La primaire en voie de nébulisation

dimanche 3 avril 2016.
 

Mais où en est la primaire ? Le sujet devient nébuleux. Le PS n’y est pas encore engagé quoiqu’il ait signé l’accord officieux. EELV y est quoique son congrès puisse décider autre chose. Mais surtout, EELV s’y implique quoique ses dirigeants aient déclaré souhaiter la candidature de Hulot. Lequel a rejeté d’avance l’idée d’aller se faire passer au hachoir socialiste dans une primaire avec eux. Ce qui est logique de sa part. Supposons que tout aille au bout pour ceux-là. La primaire serait alors entre PS, PCF, EELV. Evidemment, chaque parti aurait droit à plusieurs candidats, chacun avec son programme. Tel serait le cas du PS. On peut imaginer que ce serait aussi le cas de EELV puisque tel était le cas pour eux la fois précédente. Et peut-être aussi le Parti Communiste, puisque ce sont ses statuts et que tel fut également le cas la dernière fois entre André Chassaigne et moi. Un parti commun de fait se créerait ainsi pour quelques jours jusqu’à la désignation…

Dans ces conditions on ne sait qu’une chose : un candidat de « l’autre gauche » n’y a plus aucune chance de gagner. D’abord du fait des candidatures émiettées. Ensuite car comme l’a si bien confirmé le politologue Sainte-Marie sur le plateau de Caroline Roux : une primaire est avant tout un tamis social qui ne laisse passer que les électeurs politisés des centres villes. Cohn Bendit n’a pas dit autre chose se réjouissant d’avance que ni Pierre Laurent ni moi n’y serions jamais élus !

Les vaincus auront signé une charte rédigé à un niveau de généralité permettant de marier carpes et lapins. Ils se seront engagés à voter pour le vainqueur quand bien même son programme ne correspondrait-il à rien de ce qu’ils croient bons pour le pays. Benoît Hamon a été parfaitement clair sur ce sujet : si Hollande ou bien Macron l’emportait, il serait alors son candidat. Au demeurant, le système oligarchique et ses outils médiatiques mettra en batterie tous ses moyens pour faire le ménage, comme il le fait à chaque investiture ou congrès du PS.

Aux États-Unis, le récit publié sur le blog de Médiascope permet de se représenter l’énergie mise en mouvement par le candidat Bernie Senders. Là-bas il n’y a pas d’autre issue pour la gauche que la primaire puisqu’il n’y a pas de premier tour dans l’élection présidentielle elle-même. Et du coup, on voit bien les efforts du système oligarchique par l’intermédiaire de ses médias pour rendre invisible la campagne Bernie Sanders et décourager ses partisans. Silence, moqueries, fausses nouvelles, appel à renoncer : tout y passe de semaine en semaine qu’il gagne ou qu’il perde.

Je regarde cette campagne de très près. Je la suis au fur et à mesure. Mon instinct politique me dit qu’il le faut cette fois-ci. Par bien des côtés elle évoque la nôtre, celle de 2012. Mais par bien d’autres, elle anticipe aussi celle que nous allons vivre en 2017. Les méthodes de combat, les thèmes, les personnages, sont recopiés de ce côté-ci de l’Atlantique par tous les importants et surtout par les chefs de la bande des trois. Le déport à l’extrême droite décomposée de Trump évoque bien ce qui va s’amplifier ici ! Pendant trop d’année je me suis contenté de mépriser les USA sans tenir assez compte des contradictions de son peuple. Je n’ai pas mesuré la difficulté qu’a été la reconstruction d’une option progressiste dans un pays comme celui-là tout simplement parce que je ne croyais pas que dans ce pays quoique ce soit puisse percer à gauche.

Pourtant, il ne fallait pas le déconnecter de ce que l’on observait dans le reste des Amériques, sur tout le continent, inclus le Canada. D’une manière ou d’une autre la vague venue du sud s’est aussi concrétisée dans l’élection d’Obama et il y en a une part mourante comme une fin de course dans celle de Trudeau. Elle travaille encore les USA dans les mobilisations pour Sanders. Aux USA, nonobstant la déception qu’a été l’ère Obama, le travail de la candidature d’Howard Dean, même écrasé par l’oligarchie, n’a pas été vain. Une précieuse moisson d’innovations a été faite par lui dans l’art de mener des campagnes seul contre tous en s’appuyant sur l’énergie des réseaux sociaux.

