L’objectif caché de la loi travail : baisser les salaires

lundi 11 juillet 2016.
 

Une note d’un organisme au service de Matignon proposait dès 2013 de faire sauter le verrou de la branche pour donner la primauté à l’accord d’entreprise. Objectif avoué : faire baisser les salaires. Une inversion reprise dans la loi El Khomri qui s’appliquerait à tous les accords collectifs, salaires compris, dès 2019.

Le projet de loi travail « ne sera pas retiré. La philosophie et les principes de l’article 2 (à savoir ce qui consacre la primauté de l’accord d’entreprise sur la convention de branche en matière d’aménagement du temps de travail – NDLR) seront maintenus », a martelé, hier, dans une interview à Sud Ouest, le président de la République. Depuis une semaine, l’exécutif n’a qu’une seule réponse à la contestation qui s’amplifie  : c’est tout simplement « non ». Alors qu’il suffirait de rayer d’un trait de plume cette inversion de la hiérarchie des normes à laquelle l’ensemble des syndicats s’opposent, à l’exception de la CFDT, pour que le dialogue reprenne. La réponse tient probablement dans cette note datée de 2013 du Conseil d’analyse économique (CAE) que l’Humanité a exhumée. L’organisme, présidé par le premier ministre ou une personnalité qu’il délègue, a pour « mission » d’« éclairer (…) les choix du gouvernement en matière économique ». Intitulée « Dynamique des salaires en temps de crise », la note conseille au gouvernement de faire sauter le verrou des accords de branche professionnelle car il est le frein à la baisse généralisée des salaires, au profit d’accords d’entreprise qui faciliteraient cette compression des rémunérations. Soit exactement l’architecture proposée par l’article 2 de la loi El Khomri. Pour l’instant, la conclusion de tels accords d’entreprise « majoritaires » dérogatoires à la branche serait réservée au temps de travail, aux repos et aux congés, mais la loi prévoit de l’étendre « à compter du 1er septembre 2019 aux autres accords collectifs », salaires compris. état et partenaires sociaux invités à promouvoir des accords dérogatoires au droit

Voilà le secret dévoilé de l’acharnement gouvernemental et patronal à refuser toute réécriture de ce pilier du texte. Dans leur note, les trois économistes qui ont rédigé le document (Philippe Askenazy, Antoine Bozio et Cecilia Garcia-Penalosa) expliquent comment cela peut conduire à baisser l’ensemble des salaires. Ils invitent ainsi « État et partenaires sociaux à inciter à des clauses dérogatoires dans les conventions étendues, pour ce qui touche aux minima de branche ainsi qu’aux autres dispositifs affectant la rémunération horaire effective (…) sous réserve, par exemple, d’un accord collectif d’entreprise ». Car « les accords de branche, qui couvrent près de 90 % des salariés du privé, définissent pour la plupart des minima de salaire dont la revalorisation induit de forts effets d’entraînement » à la hausse des rémunérations, regrettent-ils. Une dynamique qui, selon les auteurs, serait responsable de l’échec de François Hollande.

La note remise au gouvernement explique que, d’une part, une dynamique favorable aux salaires « met en danger l’efficacité du crédit impôt compétitivité emploi (CICE) pour réduire durablement le coût du travail ; d’autre part et surtout, elle rend très difficile une inversion de la courbe du chômage à moyen terme  ». Pour l’économiste Dany Lang, membre du collectif des Économistes atterrés, c’est « le retour au bon vieux conflit de classe, dont Macron est le symbole  ». Cette théorie du salaire ennemi de l’emploi ne convainc que les libéraux, ajoute-t-il, voyant dans la détermination de l’exécutif la confirmation que « les 1 % ont repris les choses en main et sont de nouveau aux manettes  ». Pierre Gattaz et le gouvernement s’arc-boutent sur l’article 2

Dans son entretien au Monde daté d’hier, le patron des patrons fait d’ailleurs du maintien de l’article 2 le casus belli à tout autre négociation. Or, si on en croit les différentes études, rien n’indique que baisse des salaires va de pair avec hausse de l’emploi. Au contraire, dans un rapport publié également en 2013, le Bureau international du travail (BIT) étudie l’effet d’une baisse de 1 % des revenus du travail dans le partage des richesses créées, et il écrit : « Une stratégie fondée sur la réduction des coûts unitaires de main-d’œuvre, peut comporter le risque de déprimer la consommation intérieure plus qu’elle n’accroîtra les exportations et réduire la demande globale », car « la propension à consommer sur la rémunération du travail est plus forte que la propension à consommer sur le revenu du capital, celui-ci étant principalement redistribué par la voie de dividendes versés à des individus aisés qui épargnent une proportion plus élevée de leur revenu total  ».

Ainsi, pour la France, la baisse de salaire aura un effet négatif sur la consommation, qui ne sera pas compensé par le très léger effet positif de l’investissement et des exportations. De telle sorte qu’il « serait mal avisé de présumer que la modération salariale est toujours bénéfique pour l’activité économique », concluent les économistes du BIT. D’ailleurs, explique de son côté l’économiste Anne Eydoux, le CICE et le Pacte de responsabilité, destinés à baisser le « coût » du travail, « n’ont pas rempli les carnets de commandes des entreprises et n’ont pas particulièrement bénéficié aux entreprises exportatrices. On ne peut en attendre des effets significatifs sur l’emploi, du moins à la hauteur des sommes dépensées. Ces mesures ont au mieux permis d’augmenter les marges à court terme des entreprises  ». « Le million d’emplois promis par le Medef, je ne l’ai pas vu. Sans doute ai-je mal regardé les chiffres  », ironise de son côté l’économiste Dany Lang. Les marges ainsi constituées se sont retrouvées dans la poche des actionnaires permettant ainsi à la France, avec 42 milliards d’euros, de rester championne d’Europe des dividendes versés en 2015, après une année 2014 où l’hexagone avait conquis sa pole position avec 35 milliards d’euros de dividendes versés, soit une hausse de plus de 30 %. À l’inverse, le taux d’investissement qui est sorti de la zone rouge depuis le deuxième trimestre 2015, reste toutefois loin de son niveau de croissance annuelle moyen d’avant crise (+ 4,8 % en moyenne entre 2001 et 2007 contre + 0,9 % en 2015 selon l’Insee).

Contre l’effondrement des salaires au profit d’une financiarisation accrue de l’économie facteur de nouvelle crise, le verrou de la branche constitue un garde-fou. Il permet ainsi aux entreprises d’une même branche « de ne pas se faire concurrence sur le coût du travail mais à inciter les entreprises à investir, innover afin d’aller vers plus de qualité, explique Michael Zemmour, économiste à l’université de Lille I. Si ce verrou saute, cela risque d’entraîner les entreprises vers un moins-disant social plutôt que vers l’investissement et l’innovation  ». D’ailleurs, le rebond des exportations allemandes après la crise est essentiellement lié à ces facteurs et doit peu aux « réformes structurelles » du marché du travail qui ont développé des emplois à bas salaires dans les services plutôt que dans les industries exportatrices.

Après le CICE et le pacte de responsabilité, l’exécutif tente d’achever avec la loi travail le troisième acte de cette politique de l’offre commandée par la Medef qui n’a pour unique objet que de faire pencher un peu plus la balance de la valeur ajoutée vers le capital. Depuis le pic de 1982, le travail a perdu 10 points au profit des revenus du capital. Insuffisant pour Pierre Gattaz, qui laisse éclater sa hargne de classe vis-à-vis d’un mouvement qui revendique pour les salariés le droit de vivre dignement de leur travail.

Clotilde Mathieu

L’Humanité


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