Le "choc des civilisations" : une escroquerie intellectuelle et une manipulation politique

samedi 13 avril 2024.
 

Une arme idéologique.

"Le Choc des civilisations (en anglais The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order1) est le titre d’un essai d’analyse politique rédigé par l’Américain Samuel Huntington, professeur à Harvard, paru en 1996 et traduit en français en 1997. Très controversé depuis sa parution, l’ouvrage a donné lieu à de nombreux débats …" (Wikipédia le choc des civilisations (1) )

France Culture dans son émission "Les nouveaux chemins de la connaissance" du. 11/03/2016 a abordé le sujet : "Y a-t-il un choc des civilisations ?" en invitant le philosophe Marc Crépon, professeur au collège de France. On peut écouter l’émission en cliquant ici (2)

En utilisant les données de cette émission et des documents cités en annexe, on peut faire la synthèse suivante.

Cette pseudo théorie repose sur des présupposés faux que nous allons examiner.

1) Il existerait des civilisations qui seraient des entités constituées relativement imperméables entre elles et surtout hostiles entre elles. Il n’y aurait pas de communication entre ces civilisations

C’est évidemment faux.

- Par exemple la civilisation asiatique, mentionnée par Samuel Huntington est une fiction comme le montre Jean-Christophe Victor dans son émission traitant de cette question (3)

- Toute l’histoire de l’humanité, recherches anthropologique à l’appui, sur les cinq continents nous montre effectivement le contraire.

Les civilisations ont toujours communiqué entre elles aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre entre pays, sans distinction de civilisations.

Il suffit de consulter une liste des principales inventions de l’humanité pour comprendre que celles-ci se sont propagées d’un pays à l’autre, d’une civilisation à une autre.( 3’)

2) Une civilisation serait relativement homogène malgré une certaine diversité d’us et coutumes entre différentes régions où différents pays. Or une telle homogénéité, même relative relève du fantasme et non de la réalité.

Si l’on considère, par exemple, le monde arabe, il faudrait plutôt parler "des mondes arabes" car on ne peut trouver d’unité géographique, de caractérisation linguistique, d’unité religieuse homogène. Voir l’émission de Jean-Christophe Victor "Le dessous des cartes" . Mondes arabes (4)

Il suffit de connaître quelque peu l’histoire de la Mésopotamie et notamment de Sumer ou de consulter une chronologie des inventions de l’humanité, pour comprendre que ce que l’on appelle "Occident" trouve une bonne partie de ses racines techniques et culturelles dans cette région : calendrier, astronomie, système de numération à base 60 pour mesurer les angles et le temps utilisé encore aujourd’hui, premières cités États, techniques agricoles, invention du verre, invention de la roue (Sumer, -3 500) ; premier texte de loi, invention de l’écriture cunéiforme, etc..

On peut aussi consulter par exemple le document de l’Unesco : "L’apport scientifique arabe"(4’)

Autre exemple : La Chine n’a pas simplement inventé le cerf-volant et la brosse à dents… mais aussi le papier, l’imprimerie, le canon, la poudre, etc.

Quant aux langues et aux religions, elles se propagent au gré des échanges commerciaux, des invasions, des migrations, etc.

3) Une civilisation serait l’échelle la plus grande de regroupement des hommes entre eux.

Il n’existerait donc ni humanité, ni intérêt général humain. En outre, quel contour peut-on fixer à une civilisation ? Sur quels critères ?

Une telle conception est une manifestation à plus grande échelle de la pensée clanique : dans ce type de pensée archaïque, il y a toujours un intérieur et un extérieur, un Nous et un Eux. Cette croyance implique une remise en cause totale du droit international et de la possibilité d’avoir des organisations internationales pour améliorer le droit et maintenir la paix. (Rappelons que les États-Unis contestent par exemple la cour pénale internationale.(4)).

4) L’aspiration à la liberté ou à la démocratie ne serait pas possible pour certaines civilisations comme "la civilisation arabe" par exemple.

Les "printemps arabes", pour ne prendre qu’un exemple récent, contredisent cette affirmation.

Toute l’histoire de l’humanité montre que n’importe quelle civilisation a fait des emprunts à d’autres. Des sociétés dites traditionnelles utilisent de hautes technologies ou peuvent modifier une partie de leur mode de vie en se tournant vers la modernité. L’Ouzbékistan et le Japon en sont des exemples emblématiques.

Remarquons que les mouvements sociaux dits "révolutions arabes" ne sont pas de nature civilisationnelle. Leur cause résulte de la conjonction de différents facteurs qui leur sont communs : des pouvoirs autoritaires confisquant les richesses et souvent corrompus, une population jeune, un taux de scolarisation élevé, une ouverture de la jeunesse aux nouvelles technologies, un taux de chômage chez les jeunes très élevé.

5) Les conflits seraient essentiellement inter–civilisationnels. Or les conflits actuels comme ceux de jadis, ne trouvent pas uniquement leur source dans l’affrontement entre civilisations différentes, entre "l’Occident et l’Islam", pour reprendre une terminologie galvaudée.

