L’Europe et le Smic unique européen. Trop d’écarts entre les Smic pour les unifier ?

jeudi 31 mars 2005.
 

En mettant en ligne cet article, 3 jours après le lancement de notre site, en pleine campagne sur l’avenir de l’Europe, nous marquons notre volonté de ne pas nous limiter à un débat "institutionnel".

Contre l’Europe des marchands !

Oui à l’Europe sociale, démocratique et fraternelle !

Thomas Piketty, dans Libération du 26 avril, tourne en dérision l’idée d’un Smic européen défendu par le Parti socialiste, et prône de préférence une harmonisation fiscale (aussi difficile à réaliser, étant donné les mêmes écarts entre pays, et le fait que le taux moyen de l’impôt sur les bénéfices des sociétés a baissé de 15 points en 20 ans, de 45 à 30 %). Son argument est que les écarts entre Smic sont de 1 à 3... et qu’il faut donc "dompter le dumping fiscal" plutôt que de "violenter le marché du travail".

Soulignons d’abord qu’il existe un salaire minimum dans 9 des 15 pays anciennement membres : Belgique, Espagne, France, Grèce, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, et Royaume-Uni. Ensuite, il existe aussi un Smic dans 9 sur 10 des nouveaux entrants : Estonie, Hongrie, Lituanie, Lettonie, Malte, Pologne, Slovénie, Slovaquie, Tchéquie. Et parmi les pays candidats, la Bulgarie, la Roumanie, et la Turquie ont un Smic.

Il existe donc déjà un Smic dans 18 pays sur 25.

Première mesure, on pourrait étendre ce principe aux 7 autres pays. Ensuite on se fixerait un calendrier pour homogénéiser par le haut, par exemple d’ici à la fin de la décennie - comme le dit la résolution du Ps du 17 avril. Bien sûr, l’écart peut paraître énorme. En 2003, il va de 1290 euros au Luxembourg à 406 au Portugal. Grèce : 473. Espagne 516... Les 6 autres Smic faisaient plus de 1000 euros dont 1124 en GB et 1126 en France. Mais si l’écart est de 1 à 3 entre Lisbonne et Berlin, il existait déjà le même type d’écart entre l’escudo et le mark, cela n’a pas empêché de bâtir la monnaie unique, n’est-ce pas ? Pourquoi ne pas y mettre la même volonté et utiliser des méthodes comparables associant objectif, calendrier, négociation et décision collective progressive et programmée des gouvernements ?

Certes les écarts entre Smic européen sont plus grands avec certains des pays nouveaux arrivants, et le Smic est de 182 euros en Pologne. Il est de 122 euros en Lettonie où il vient de connaître une hausse de 14,3 % et où il est prévu de le faire passer à 212 euros en janvier 2010 (soit 50 % du salaire brut moyen à la fin de cette période). Mais reste encore plus bas en Lituanie. Le Smic en Tchéquie a récemment été augmenté au grand dam du patronat local, il a atteint 6200 couronnes soit 202,60 euros. À Malte, par contre, il est plus élevé qu’au Portugal et en Espagne. Le salaire moyen va de 330 euros à Varsovie à 600 euros à Budapest et 1041 en Slovénie.

Mais ce grand écart, principal argument des adversaires d’un Smic européen, n’apparaît pas si extraordinaire que cela, s’il est examiné en "parité de pouvoir d’achat". Comparons ce qu’on peut acheter avec 182 euros en Pologne, au Portugal, et au Luxembourg : dés qu’on prend cette méthode, l’écart réel entre les Smic est diminué considérablement.

Ensuite, on peut procéder de multiples façons pour arriver à un Smic européen : construire des sous-ensembles régionaux, selon les niveaux de développement entre les différents pays qui composent les 25 Européens d’aujourd’hui et les 7 ou 8 qui doivent entrer prochainement. Puis aligner ces Smic par groupes de niveaux. Selon Eurostat, les femmes sont deux fois plus nombreuses à toucher le Smic en Europe : ce serait l’occasion d’aligner les salaires entre hommes et femmes, thème récurrent en l’Europe, non ? Puis négocier par branches... par qualifications. Selon les grilles des conventions collectives existantes ou à créer.

Sait-on qu’il existe un Smic mondial, dans une branche ?

Le simple fait d’y penser est stimulant. Il existe sous forme d’une recommandation du Bit sur les salaires et la durée du travail des gens de mer et des effectifs des navires, depuis 1996 avec une actualisation régulière du salaire minimum de base des matelots qualifiés. On y applique une formule arithmétique prenant en compte la variation de l’indice des prix à la consommation et l’évolution de la valeur de la monnaie, vis-à-vis du dollar des Etats-unis et dans une quarantaine de pays et zones maritimes, ce qui permet de calculer le nombre de dollars nécessaires dans chaque pays pour acheter ce que le salaire minimum permettait d’acheter à sa création, puis à chaque révision. Une liste représentative de 48 pays est prise en compte pour fixer ce Smic (435 dollars en 2000) et il évolue selon les calculs du Bit (Bureau international du travail) et de la Commission paritaire maritime. Parmi ces 48 pays, on trouve l’Ukraine, la Pologne, la Lettonie, aussi bien que la Grèce, la France, la Croatie, le Royaume-uni ou la Suède ! Ce qui a été possible à 48 pays pour les marins ne le serait-il pas pour les routiers de 25 pays européens ?

L’OIT considère le salaire minimum comme essentiel dans toute stratégie de développement, pour contribuer à atténuer la pauvreté et permettre un niveau de vie décent sans produire d’effets significatifs sur l’emploi. Un élément fondamental de la stratégie du Bit est de développer une stratégie appropriée pour un Smic mondial alors que 16 travailleurs sur 100 gagnent moins d’un euro par jour ! Cela élèverait 534 millions de travailleurs (qui font vivre 1,2 milliard de personnes) au-dessus du seuil de la pauvreté !

Mais sans doute, toute prospective de ce genre, imaginée au niveau mondial, appuyée d’une volonté politique n’est-elle pas assez séduisante pour que nos économistes à pensée unique fassent des efforts et cherchent à argumenter concrètement en sa faveur en Europe ?

Le Parti socialiste, lui, juge que cela relève d’une stratégie pour combattre le dumping social, lutter contre les délocalisations en Europe, harmoniser par le haut les droits sociaux et servir d’exemple dans le monde.

vendredi 4 juin 2004 par Gérard Filoche


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