Crise au sein de Podemos (3 articles)

samedi 2 avril 2016.
 

A) Pablo Iglesias a limogé le numéro trois du parti de gauche qui baisse dans les sondages (article de Sandrine Morel dans Le Monde)

Source : http://www.lemonde.fr/international...

Le communiqué émanant du secrétaire général de Podemos, Pablo Iglesias, est arrivé dans la nuit du Mardi 15 Mars 2016 à 23 heures 30. Un texte bref et sec annonce le limogeage du numéro trois du parti de la gauche anti-austérité espagnol, Sergio Pascual. Pablo Iglesias récupère les fonctions du secrétaire d’organisation responsable des relations avec les régions. Au sein de Podemos, c’est la surprise. La décision a été prise unilatéralement, sans convoquer l’organe de direction du parti. En cause, « une gestion déficiente dont les conséquences ont endommagé grièvement Podemos dans un moment délicat, celui des négociations pour la formation d’un gouvernement de changement ».

Quelques jours plus tôt, dix personnes ont, en effet, démissionné de la direction régionale du parti à Madrid, critiquant le manque de projets du dirigeant local, Luis Alegre, homme de confiance de Pablo Iglesias.

Cette crise locale vient s’ajouter à celles que connaît le parti en Galice et en Catalogne et celles dont il se remet tout juste au Pays Basque et dans la Rioja, où des luttes de pouvoir et des démissions en cascade ont provoqué des situations d’intérim prolongé.

Visant à mettre fin à ces tensions locales, le limogeage décidé par Pablo Iglesias est aussi une manière de renforcer son pouvoir au sein du conseil exécutif de Podemos, face à son numéro deux, Inigo Errejon, proche de Sergio Pascual et représentant l’aile modérée au sein de Podemos, alors que les négociations se poursuivent pour tenter de former un gouvernement dans un pays sans majorité depuis les élections législatives du Dimanche 20 Décembre 2015. Podemos a voté contre l’investiture du chef de file du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE), Pedro Sanchez, au poste de premier ministre, tout en continuant de négocier.

« Le parti n’est pas seulement une machine pour défier l’hégémonie de l’adversaire, pour accéder et pour exercer le pouvoir, mais c’est aussi un instrument au service des gens », a défendu Pablo Iglesias dans une lettre aux militants envoyée quelques heures avant celle de la destitution de son numéro trois, intitulée « défendre la beauté ». Semblant préparer les militants à un possible échec des négociations avec Pedro Sanchez, il en profite pour attaquer les thèses d’Inigo Errejon, selon lequel Podemos doit être « une machine de guerre électorale ».

Si tous les courants qui existent au sein de Podemos refusent pour le moment de soutenir l’accord signé le mois dernier entre le PSOE et Ciudadanos, les positions divergent sur la stratégie à adopter. Alors que les anticapitalistes prônent l’abandon des négociations avec le PSOE, les proches d’Inigo Errejon défendent une position plus conciliante et ouverte au dialogue. Entre les deux, Pablo Iglesias et les siens, au ton plus virulent, se posent en garants de « l’essence des origines de Podemos ».

Podemos est confronté à un dilemme. Doit-il faire des concessions en soutenant un gouvernement socialiste, ou rester ferme, au risque de favoriser la tenue de nouvelles élections et de subir un sérieux revers dans les urnes ? Selon un sondage, paru le Dimanche 13 Mars dans le quotidien el Pais, Podemos perdrait quatre points, passant de vingt et un pour cent à dix sept pour cent des suffrages. Beaucoup d’anciens électeurs socialistes, qui ont voté pour Podemos, n’ont guère apprécié le ton intransigeant utilisé contre le PSOE. Pedro Sanchez et Pablo Iglesias doivent se rencontrer dans les prochains jours, mais le PSOE est inquiet. Il craint que l’affaiblissement d’Inigo Errejon n’éloigne la possibilité d’un accord de gouvernement.

