit une frontière avec l’Irlande elle-même. Le contraire de l’intégration qui était engagée de façon douce. Ce problème ne se règle pas avec les bavardages habituels de l’Union européenne quand une difficulté ne parvient pas à se diluer dans le marché et la concurrence libre et non faussée. Et, précisément, les nations ne se laissent pas diluer, au grand dam de tous ceux qui n’en comprennent pas les ressorts profonds.


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