Le projet El Khomri  : un gage de Hollande à Merkel  ?

mardi 5 avril 2016.
 

Par Francis Wurtz, député honoraire du Parlement européen : "But inavoué de la loi : habiller la mariée pour convaincre Merkel de former ensemble le "noyau dur" européen.

Depuis quelques jours circule dans les « milieux bien informés » une rumeur qui mérite attention. Selon cette hypothèse, l’acharnement de François Hollande et de son gouvernement à tenter d’imposer au pays, contre vents et marée, le démantèlement du Code du travail trouverait notamment son origine dans un « vaste projet présidentiel qui touche à l’avenir de la construction européenne » (1). Le chef de l’État chercherait à convaincre Angela Merkel d’accepter de constituer avec la France – et, le cas échéant, un petit nombre d’États limitrophes – un « noyau dur » économiquement intégré au cœur de l’Union européenne. Bref, de mettre sur pied une sorte de « gouvernement économique » germano-français capable d’entraîner dans son sillage une « Europe » aujourd’hui sérieusement menacée de désintégration. Il faudrait, pour gagner la chancelière à cette idée, lui apporter une preuve tangible que « la France est enfin sérieuse et qu’elle peut se réformer ». Le projet dit El Khomri deviendrait ainsi une sorte de gage de crédibilité libérale de Paris à l’adresse de Berlin.

Cette supputation est, hélas, très plausible. François Hollande a effectivement développé à plusieurs reprises cette idée de « noyau dur », qu’il n’hésite pas à présenter comme l’une des grandes ambitions de son quinquennat  ! Et n’a- t-on pas, par ailleurs, fait grand cas, dans les sphères gouvernementales, des paroles flatteuses récemment prononcées par le chantre de l’orthodoxie allemande, Wolfgang Schäuble, à propos du texte de Mme El Khomri  ? Mieux vaut donc prendre cette hypothèse au sérieux et en clarifier sans attendre la nature et l’enjeu.

Rappelons dans cet esprit d’où vient cette idée de « noyau dur » et ce qu’elle recouvre concrètement. Son inventeur ne siège pas à l’Élysée  ! Il n’est autre que… Schäuble en personne  ! C’est en 1994, peu de temps après l’entrée en vigueur du traité de Maastricht et de ses « critères » austéritaires, qu’il avait, avec un autre ténor de la droite d’outre-Rhin, Karl Lamers, lancé cette idée d’une convergence forte et durable des politiques budgétaires, économiques et sociales de l’Allemagne et de la France. Les autres États de l’UE devaient se contenter d’intégrer l’un des « cercles concentriques » appelés à graviter autour du noyau  ! Les dirigeants français – tant Mitterrand que Chirac – avaient alors accueilli l’idée de cette union franco-allemande par un prudent silence.

Vingt ans plus tard, en 2014, les deux « pères » de ce projet ont réitéré leur vision du « noyau » en question. L’objectif poursuivi est clair  : faire appliquer les « réformes structurelles » et assurer la discipline libérale, y compris en dotant un commissaire européen du pouvoir de rejeter les budgets nationaux qui ne respecteraient pas les règles  ! Et comme un tel schéma institutionnel ultra-centralisateur susciterait naturellement de vives contestations populaires, il faudrait trouver un moyen d’« assurer la légitimité des décisions ». C’est le rôle qui serait dévolu à un « parlement de la zone euro » chargé de valider les choix de l’exécutif du « noyau dur » (2). Un an auparavant, le coinitiateur de ce projet avait, en outre, soutenu l’idée de l’élection du président de la Commission européenne au suffrage universel et estimé que son ami Schäuble « serait un excellent candidat » à ce poste (3)…

C’est de ce montage baroque – et dangereux – que François Hollande s’inspire aujourd’hui. Avec, à l’adresse de Mme Merkel, très sourcilleuse quant au contenu de l’éventuel contrat de mariage, le projet de loi El Khomri comme première dot. Une raison supplémentaire de mettre en échec ce texte scélérat tout comme le « grand dessein présidentiel » qu’il serait censé favoriser.

Francis Wurtz, Humanité Dimanche

(1) « L’ultime coup de poker du quinquennat », Françoise Fressoz, « le Monde » (27 février 2016).

(2) Reuters (1er septembre 2014).

(3) Karl Lamers, interview à « l’Express » (22 juin 2013).


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