A la crise interne et à la déception de certains électeurs s’ajoute un autre défi pour Podemos, la fragilité des pactes scellés avec des mouvements locaux en Galice, en Catalogne et à Valence. Dans ces trois régions, ces accords lui ont permis de devancer le PSOE. Mais, en cas de nouvelles élections, ces alliés pourraient créer un parti distinct de Podemos afin d’obtenir leur propre groupe parlementaire, affaiblissant ainsi davantage les forces de Pablo Iglesias.

B) Etat espagnol. Crise et débats au sein de Podemos (par Ensemble)

Que personne ne s’attende à trouver dans cet article un règlement de comptes ou des rumeurs internes sur Podemos. Nous sommes convaincus que ce qui importe c’est tout le contraire : se calmer, rétablir de la sérénité, débattre, expliquer et se préparer. Les gens, les forces qui appartiennent au bloc du changement observent ladite « crise de Podemos » avec stupéfaction, sans comprendre ce qui se passe. Iñigo [Errejón] et Pablo [Iglesias] se sont disputés ? Existe-t-il des différences au sein de Podemos ? Il ne suffit plus de répondre qu’il s’agit d’une invention de la presse lorsque tu l’as toi-même mis en avant Il faut faire l’effort de débattre et tenter de comprendre pour progresser.

En ces temps de rythmes effrénés, les légitimités – de même que les certitudes – sont plus volatiles et plus diffuses que jamais. Le « prince » du XXIe siècle, le parti organisé, doit vivre dans une tension créative avec le mouvement, avec cet intellect général pluriel, dispersé et changeant [allusion plus ou moins pertinente aux écrits de Gramsci « actualisant » ceux de Machiavel dans ses réflexions politiques]. D’un autre côté, un groupe dirigeant responsable, ferme sur ses principes mais toujours au service des classes populaires, est plus que jamais nécessaire.

Ladite « crise de Podemos » ne peut s’expliquer qu’en ces termes. Un parti qui a reçu plus de cinq millions de suffrages, mais qui est très faible pour ce qui relève de l’organisation à partir d’en bas. Un parti pluriel sans pluralisme. Un parti au sein duquel le débat politique a tendu trop de fois à être remplacé par la « rumorologie ». Un parti où l’on parle de « familles », de « clans » plutôt que de « positions » ou de « courants ». Un parti qui n’a toujours pas atteint le rang de « prince » parce qu’il n’est pas parvenu à établir une tension créative avec le mouvement mais, au contraire, à une tension peu productive et, certaines fois même, destructrice. Un parti jeune et vivant qui tombe malade chaque mois qui passe. Un parti rempli d’accords et de désaccords.

Il y a, bien sûr, un consensus sur un grand nombre de points fondamentaux : sur la nécessité de faire dégager les vieux partis, sur l’urgence de dépasser les contraintes culturelles et politiques de la vieille gauche ou encore sur l’obligation d’être un instrument pour un grand nombre de gens et non pour quelques-uns. Il y a également un accord sur d’autres choses qui ne devraient pas être fondamentales, mais qui ont leur importance, tel que le leadership populaire de Pablo Iglesias dont nombreux sont ceux qui, malgré les divergences, considèrent comme un dirigeant de grande valeur intellectuelle, à même d’établir un lien comme aucun avec ceux et celles d’en bas. Et, comme au temps de Marx, où tout le monde appréciait Hegel bien que certains le lisaient à partir de la droite et d’autres à partir de la gauche, nous aimons tous Gramsci, bien que certains sont des « gramsciens de droite » et d’autres des « gramsciens de gauche ».

