La politique étrangère de la France nous éloigne-t-elle de la paix  ?

dimanche 8 mai 2016.
 

A) Une honteuse régression et une faute impardonnable par Francis Wurtz, député honoraire PCF au Parlement européen

Le seul fait qu’une telle question mérite d’être posée est en soi un problème. Et malheureusement, la réponse est oui. Au point qu’on en est souvent conduit à se réjouir de ce que les dirigeants de notre propre pays n’aient pas, sur un certain nombre d’enjeux stratégiques internationaux, le pouvoir et l’influence dont ils rêvent  ! Après l’ère Sarkozy, affligeante sous tous rapports, il était pourtant relativement facile de marquer la différence à l’avantage d’une gauche, même très « modérée »  : il n’en fut rien. À peine élu, François Hollande prit une série de décisions de nature à tracer les contours de sa doctrine stratégique. Il se situa, pour ce faire, dans le strict sillage de son prédécesseur. On pense immédiatement à la confirmation du retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’Otan, qui valait, d’emblée, renoncement à toute voix autonome et originale sur la scène mondiale. Il y eut aussi, dès le mois de mai 2012, au sommet de l’Otan à Chicago, l’alignement sur l’obsession américaine du déploiement du « bouclier antimissile », véritable machine à attiser la tension avec Moscou. Ou encore – même si cela ne fut pas une surprise –, la confirmation du credo obscène de l’arme nucléaire comme « un élément qui contribue à la paix », prononcée, c’est un comble, lors du sommet de Rio (juin 2012) convoqué vingt ans après le sommet de la Terre pour « promouvoir la prospérité mondiale et la protection de l’environnement »  !

Et puis, un acte particulièrement significatif des orientations choisies fut le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale publié en 2013. Loin de se distancier des aventures militaires de Nicolas Sarkozy – telle la guerre en Libye aux conséquences incommensurables –, ce document-cadre s’y réfère explicitement comme exemple d’« opérations (qui) pourraient avoir préfiguré un mode d’action appelé à se reproduire dans des situations où les intérêts américains sont moins directement en cause »  ! En référence à l’intervention française au Mali – citée dans ce même passage au même titre que la guerre en Libye  ! – le Livre blanc prévient  : « L’évolution du contexte stratégique pourrait amener notre pays à devoir prendre l’initiative d’opérations, ou à assumer, plus souvent que par le passé, une part substantielle des responsabilités impliquées par la conduite de l’action militaire »  ! La suite nous montrera qu’il ne s’agissait pas de vains mots…

Non content de suivre ou, le cas échéant, de suppléer Washington dans sa stratégie de domination ou de tension, la France de messieurs Hollande et Fabius se montrera même, à l’occasion, plus interventionniste que son suzerain. Ainsi l’ancien ministre des Affaires étrangères a-t-il vécu comme un traumatisme la (sage  !) décision du président Obama de renoncer in extremis, en l’été 2013, au projet fou d’une opération militaire américano-française contre la Syrie. Le chef de la diplomatie française n’hésitera pas à critiquer sévèrement et à plusieurs reprises, en des termes que ne démentiraient pas les néoconservateurs des deux rives de l’Atlantique, ce « désengagement américain (qui) rétroagit sur la crédibilité globale des pays occidentaux » (1). Dans le même esprit, et avec la même efficacité, Laurent Fabius s’emploiera à bloquer autant que possible les négociations de Genève sur le dossier nucléaire iranien – dont le succès final ne devra malheureusement rien à la France – puis celles de Vienne sur la Syrie. Il n’a manifestement rien appris de la leçon de réalisme de Talleyrand, qui veut que « tout ce qui est excessif est insignifiant ».

Enfin, il faut citer comme une honteuse régression et une faute impardonnable le remplacement de la « politique arabe » héritée du gaullisme par les alliances sans scrupule avec les monarchies obscurantistes et bellicistes du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite et le Qatar.

Avec cette terrible compromission, la France se voit infliger une double peine  : celle d’accéder au podium indigne des plus gros marchands d’armes de la planète et celle de voir son ministre des Affaires étrangères parrainer aveuglément les protégés de Riyad jusqu’à considérer que les djihadistes du Front al-Nosra « font du bon boulot sur le terrain »  ! Pour la paix et pour l’honneur de la France, vivement un vrai changement.