L’origine des conflits trouve sa source à l’intérieur d’une même civilisation, comme l’Islam, si l’on veut prendre cet exemple, où s’affrontent depuis longtemps (7ème siècle) sunnites et chiites, sans même parler des sous–familles religieuses et d’autres courants. De même à l’intérieur de" l’Occident", il y a encore peu de temps, s’affrontaient catholiques et protestants. (Irlande Angleterre).

Pour accréditer cette idée du "choc des civilisations", certains veulent réduire une civilisation à la religion. Évidemment la réduction est tellement grossière en passant sous silence les arts, les cultures et les sciences, que l’on peut se demander s’il ne s’agit pas purement et simplement d’une manipulation politique.

En réalité, les conflits depuis des décades au Moyen-Orient et en Afrique du Nord s’expliquent par la superposition de plusieurs types de raisons imbriquées : au niveau régional, des conflits inter–ethniques ou tribaux et inter–religieux, des conflits économiques (accès à l’eau et aux richesses pétrolières notamment), des conflits politiques qui instrumentalisent souvent l’ethnicité et le religieux tel le conflit politique régional latent entre les deux pôles politiques : l’Arabie Saoudite ("héritière" de l’empire ottoman) et l’Iran ("héritière" de la Perse).

Au niveau international, il faut prendre en considération les politiques coloniales, depuis le XIXe siècle notamment de l’Angleterre et de la France qui redéfinissent les frontières au Moyen-Orient après la chute de l’empire ottoman en 1919. Les USA interviennent dans cette zone à partir des années 1930 essentiellement pour l’extraction de pétrole. Pendant la guerre froide, apparaît un jeu de rapports de forces politiques où les puissances régionales s’appuient sur l’un ou l’autre camp.

Les puissances industrielles développées soutiennent ou combattent les différentes formes de pouvoir autoritaire selon les facilités ou obstacles qui leur sont faits pour l’extraction minière, le contrôle des ressources énergétiques, les contrats d’armement, etc, Cela s’accompagne d’une politique généralisée de corruption.

Cette politique de domination économique peut se heurter à des résistances locales diverses, On assiste à une instrumentalisation de la pseudo théorie du choc des civilisations pour masquer les véritables raisons des conflits. Ce peut être aussi bien des politiciens nord–américains que des acteurs politiques locaux qui en font usage.

En réalité, les différents conflits, et en particulier le terrorisme, ne résultent pas d’un seul facteur (domination religieuse ou domination économique souvent mises en avant) mais de la combinaison de plusieurs facteurs interagissant dans un contexte géopolitique et historique complexe.

Cette idéologie du choc des civilisations repose sur la stratégie de la peur et de la désignation d’un ennemi permanent visible ou invisible. Elle est relayée par la force des images–chocs propagées par les grands médias en quête d’audimat.

Remarquons que, curieusement, c’est juste après l’effondrement de l’URSS et la fin de la guerre froide, que cette pseudo théorie du choc des civilisations se développe (1993–1996) . Ce n’est pas le fruit du hasard . Les États-Unis ne disposent plus de l’ennemi absolu qu’était l’URSS pour justifier le fonctionnement à plein régime de son complexe militaro – industriel source de profits considérables pour de nombreux secteurs de l’industrie et de la finance et aussi source de centaines de milliers d’emplois. Il a fallu trouver autre chose pour justifier la continuation de ces investissements (même si – ou d’autant plus que – la politique de désarmement bilatéral a contribué à une diminution du nombre des emplois dans l’armement.)

Cette idée–alibi "choc de civilisations" permet aux autorités politiques de donner des "explications" simplistes à une population peu informée d’une réalité complexe dont les combines politiques plus ou moins secrètes font partie.

Examinons un exemple concret : l’approvisionnement en uranium qui conditionne la production de l’énergie nucléaire en France est un secteur géostratégique de premier ordre. Examinons les choses avec distance.

L’énergie nucléaire représente 77 % de la production énergétique de la France, 220 000 salariés répartis sur 2500 entreprises. Rappelons que 58 réacteurs répartissent dans 19 centrales. (Source : La Tribune (5) )

Tout ce qui pourrait remettre en cause de près ou de loin cet approvisionnement "vital" peut être source de tension pouvant aller jusqu’à des interventions militaires en cas de crise.

On comprend aisément alors l’imbrication des intérêts politiques étatiques français et régionaux et aussi des entreprises privées ou publiques concernées par cet approvisionnement et aussi le traitement de l’uranium.

"Sortir du nucléaire",, ce n’est donc pas simplement une mesure de prudence mais aussi une mesure d’indépendance et de paix pour l’avenir.

Annexe : Ressources documentaires  :

Émission "Le dessous des cartes " (Arte)

Choc des civilisations (6)

Civilisations : du choc à l’alliance (7)

Le Monde diplomatique "au nom du choc des civilisations". Octobre 2001 (8)

Le dessous des cartes. Le Moyen-Orient. (9)

Le clivage sunnisme/chiisme

Partie 1 : (10)

partie 2 : (10 bis)

Hervé Debonrivage


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