Dangers, tensions, divisions et espoirs

mercredi 30 mars 2016.
 

Les horribles attentats de Bruxelles ont remis le danger djihadiste à la une de l’actualité. Celle, pleine d’espérance d’une mobilisation des jeunes et des salariés contre la loi El Khomri, a momentanément, espérons-le, laissé la place à un flot d’images et de reportages où l’émotion vraie se partage avec l’exploitation éhontée du drame humain et de la peur. Comme si la gravité de l’événement ne se suffisait pas à lui-même, les médias d’informations en continu en rajoutent pour susciter l’audience jusqu’à enfreindre les règles déontologiques de base. Plusieurs heures durant ont ainsi été diffusées des images vieilles de 4 ans de l’attentat de l’aéroport de Moscou vendues comme celui de Bruxelles ou relayé, sans la moindre vérification, le bruit de fond des réseaux sociaux rapportant l’explosion de bombes supplémentaires aussi imaginaires qu’alarmantes. Au cas où l’angoisse ne serait pas suffisante, la machine médiatique se met en place pour l’aggraver plus encore.

Plusieurs politiques n’ont pas été en reste. Ils ont pour point commun de récupérer l’événement afin de donner foi à leurs coups tordus ou leur idéologie haineuse.

Voilà le solférinien Bruno Le Roux, à peine les explosions connues en France, pointant, toute honte bue, la culpabilité des sénateurs ayant refusé de voter à l’identique la loi sur l’état d’urgence et la déchéance de nationalité. Au prétexte que leur vote devrait priver François Hollande d’une réforme constitutionnelle aussi dangereuse pour les libertés et les principes républicains qu’inefficace contre le terrorisme. L’extrême-droite a, elle, charrié la fange boueuse de ses dénonciations habituelles à l’image de Florian Philippot faisant le lien direct et principal entre le terrorisme et les réfugiés, et même l’immigration en général. Oubliant au passage que la plupart des terroristes pour le moment impliqués dans les crimes de janvier et novembre 2015 à Paris et de mars 2016 étaient non seulement belges ou français, mais même nés dans ces pays.

N’ayons pas d’illusion, si les sordides récupérations de Le Roux passent pour ce qu’elles sont, le bruit de fond de l’extrême-droite travaille en profondeur nos sociétés malgré les réactions d’ampleur de type marche républicaine du 11 janvier. Plusieurs gouvernements de l’Est de l’Europe (Hongrie, Pologne, République Tchèque et Slovaquie) véhiculent d’ailleurs officiellement la même rengaine xénophobe. Milos Zlan, le président tchèque, résume leur pensée commune : « la menace terroriste est liée à la crise des migrants ». Quand ce n’est pas, donc, l’exécutif français qui relaie le même fantasme en s’en prenant aux fondements de la citoyenneté française pour soi-disant lutter contre le terrorisme.

La menace terroriste alimente toujours plus le discours identitaire et autoritaire. La nature même de ces attentats et des motivations de leurs auteurs ainsi que l’exploitation qui en est faite leur facilitent le travail.

Pour faire face, le pire serait de nier ce danger. Bien sûr que la crise, le recul de l’Etat social, la montée des discriminations et des inégalités est un terreau d’où sortent plus facilement tous les monstres identitaires,. Reste que le terrorisme est là et qu’il doit être combattu à court terme comme l’ennemi qu’il est. Ce qui nécessite d’allouer tous les moyens humains, matériels et financiers nécessaires aux forces de police et de renseignement sans céder un pouce sur le respect de l’état de droit. A ce sujet, on ne soulignera jamais assez combien l’austérité à affaibli cette mission régalienne de l’état qu’est la sureté des citoyens. Rien d’étonnant, à propos de la Belgique, d’entendre les mêmes révélations qu’en France après les attentats de janvier sur l’état de ces services aux moyens considérablement rognés après les cures d’austérité successives.