(1) Laurent Fabius, lors de son discours à l’occasion du 40e anniversaire du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère des Affaires étrangères (novembre 2013).

B) par Paul Quilès, ancien ministre de la Défense, président d’Initiatives pour le désarmement nucléaire

Comme ses prédécesseurs, François Hollande s’est engagé à suivre une politique étrangère de paix en mettant l’accent sur le développement durable et la sécurité, qui sont deux des principales conditions structurelles de la paix. En septembre 2015, il a ainsi annoncé à la tribune de l’ONU une augmentation de l’aide française au développement de 4 milliards d’euros en 2020. En décembre 2015, le sommet de Paris a posé les bases d’une action solidaire pour combattre le dérèglement climatique, nouvelle et grave menace pour la sécurité internationale. La France a par ailleurs conduit avec succès des actions militaires de stabilisation en Afrique  ; elle joue un rôle important dans l’endiguement du terrorisme au Sahel et contribue à la lutte contre le prétendu « État islamique ». En Europe, François Hollande a su mettre en place un cadre adapté (connu sous le nom de « format Normandie ») pour le règlement de la crise ukrainienne, qui réunit les chefs des exécutifs français, allemand, ukrainien et russe. Ce cadre de négociation a permis la conclusion en février 2015 des accords de Minsk II, qui offrent la seule perspective juste et réaliste de retour à la paix (autonomie des régions d’Ukraine de l’Est, contre un rétablissement plein et entier de la souveraineté ukrainienne).

Si l’on excepte le succès récent de la COP21, la diplomatie française manque de visibilité, son message de paix est peu ou mal entendu. Pour surmonter cette relative marginalisation, il paraît nécessaire d’opter résolument pour une « diplomatie de mouvement ».

D’abord en prenant acte, au-delà même du terrain économique, de la réintégration de l’Iran dans la communauté des nations, dès lors qu’il respecte ses engagements. De même, pourquoi n’envisager aucune évolution dans notre rapport à la Russie, au moment où les blocages dans l’application de Minsk II se font surtout sentir du côté ukrainien  ? Enfin, est-il réaliste de persister à demander le départ immédiat d’Assad au lieu d’envisager son éloignement comme le résultat d’un processus politique inclusif, dans le cadre d’un retour progressif à la stabilité (1) ? Dans cette crise également, une relation plus confiante avec la Russie renforcerait les chances de la paix.

Notre politique étrangère ne peut pas se résumer aux consensus élaborés au sein de la communauté euro-atlantique ou de l’Union européenne.

La France doit savoir faire entendre une voix spécifique au service de la paix. Elle a parfois eu tendance à affirmer sa singularité dans la surenchère, comme on l’a vu à propos du programme nucléaire iranien ou de la riposte aux crimes d’Assad. Elle pourrait le faire de manière plus constructive, par exemple pour la reconnaissance de la Palestine comme État ou pour la construction d’une nouvelle architecture de sécurité européenne.

Enfin, la France doit savoir définitivement s’affranchir des postures du passé. La stratégie de dissuasion ne peut plus être l’alpha et l’oméga de sa sécurité. Après l’échec inquiétant de la dernière conférence d’examen du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), elle devrait adresser au monde un message de désarmement. François Hollande a annoncé vouloir enfin relancer les négociations pour un traité d’interdiction des matières fissiles à usage militaire. Il a présenté un projet de traité à cet effet. Pourquoi ne pas avoir imaginé d’autres actions dans le prolongement de cette démarche, comme un moratoire sur les modernisations d’armes nucléaires  ?

Nous entrons dans une période nouvelle, bien différente de celle de l’immédiat après-guerre froide. Le terrorisme, la multiplication des États en crise, les conduites agressives, les tentations de prolifération, l’insuffisance manifeste des organisations internationales font naître de nouveaux dangers. La politique étrangère doit se renouveler profondément pour y faire face.

(1) Selon les termes du « groupe d’action sur la Syrie », réuni à Genève en juin 2012, sous l’égide de l’ONU.