En revanche, il n’y a pas eu d’accords sur bien d’autres éléments. Il n’y a pas eu d’accord sur la nécessité de créer des structures de base démocratiques, capables de gérer et de faire office de contrepoids, d’être des unités de base à partir desquelles seraient choisies les directions. En lieu et place de cela, l’option retenue a été un modèle plébiscitaire au sein duquel les gens ne discutent pas, n’aboutissent pas à un consensus : on ne peut qu’y adhérer. Il n’y a pas eu d’accord sur la formation d’un parti-mouvement qui puisse recueillir et intégrer, sans exiger une adhésion inconditionnelle, l’ensemble du patrimoine riche de militant·e·s issu du 15M [le mouvement des indigné·e·s, à partir de mai 2011]. Le choix s’est porté sur une machine de guerre électorale. Il n’y a pas eu d’accord sur l’abandon des grandes lignes programmatiques de rupture tels que les processus constituants, la démocratisation de l’économie par le biais de la socialisation des secteurs financiers et productifs stratégiques ou encore sur des mesures radicales contre la crise et les attaques contre les salaires tel que la rente de base. Nous n’étions pas d’accord et le programme a été modéré, adoptant un cadre keynésien, qui fixait l’axe de sortie de crise autour de mesures palliatives devant être adoptées par un gouvernement futur, au lieu de se fonder sur l’auto-organisation de classe et populaire ainsi que sur le conflit. Il y a eu de nombreuses divergences, nous continuons de penser ce que nous pensions auparavant et rien ne se passe. Nous le défendons ouvertement et nous souhaitons convaincre sur le fait que nos positions sont les plus favorables au changement.

Néanmoins, Podemos étant un parti de paradoxes, le modèle gagnant qui a été adopté, curieusement, se retourne contre ceux qui l’ont façonné. La destitution de Sergio Pascual [secrétaire d’organisation de Podemos, il a été démis de ses fonctions le 15 mars 2016] s’est faite de manière statutaire et respectueuse du modèle de parti approuvé à Vistalegre [lieu où s’est tenue, à Madrid en octobre 2014, l’assemblée fondatrice de Podemos]. Pablo Iglesias a utilisé ses attributions en tant que secrétaire général pour destituer l’un des exécutants principaux du modèle Vistalegre, fondé sur la construction verticale et autoritaire, sur le fameux virage en direction du centre en matière de positions politiques, sur un modèle plébiscitaire-populiste [en référence aux idées d’Ernesto Laclau] qui copiait sur trop de points les partis communistes du XXe siècle mais sans leur enracinement parmi les forces sociales vives. Les secteurs démissionnaires du Conseil citoyen de Madrid ainsi que Sergio Pascual lui-même, appartenaient au secteur qui a élaboré, défendu et mis en œuvre Vistalegre.

Tout cela s’est produit, qu’il s’agisse ou non d’un hasard, alors que Pablo Iglesias approfondissait l’idée de la construction d’un camp populaire différencié, non subalterne, antagoniste, face aux élites et alors que sa figure, rappelant celle de Julio Anguita [secrétaire du Parti communiste espagnol entre 1988 et 1998, coordinateur d’Izquierda Unida entre 1989 et 2000, figure charismatique], devient la cible principale sur laquelle se concentrent toutes les balles du régime. Nous faisons face, pour emprunter la formule de Gramsci, à un cas de « césarisme progressiste » : « le césarisme est progressiste lorsque son intervention aide les forces progressistes à triompher bien que cela soit avec certains compromis et caractéristiques qui limitent la victoire. » C’est-à-dire, Pablo Iglesias semble avancer (c’est curieux, avancer en reculant) vers des positions plus fraîches, qui rappellent cet ancien Podemos de lutte et de gouvernement, celui qui donnait la chair de poule dans ses meetings, mais il le fait dans le cadre construit après Vistalegre, un cadre plein de limitations, de pièges bureaucratiques et d’insuffisances.

