10 octobre 1954 Fondation du FLN algérien

dimanche 22 octobre 2023.
 

En Algérie, il y a soixante ans, naissait le Front de libération national (FLN)

En pleine crise du mouvement national, Mohamed Boudiaf et ses cinq compagnons créent le FLN. Un risque qui s’avère payant. La quasi-totalité des militants des différentes forces politiques les ont rejoints et les Algériens ont répondu massivement à l’appel à la lutte armée.

Il y a cette photo des six membres fondateurs du Front de libération nationale (FLN), Mohamed Boudiaf, Ben Boulaïd, Didouche Mourad, Larbi Ben M’Hidi, Krim Belkacem et Rabah Bitat, des hommes rompus à la clandestinité. Tous recherchés par la police coloniale. Tous cadres intermédiaires du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), principal parti algérien, héritier du Parti populaire algérien (PPA, fondé par Messali Hadj). Mais surtout, appartenant à l’OS (Organisation secrète), mouvement paramilitaire mis en place en 1947 par le MTLD pour déclencher l’insurrection armée avant d’être démantelé en 1950 par la police coloniale.

Ce 10 octobre, au 24, rue Bachir-Bedidi, dans le quartier de Raïs-Hamidou sur la côte ouest d’Alger, les six hommes viennent de mettre une touche finale au texte qui donnera naissance au FLN et le signal de la lutte armée. En costume-cravate, ils se rendent à Bab El Oued chez un photographe pour immortaliser ce moment qui va marquer l’histoire contemporaine algérienne. Quatre sont debout, deux sont assis sur des chaises. Le plus âgé, Ben Boulaïd, avait 37 ans et le plus jeune, Didouche Mourad, 27 ans. Ce sera l’unique photo de ce groupe que la guerre va séparer (1). Après avoir fixé la date de l’insurrection, l’un d’eux, Krim Belkacem, se rend courant octobre en Kabylie au village d’Ighil Imoula, siège du Comité de Kabylie, une structure du MTLD. Il y rencontre l’un de ses membres, Ali Zamoun, 21 ans, futur officier de l’Armée de libération nationale (ALN) à qui il remet la Proclamation du 1er novembre, et le charge de la faire tirer en plusieurs milliers d’exemplaires.

Le 31 octobre, il leur fait parvenir une lettre  : «  Début des opérations  : cette nuit, à partir de l’heure du matin. Respecter scrupuleusement les consignes, ne tirer sur aucun civil européen et musulman. Tout dépassement sera sévèrement réprimé. Bonne chance et que Dieu vous aide.  » Le 1er novembre 1954, les premières actions armées prennent de court l’administration coloniale mais aussi tous les partis algériens, dont le MTLD, lequel avait d’ailleurs implosé en juillet 1954 en deux tendances rivales. Autres formations prises de court, le PCA (Parti communiste algérien), l’UDMA de Ferhat Abbas et les religieux du Mouvement des oulémas. Toutes ces formations avaient en commun le fait d’avoir sous-estimé le fait que les massacres du 8 mai 1945 avaient créé une situation irréparable, avec en toile de fond le trucage des élections et une discrimination sociale et raciale érigée en règle, et partant, que l’Algérie était en situation préinsurrectionnelle. Qui plus est, l’Algérie profonde était à l’écoute de ce qui se passait en Tunisie et au Maroc, théâtre d’un début d’insurrection armée et, surtout, en Indochine, qui voit la France contrainte à accepter un cessez-le-feu en juillet 1954.

Dès lors, lorsqu’est créé le Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (Crua) en mars 1954, qui, après avoir échoué à ressouder les rangs du MTLD, donne naissance à un groupe dit des 22 au cours de l’été 1954, lequel a décidé de voler de ses propres ailes en confiant à six de ses membres de créer le FLN, chacun des membres de ce «  groupe des 22  » savait que les Algériens répondraient à l’appel à la lutte armée pour arracher une liberté qu’ils ne pouvaient obtenir par les urnes. Le pari était doublement risqué. En mettant tous les partis algériens devant le fait accompli, il n’était pas sûr que ces derniers soutiennent le FLN. Mais comme toujours, c’est le système colonial, par sa répression massive dans les jours ayant suivi les premiers actes armés (arrestations de milliers de personnes) sur fond d’interdiction des partis algériens, qui va pousser les milliers de militants progressistes et communistes ayant échappé aux arrestations à rejoindre le FLN.

L’ALN, la branche armée du FLN, ne disposait que de quelques centaines d’hommes et d’armes récupérées dans les stocks de l’armée italienne. Nos six hommes, dont trois ne verront pas l’Algérie se libérer, étaient loin de s’imaginer que le FLN qu’ils avaient fondé et conçu comme un front (selon Ben M’Hidi) allait se transformer huit ans après en parti unique et en instrument d’autoritarisme, et ce, après avoir été déchiré entre 1956 et 1962 par de violentes purges internes et des liquidations physiques dont Abane Ramdane, le Jean Moulin algérien, assassiné en 1958, sera la victime symbolique.

Hassan Zerrouky, 10 ocobre 2014, L’Humanité

(1) Mostefa Ben Boulaïd et Didouche Mourad sont tombés au maquis en 1955. Larbi Ben M’Hidi, que le général Bigeard comparait à Hô Chi Minh, a été assassiné par le général Aussaresses en 1957, quelque temps après son arrestation. Devenu opposant au régime de Boumédiène, Krim Belkacem a été assassiné en Allemagne en 1970. Rabah Bitat est mort en avril 2000, huit ans après avoir démissionné de son poste de président du Parlement. Mohamed Boudiaf, président du Haut Comité d’État (HCE), a été assassiné en juin 1992.

Abane Ramdane, le Jean Moulin algérien Membre de l’OS, Abane Ramdane, né en 1920 en Kabylie, se trouvait en prison quand a débuté la guerre d’Algérie. Libéré le 18 janvier 1955, il prend la direction du FLN d’Alger. Son appel du 1er avril 1955 à l’union et à l’engagement du peuple algérien signe l’acte de naissance d’un véritable Front de libération et d’un mouvement national, permettant l’intégration des combattants communistes au sein de l’ALN. Il organise le premier congrès du FLN en 1956 dans la vallée de la Soummam en Kabylie, qui se dote d’organismes dirigeants et d’une plate-forme politique réaffirmant le caractère national de l’insurrection dans le but de réaliser une République algérienne démocratique et sociale, marquant ainsi ses distances avec les thèses panarabistes et islamistes. Victime d’un complot au sein du FLN, Abane est assassiné en 1957 au Maroc.

Repères 10 octobre 1954. Six hommes du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques signent le texte donnant naissance au FLN et marquant le début de la lutte armée. 31 octobre 1954. Krim Belkacem fait reproduire la proclamation du 1er novembre actant le début des opérations. 1er avril 1955. Abane Ramdane lance son appel 
à l’union et à l’engagement 
du peuple algérien. 24 ou 26 décembre 1957. Assassinat d’Abane Ramdane.


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