Mais surtout, pour en finir le plus vite possible, c’est dans la région du monde concernée qu’il faut agir efficacement, ce qui implique cohérence et lisibilité. Les années passées par la France de Sarkozy et Hollande à mettre leurs pas dans ceux des Etats-Unis et de sa politique d’intervention impérialiste et de déstabilisation des états de la région au nom d’une doctrine d’ingérence cachant mal la seule défense de ses intérêts géostratégiques, ont été désastreuses. Non seulement la démocratie, en Syrie ou ailleurs, n’y a rien gagné, mais la situation est devenue explosive pour le premier malheur des peuples de la région. Les attaques terroristes de 2015 ont enfin contraint la politique extérieure française à évoluer sensiblement en considérant enfin prioritaire le combat contre Daesh. Mais on est loin du compte pour parvenir non seulement à un règlement militaire du conflit mais dans des conditions permettant ensuite de remettre sur pied une région pacifiée. Même si Daesh est aujourd’hui sur la défensive à Palmyre, Mosoul et Raqqa du fait de l’action, respective, de l’armée syrienne, appuyée par les russes, irakiens et kurdes, la France devrait tout mettre en oeuvre pour que débouchent enfin des accords de Genève actuellement gelés, prélude possible et incontournable à une grande conférence internationale de paix dans la région. Sur le moyen terme, le soutien militaire aux pays et forces se battant aujourd’hui contre Daesh sur le terrain doit en effet être apporté par une coalition internationale sous égide de l’ONU. Au delà de Daesh, la France continue, à l’inverse, à entretenir la confusion du fait d’alliances privilégiées avec des dictatures théocratiques qui, comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar, ont financé, et financeront au gré de leurs intérêts, d’autres branches djihadistes sans même parler du sort réservé à leur propre peuple. Les contreparties accordées à la Turquie d’Erdogan, que l’on peut résumer à un laisser faire, pour devenir l’immense camp de retenue et de triage des migrant-e-s ne vont pas non plus dans le sens d’une clarification. Elles constituent non seulement une façon éhontée de traiter la question des réfugiés, mais ne sont pas non plus de nature à combattre la menace djihadiste. Si on veut bien considérer la Turquie comme l’allié objectif de Daesh dans la facilitation de son trafic pétrolier et dans la guerre et répression contre les kurdes.

Enfin, face à des menaces qui divisent potentiellement nos sociétés, la priorité devrait être de rassembler le peuple, d’éviter les fractures inutiles et injustes. En plus de la régression sociale qu’elle implique, voilà une critique supplémentaire que l’on fera à la loi travail. Imposer dans une période déjà lourde de dangers une loi cassant toujours plus de protection, sociale cette fois, ne peut qu’amener une tension supplémentaire. Il est irresponsable de malmener ainsi la jeunesse et les salariés mobilisés, voire tout un peuple (un sondage Odoxa du 17 et 18 mars révèle l’opposition de 71 % des français à cette loi). Et que dire des risques et des dérapages graves encourus quand le gouvernement Valls, voulant montrer sa détermination obtuse, donne des consignes de fermeté à des forces de l’ordre déjà en surtension du fait des missions qui leur sont demandées par l’Etat d’urgence ? On est révolté mais pas totalement surpris, sans évidemment excuser leurs auteurs directs, des multiples actes de violences policières sur des lycéens, constatés depuis une semaine. Les syndicats de policiers ont pourtant tiré des sonnettes d’alarme sur la situation dans une police au bout du rouleau. Jusqu’à la formation bâclée pour faire face au recrutement soudain après dix ans de suppressions de postes. Ce que confirme Thierry Clair, le secrétaire national de l’UNSA-Police : « On se retrouve avec plus de 5000 agents à former. Les écoles sont en surchauffe actuellement » et de regretter, par exemple, la diminution de 40 % du temps de formation des nouveaux gardiens de la paix quand ils ont été adjoints de sécurité. Qui ne voit le paradoxe de mobiliser des forces de l’ordre déjà saturées pour encadrer, voire intimider, une mobilisation dont la légitimité est proportionnelle à l’illégimité d’imposer une loi pour laquelle le président de la République n’a pas été élu ?

Alors qu’il faudrait unir, le gouvernement crée donc la division et l’affrontement au nom d’une politique de l’offre dont seuls le Medef et les actionnaires profitent. Et ce alors que l’inanité de cette politique explose au fil de la hausse continue d’un chômage atteignant un nouveau record en février. Manifestement ni Hollande ni Valls ne l’entendent ainsi. C’est également pour cela, au nom de l’intérêt général et, justement, de l’unité de notre peuple, qu’il faut tout faire pour réussir une grande journée de mobilisation le 31 mars et mettre ainsi, définitivement, le gouvernement sur le reculoir. On ne pourra mieux fêter le printemps. Celui de l’insoumission au désordre établi. -


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