Il s’agit désormais d’aller plus loin dans deux directions. Tactiquement, il nous appartient d’éviter d’autres actions irresponsables, qui alimentent l’idée d’une crise alors que ce que nous devrions faire est de nous préparer, avec des débats, dans l’unité sur une base de pluralité, à affronter les deux options à venir : une grande coalition [PP-PSOE avec le soutien de Ciudadanos] ou de nouvelles élections [en juin]. Stratégiquement, ce qui s’est passé au cours des derniers jours au sein de Podemos, devrait ouvrir une vaste réflexion sur le parti-mouvement dont les classes populaires ont besoin. Pour cela, il ne suffit pas d’exprimer son accord, des exemples concrets sont nécessaires. Au sein du Conseil citoyen de la communauté autonome de Madrid, une nouvelle étape s’ouvre. Elle doit s’ouvrir dans tout Podemos. Voici le point de départ : faire à nouveau appel à tous les gens qui une fois sont passés par un cercle et n’y sont pas restés, bien qu’ils aient voté Podemos. Tendre la main aux militant·e·s, aux mouvements sociaux, aux syndicalistes en respectant leur autonomie, de façon à ce qu’ils sachent que Podemos est leur parti. Il nous faut assumer la seule chose que nous pouvons être pour gagner : pluralistes, démocratiques, radicaux sans être identitaires. Il n’y a pas de crise : il y a un monde à gagner.

C) Espagne. Le point sur la crise de Podemos (par Antoine, NPA Montpellier)

La crise interne de Podemos a pris un tour spectaculaire avec la décision de Pablo Iglesias de renvoyer Sergio Pascual, le n°3 du parti, secrétaire général en charge de l’organisation.

La « fraction » Errejón ouvre les hostilités, première riposte de Pablo Iglesias

La crise interne de Podemos a pris un tour spectaculaire avec la décision de Pablo Iglesias de renvoyer Sergio Pascual, le n°3 du parti, secrétaire général en charge de l’organisation. C’est un poste clé, évidemment, dont a profité la fraction de Iñigo Errejón, le n°2, à travers la démission (concertée avec Pascual) de 10 membres de l’instance régionale de Madrid, le Conseil Citoyen de la Communauté de Madrid : l’objectif était de provoquer des élections internes, via des primaires. Ces élections auraient permis de légitimer en douceur la prise de l’appareil par les errejonistes. Mais ce qui était localisé à Madrid a été décodé par Iglesias comme un coup de force à portée générale, au niveau de l’ensemble de l’Etat espagnol, en particulier dans des régions où le parti connaît une crise de direction, comme en Galice, en Euskadi, etc. En résumé les errejonistes de Madrid démissionnent par décision propre pour forcer la destitution du secrétaire régional à l’organisation, un proche de Iglesias, celui-ci riposte plus fort encore, au plus haut de l’organigramme du parti, en faisant sauter celui qui, en tant que secrétaire général à l’organisation a, au moins, laissé faire le coup de force, et aurait pu laisser se poursuivre (ou continuer à soutenir en sous-main) la déstabilisation en d’autres zones du territoire. Iglesias, qui bien entendu, refuse de relancer des élections internes, a donc interprété que Madrid n’était que la pointe émergée de l’iceberg d’un putsch visant à reconfigurer les pouvoirs dans les diverses régions. Le souvenir du comportement « sectaire » de Sergio Pascual en Andalousie (il est député pour Séville) cherchant à placer les siens dans les diverses instances du parti et le conflit qu’ainsi il ouvrit (et perdit) avec Teresa Rodríguez, l’actuelle secrétaire régionale, membre du courant Anticapitalistas, a dû revenir à l’esprit de Pablo Iglesias : par ailleurs à l’époque, quoique globalement en accord politique avec Iñigo Errejón, le mentor de Sergio Pascual, il avait apporté son appui à Teresa Rodríguez lorsque ledit Iñigo Errejón, tenta de brider sa volonté de rester indépendante vis-à-vis du PSOE local ! Peut-être la première alerte sur la cohésion du tandem de la direction nationale.