C) Prendre conscience que la guerre n’est pas une fatalité par le Général Jean Cot, auteur d’ Un monde en paix, une utopie réaliste

326618 Image 2L’idéalisme réfléchi nourrit la pensée et l’action de ceux pour qui l’utopie peut faire avancer le monde. Dans cette perspective, la paix peut ne pas être plus utopique que ne le fut jadis la démocratie, ou que ne l’est l’égalité des sexes. La paix est un combat, comme la vie en est un. Si la paix n’est jamais assurée, elle pourrait être moins souvent menacée. Ainsi la paix doit prendre en compte les confrontations inévitables pour y trouver des solutions pacifiques, dans tous les domaines. Cette maîtrise des antagonismes en est encore à ses balbutiements, spécialement dans les relations internationales. La paix civile est l’objectif prioritaire, généralement atteint dans les États-nations démocratiques. Pourquoi le même résultat serait-il utopique à l’échelle de l’humanité tout entière  ? Sans parler d’un gouvernement mondial, utopie pour longtemps encore, on peut s’interroger sur le retard considérable qui affecte la maîtrise de la violence dans le monde. Mais comment sauver la paix lorsque l’autre vous institue en ennemi  ?

C’est la question posée à la France lors des trois dernières guerres contre l’Allemagne, en 1870, en 1914, en 1939. Comment éviter la capitulation après un « baroud d’honneur » comme en 1870 et en 1940  ? Comment gagner autrement, en 1918, qu’après quatre ans d’une guerre insensée  ? La réponse est assez évidente  : il serait bon que les États et les coalitions analysent en permanence les risques et les menaces auxquels ils peuvent être confrontés et se donnent l’outil de défense qui convient, pour au mieux dissuader l’adversaire potentiel, au moins pour s’opposer à lui avec assez de vigueur afin de le faire renoncer au plus vite à son agression.

Ainsi se pose depuis toujours le problème de la politique de défense, requérant à la fois une vision sûre de l’avenir et un grand courage politique. Depuis plus de vingt ans, tous les pays de l’Union européenne ont succombé, à des degrés divers, à la tentation de « toucher les dividendes de la paix » en rognant sur leurs budgets de défense. Ainsi, l’écart entre les capacités de défense des États-Unis et celles de l’Union européenne ne cesse de croître, ce qui rend assez vains les discours sur l’édification d’une Europe de la défense, inscrite dans les traités. L’Europe reste dépendante des États-Unis.

Par ailleurs, la théorie du choc des civilisations n’explique pas aujourd’hui, loin s’en faut, les conflits contemporains. Je m’en réjouis car il est plus facile, si on le veut vraiment, de neutraliser des « barbares totalitaires » que d’empêcher la rencontre et le fracas de civilisations considérées en quelque sorte comme des plaques tectoniques échappant au contrôle des hommes. En effet, pour Samuel Huntington, si le XIXe siècle fut celui des nations et le XXe siècle celui des idéologies, le XXIe siècle serait celui des civilisations. Cette thèse est réductrice et dangereuse. À l’encontre de cette théorie, les aires de contact entre les cultures sont généralement celles où l’on trouve le plus de tolérance, de respect de l’autre, de richesses humaines. Hélas, l’enrichissement par la différence n’est pas exactement le jardin que se plaisent à cultiver les apprentis sorciers nationalistes. Il est même l’obstacle majeur pour leurs desseins fous. C’est pourquoi leurs entreprises sont si sanglantes.

Si l’on voulait bien prendre conscience que la guerre n’est pas une fatalité mais un mode aberrant de résolution de tensions inévitables, choisi par quelques-uns pour le malheur de tous, alors on analyserait avec plus de circonspection les affirmations péremptoires de haines ancestrales, de communautés inconciliables, de chocs des civilisations, alibis commodes pour ne rien entreprendre de sérieux contre ce que l’on tient trop facilement pour la fatalité de l’histoire humaine.

L’utopie de la paix est ancienne. Elle peut être aujourd’hui réaliste. La paix se gagne, comme la guerre.

Intervention à partir de son dernier ouvrage : Un monde en paix, une utopie réaliste ? Éditions Charles Léopold Mayer, janvier 2016.

Dossier de L’Humanité


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