Sanders prolonge ce retour du progressisme nord-américain après un interminable épisode d’effondrement intellectuel et politique parrainé par Bill Clinton. Son impact n’est pas resté limité aux États-Unis. Il s’est prolongé en Europe. Dans mon livre En Quête de gauche, j’ai montré le contenu de cette nouvelle doctrine et son rôle destructeur notamment en France par l’intermédiaire de François Hollande, un Clintonien de la première heure ! C’est un mix politique de Blair et de Papandréou, fondateur de la « ligne démocrate » qui a détruit l’internationale socialiste et le courant socialiste progressiste mondial. Matéo Renzi en est la pointe finale en Italie. Dans ce pays, le plus puissant parti communiste d’Europe occidentale s’est progressivement dilué, sous l’autorité de Massimo Dalema. Celui-ci copilotait les sommets des modernisateurs en Europe avec Bill Clinton. Il fit glisser son parti par étape du « parti de la gauche » en fusionnant avec l’ancien parti socialiste italien, vers le « parti démocrate » aujourd’hui dirigé par un ancien démocrate-chrétien, Mattéo Renzi !

Quand il s’engagea, ce phénomène me stupéfia. Il se répandit dans toute l’Europe. En France où le PS domine tout, la même pente fut prise avec le choix du « oui » au référendum de 2005 et, dès 2007, Ségolène Royal porte l’essentiel du programme Clintonien avec talent. Il me fit comprendre l’urgente nécessité de quitter à temps et en ordre le PS pour construire une force indépendante qui ne se laisserait pas dissoudre dans le néolibéralisme. Dans le livre En quête de gauche, en septembre 2007, le journaliste Michel Soudais qui m’interroge note dès sa première question que ma réponse pointe : « l’enjeu est la survie du socialisme historique menacé de disparition ». Ce fut donc la création du Parti de Gauche. Puis ce fut le Front de Gauche dont nous avons convaincu progressivement le PCF qui était alors partisan de la stratégie « des fronts » (au pluriel), système à géométrie variable. La ligne qu’il remit en vigueur dès le lendemain de 2012, vidant le Front de Gauche de toute substance alternative.

En France les primaires n’ont aucune raison d’être puisqu’il existe un premier tour dans l’élection elle-même. Dès lors, les primaires sont un mécanisme politique dont la finalité doit être comprise à temps. Pour moi, le discours selon lequel elle éviterait la disparition de la gauche au deuxième tour est un faux semblant. Tous les candidats socialistes sans exception pensent agir dans le cadre des traités européens. Où sera la gauche ? Tous les candidats socialistes sans exception refusent la planification écologique. Et ainsi de suite. Cette gauche-là est promise à finir comme Tsipras.

Les primaires ne sont donc pas le cadre d’un sursaut contre la dilution dans le néo libéralisme. Elles en sont le moyen et le cadre. Ceux qui entrent dans ce processus ne peuvent ignorer comment il se finira, après des mois de bavardages fumeux et de déchirements ! Mais elles sont là. Ceux qui y participent sont cloués au sol pour de longs mois car toute cette comédie est censée durer jusqu’à mi-décembre. Puis ils seront liés par un système commun de vote pour le vainqueur et une répartition de circonscriptions législatives. Je note que le PCF, après avoir adopté à 85 %, un score très clair, la participation aux primaires de « toute la gauche », affirme à présent vouloir déconnecter les élections législatives de la présidentielle. C’est selon moi une vue de l’esprit dans le cadre de la cinquième République. Je suis certain que mes camarades communistes le savent aussi bien que moi. J’en déduis donc qu’ils ont décidé de faire l’impasse sur la présidentielle. On sait ce que cela veut dire et on voit ce que cela implique.

Pour ma part, je récuse les primaires parce qu’elles récusent la rupture que porte notre programme. J’ai dit dans mon précédent post comment stratégie programme et organisation se combinaient. Avec « La France insoumise », nous entrons dans la voie d’une construction progressiste originale, d’un mouvement et non d’un parti. Il se situe hors du cadre des connivences que le vieux monde s’acharne à reconstituer sans cesse tant sa peur de disparaître est grande, sous quelque étiquette que cette peur se cache.

Dans ce cadre, il ne s’agit pas de « rassembler la gauche », cette chimère monstrueuse qui irait de « Macron à Mélenchon » mais de fédérer le peuple dans l’objectif de rompre avec l’ordre néolibéral que maintiennent les traités européens. Il s’agit de régler deux difficultés : construire une majorité politique sans être entravé par les superstitions du passé et relancer l’activité économique sans retomber dans les moyens du modèle de la politique de l’offre ni dans les méthodes du productivisme. Je comptais m’en expliquer à l’émission « Des paroles et des actes »… Je dois trouver dans l’intervalle le moyen d’expliquer tout ce que je comptais dire à cette occasion. On m’a dit que l’émission était partie remise. Je vous en tiendrai informé.


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