Le deuxième temps de la riposte iglésiste

Plus spectaculaire, et très coup de poker, que la destitution du responsable général à l’organisation par Iglesias : il le remplace par ... Pablo Echenique. Rappelez-vous, celui-ci avait mené bataille avec Teresa Rodríguez, au congrès de fondation de Vistalegre, pour s’opposer à la structuration antidémocratique du parti que défendait et réussit à faire passer la "troïka des profs" Iglesias, Errejón et Monedero. La presse en rajoute aujourd’hui sur l’habileté de Iglesias à "récupérer" l’un de ses opposants les plus connus et les plus prestigieux pour faire pièce à son "copain" Errejón. En fait les choses sont moins simples. Echenique a évolué depuis Vistalegre et s’est rapproché de Iglesias et donc s’est éloigné de Teresa Rodríguez. Sur l’organisation interne du parti, Echenique a entériné que, non seulement ce qui avait été voté s’imposait à tous, mais il a en plus légitimé ce fonctionnement verticaliste au nom de la nécessité de faire de Podemos une machine électorale efficace. Soit exactement l’argumentation de Iglesias et Errejón (Juan Carlos Monedero, lui, a démissionné de toute responsabilité dans le parti, trouvant que celui-ci se « banalisait » dans le « système » qu’il se propose de faire tomber, mais il a vite mis en sourdine cette critique et s’est consacré à appuyer, désormais en extériorité de l’appareil, l’orientation politique du parti dont je parlerai ci-dessous).

Ce serait pourtant une erreur de s’arrêter à ce que l’on pourrait qualifier de simple ralliement de Echenique à Iglesias et de plate instrumentalisation du premier par le second : en fait, comme l’ont déclaré à l’unisson les deux hommes, le travail de Echenique va consister à rectifier les "erreurs" commises, selon Iglesias, depuis Vistalegre et, pour cela, à redonner plus de poids aux cercles et aux territoires dans la vie du parti. Jusqu’à un certain point cela veut certes dire que Iglesias a compris le danger qu’il y a à continuer avec une structuration aussi antidémocratique du parti, mais ce danger concerne avant tout, dans l’immédiat, son propre contrôle, en tant que secrétaire général, de Podemos : l’appareil émancipé de ses bases devient le champ de bataille fractionnel de certains de ses plus proches camarades pour "prendre" le parti à ses dépens. Pour tout dire je ne suis pas persuadé par l’idée d’une conversion profonde de Iglesias à l’idée d’un Podemos centré sur ses bases. Mon hypothèse, fondée sur ce que sont les paramètres politiques de Iglesias, principalement la primauté qu’il accorde aux combinaisons institutionnelles pour accéder au pouvoir, c’est que ce virage "circulariste" (plus de pouvoir aux cercles) est de circonstance, une tactique pour compenser son affaiblissement actuel opéré par la « scission » des errejonistes. Iglesias a pris conscience qu’il a été floué et qu’il a introduit le loup dans la bergerie en laissant à Errejón et à Pascual tout pouvoir de monter la structure organisationnelle du parti. En l’état actuel des choses, le rapport de force ne lui est pas favorable dans les diverses instances de Podemos et il ne pourra le rétablir qu’en jouant de plusieurs ressorts : d’abord de son charisme, toujours là auprès des militant-es, d’où la nécessité pour lui d’impliquer les cercles, ensuite en profitant de la dualité que porte Echenique (il lui est proche mais il reste auréolé d’avoir une conception démocratique du parti) et enfin en recevant l’appui du courant Anticapitalistas qui, quoique tout, dans le fonctionnement interne, ait cherché, depuis le début, à le marginaliser, a réussi à imposer du rapport de force, en particulier dans ces endroits clés que sont Madrid et l’Andalousie, mais il y a aussi la Navarre ou encore la Catalogne autour du camarade député de l’autonomie Albano Dante, présenté comme proche de Anticapitalistas, qui postule à devenir secrétaire de Podem (contre un proche de Iglesias). En résumé, toujours à mon avis, il ne faut pas se faire des illusions : Iglesias cherche à reconstituer son pouvoir dans Podemos, quand il y sera arrivé, il n’est pas sûr qu’il maintiendra les alliances internes qu’il établit aujourd’hui et que certains prennent trop vite à la lettre comme le moyen de faire du parti une organisation à fonctionnement plus horizontal. Cette hypothèse sera vérifiée ou infirmée par ce que Echenique, avec l’aval de Iglesias, aura proposé pour restructurer la vie du parti.

Les deux faces d’une même médaille : le déficit de démocratie organisationnelle et une orientation politique institutionnelle

Ce qui me fait rester réservé vis-à-vis de ce que Iglesias fait et fera, c’est ce qui est le coeur politique de la direction de Podemos. Iglesias et Errejón, en accord sur ce point, restent des institutionnalistes intégraux et cet institutionnalisme les amène à partager l’idée qu’il faut gouverner avec le PSOE. Point qui, déjà, fait décalage avec Anticapitalistas, lequel, plutôt silencieux sur le retournement qu’a signifié le choix de chercher à faire alliance avec ce qui était considéré, il y a peu encore, comme le parti de la caste, a cependant très vite tiré la conclusion que le choix du PSOE de « faire » avec Ciudadanos (centre droit très à droite !) devait amener à poser qu’il n’y avait plus à courir après le premier. Or, malgré ce choix des socialistes de s’allier avec Ciudadanos et le refus, pour le coup conséquent, de Podemos de l’avaliser par exemple par une abstention lors de l’investiture du secrétaire général du PSOE comme président du gouvernement, Iglesias, comme Errejón, persiste à amener le PSOE à gouverner à gauche avec eux. Certains cherchent à distinguer, d’une part, une tactique iglésiste, sans aucune illusion sur la possibilité de faire une alliance radicale avec le PSOE et qui donc chercherait à faire de la pédagogie populaire : soit la démonstration que, malgré la bonne volonté de Podemos, le PSOE confirme son ancrage à droite, et, d’autre part, la démarche de Errejón crédibilisant pour de bon que réellement le PSOE peut basculer à gauche, quitte peut-être (mais cela reste assez implicite chez lui) à faire des concessions sur le programme ou, à défaut, à accepter de s’abstenir pour rendre possible un gouvernement PSOE-Ciudadanos qui aurait le mérite décisif de faire sauter le PP du gouvernement. Ce qui, tout en donnant satisfaction à tous ceux et toutes celles qui optent dans la population pour la nécessité absolue de mettre dehors le Parti Populaire (PP), permettrait à Podemos d’avancer ses pions en comptant que ce gouvernement gauche-droite décevrait, ce qui ne pourrait que profiter au parti mauve ! On conviendra cependant que la différence entre iglésistes et errejonistes est mineure au regard de la concession faite au PSOE qu’il peut ou pourrait gouverner à gauche ! En un mot : iglésiste et/ou errejoniste, cette orientation est en rupture totale avec le 15-M (les Indigné-es) et avec le choix initial « anticaste » de Podemos de percuter le front le bipartisme structurel du régime de 78 ! Désormais ce bipartisme à combattre pourrait, grâce, selon ce qui est postulé, à un inédit pragmatisme institutionnel de Podemos, muter en un monopartisme à faire sauter. Et tout cela par la mutation assez « irréelle » du second membre de ce bipartisme honni, en outil de lutte contre le premier et inaltérable membre, le PP ! Et par le retour à une logique de « gauche » que Podemos avait pourtant déclaré dépassée au temps de sa jeunesse. Oui, ce parti a vieilli très vite.

On notera par ailleurs que cette crise de Podemos reproduit le défaut essentiel que présente ce parti depuis sa fondation : c’est la direction, et dans la direction, plus exactement le pouvoir personnel de Iglesias, qui réordonne les choses. C’est Iglesias qui vire Pascual, aux instances ensuite de valider la chose ; c’est Iglesias qui intronise Echenique, aux instances de ... Bref la démocratisation annoncée du parti se fait sans qu’aucun débat sur les défauts de démocratie, devenus apparents aujourd’hui, ne cherche à impliquer les militant-es ! Mais il est vrai que le modèle organisationnel adopté lors de la fondation ne s’y prête pas !

Tout cela pour dire que la conversion echeniquiste de Iglesias pour renforcer la participation des cercles et des territoires aux décisions politiques reste surdéterminée par l’orientation de fond dudit Iglesias, une conception de la politique qui, de toute façon, quoique distincte, à la marge, sur la démarche tactique, de celle d’Errejón reste électoraliste-parlementariste : elle n’a rien à faire de mobiliser les forces militantes du parti ou les secteurs sociaux actifs mais devenus assez attentistes, précisément par ce que Podemos, plus exactement le cercle fermé de sa direction, prétend offrir comme possibilités que tout, sa propre crise comme la décision de gouverner avec le PSOE..."pour rompre avec l’austérité", s’arrange par en haut !

Les anticapitalistes de Podemos face à la scission du courant majoritaire

Anticapitalistas se réjouit de la nomination (qui est à confirmer, ce qui n’est pas gagné) de Echenique en comptant qu’il va garder le cap de ce qu’il défendait pour la vie interne du parti à Vistalegre. Déjà, à mon avis, il reste à vérifier ce que sera ou pas cette disponibilité à démocratiser réellement Podemos car sur ce point il avait, comme dit plus haut, mis de l’eau dans son vin. Anticapitalistas accepte de fait de faire contrepoids, aux côtés de Iglesias, à la poussée des errejonistes. D’autant que ceux-ci n’hésitent pas à dire qu’ils n’ont pas renoncé à mener une bataille interne qu’ils estiment rester dans le cadre normal du débat interne. Le silence et la disparition médiatique de Iñigo Errejón, qui contraste avec sa surexposition politique habituelle, montrent que la destitution de Sergio Pascual par Iglesias, avec qui il ne s’affiche plus, ne "passe pas".

A relever, toujours du côté de Anticapitalistas, qu’il profite de la situation pour prendre au mot le souci nouveau chez Iglesias de mettre en avant les cercles et par là, de le reconnecter au peuple. En Andalousie, Teresa Rodríguez et ses camarades viennent, par exemple, d’annoncer leur décision de mettre Podemos en phase avec tout ce que compte la région comme secteurs sociaux mobilisés, en particulier le très combatif SAT (Syndicat Andalou des Travailleurs) de Cañamero et la très radicale CUT (Candidature Unitaire des Travailleurs) de Sánchez Gordillo (il est membre aussi du SAT). Ces derniers, deux prestigieux lutteurs sociaux, le second étant connu aussi pour être le maire de la « commune « de Marinaleda, se sont toujours montrés très critiques envers l’électoralisme de Podemos même s’ils ont appelé à voter pour lui. Il est symptomatique que Anticapitalistas parle de sa volonté de construire rien moins qu’une "marée sociale" et non électoraliste. Une marée, c’est un nom immédiatement connecté à la forme que prirent, dans la foulée du mouvement des Indigné-es, des mobilisations thématiques (féminisme, chômeurs, émigration forcée…) et sur les lieux de travail (santé, éducation). Dans le contexte actuel où les deux sous-fractions de "la" fraction" iglésiste sont en dispute féroce mais convergent pour axer Podemos sur les processus électoraux (mais ne veulent pas d’élections en ce moment car il y a risque que s’y profile un net recul du parti, voir plus loin) il est important que Podemos Andalousie associe sa réorganisation interne à la critique politique ouverte formulée en ces termes par le secrétaire à l’organisation : "Nous avons créé une fissure électorale dans le régime, mais ce n’est pas suffisant. Il ne faut pas mettre ses espérances dans le bulletin de vote, mais dans quelque chose d’autre. Nous avons déjà voté et nous n’avons pas encore récupéré les droits que nous avons perdus. La Troika va recommencer à serrer la vis, de nouvelles coupes sombres sont dans les tuyaux. Il faut préparer les gens à cette situation et accumuler des forces sur le terrain social".

Pour renforcer cette option sociale de sa politique, Podemos Andalousie prévoit de modifier sa structure interne en créant de nouveaux organes décentralisés, des conseils de coordination des cercles des régions (les sous-régions andalouses). Objectif : "l’auto-organisation sociale" ! Façon de prendre les devants et de mettre haut la barre de la réorganisation interne que doit mener Echenique à l’échelon de l’Etat espagnol. Si l’on ajoute que Podemos Andalousie émet une critique, jusque là inexistante chez lui, du recours aux primaires qui scande la vie du parti, on voit que l’onde de choc de la crise, est en train de bousculer les lignes de force établies jusque là. Et bien au-delà de l’Andalousie. Mais n’oublions pas que l’Andalousie (la plus grande, et de loin, communauté autonome) c’est le symbole de la rupture ouverte entre Podemos et le PSOE qui gouverne la région et donc l’anti-schéma iglésiste-errejoniste de tenter l’alliance avec le PSOE à Madrid. L’Andalousie c’est aussi, en lien avec ce qui précède, le fief de la fraction la plus droitière du PSOE avec une Susana Díaz qui attend l’échec d’investiture gouvernementale de son « camarade » Pedro Sánchez pour postuler à diriger le parti, bouclant ainsi la démonstration que, contre ce que défend Podemos au Parlement, il est illusoire de penser sortir les socialistes de leur rôle de piliers du régime. On remarquera au passage que ceux-ci ont renouvelé en Andalousie la majorité pour gouverner grâce à un accord avec… Ciudadanos, modèle que Pedro Sánchez, tout divergent qu’il est avec Susana Díaz, reconduit à Madrid contre les offres podémites de « passer à gauche » avec eux…

Un rendez-vous qui concerne tous ces débats internes de Podemos car il confirme que le mouvement social cherche à se relancer : le 28 mai aura lieu une nouvelle édition des Marches de la Dignité, très connotées 15-M. 

Une radicalité électoraliste menacée par un prochain échec électoral

La contradiction majeure que connaissent les partisans podémites de faire une alliance de sommet avec les socialistes, c’est que cette tactique semble scier la branche électoraliste sur laquelle elle repose : les derniers sondages donnent Podemos (et ses alliés locaux) en net recul, près de 4 points en moins, alors que le PSOE progresse un peu (+ 1 point), que le PP perd mais sans qu’il s’écroule (moins 2,6 points) et surtout que Ciudadanos connaît une importante poussée (presque + 6 points) des intentions de votes en sa faveur. Il doublerait Podemos pour devenir la troisième force électorale. Izquierda Unida (IU), le Front de gauche espagnol laminé par les succès de Podemos, progresse également de 1,7 points mais il part de très bas. Une tactique parlementaire qui, d’une part, finit pas bénéficier, au détriment du Podemos « de gauche », au Podemos de droite, Ciudadanos, promu par le « système » pour anticiper sur un effondrement du PP et, d’autre part, rapproche la droite de la majorité absolue (Ciudadanos pourrait s’allier au PP ou s’abstenir pour qu’il gouverne si celui-ci vire Rajoy de la présidence de gouvernement), voilà qui ressemblerait à un douloureux échec de Iglesias et de l’ensemble de la direction de Podemos. Echec qui pourrait accentuer les tensions internes. Par où l’électoralisme vérifie qu’il mène souvent à échouer dans les urnes (voir le Front de Gauche ici) ! Par autonomies, Podemos conserverait, toujours selon le dernier sondage, ses positions dans le cas du maintien de ses alliances avec les forces régionales mais il reculerait quand il se présenterait seul (exception : Euskadi). Voilà qui n’est guère rassurant pour la direction de Podemos à la veille de probables nouvelles élections législatives appelées à retrouver la « gouvernabilité » du pays que les élections du 20 décembre dernier ont mise à mal !


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