Malgré l’armée turque, les Kurdes syriens avancent face aux islamistes

jeudi 25 février 2016.
 

Les Kurdes syriens, longtemps méprisés par le régime, avancent vers l’établissement d’une zone autonome à la frontière turque, en nouant des ententes d’opportunité avec Washington mais aussi avec Moscou comme récemment dans la province d’Alep.

Au grand dam d’Ankara, leurs forces ont su tirer avantage de la déroute des rebelles dans cette région septentrionale de Syrie face au régime de Bachar el-Assad, pour s’emparer de localités dans une zone située à une vingtaine de kilomètres à peine de la frontière turque.

Dès le début de la crise en 2011, ils ont profité du retrait de l’armée de leurs régions pour lancer leur aspiration autonomiste, établissant une administration locale s’étendant du nord-ouest au nord-est du pays.

Selon le géographe et expert de la Syrie Fabrice Balanche, les Kurdes, qui ont progressé sur le terrain notamment face aux extrémistes de l’État islamique (EI) contrôlent désormais 14% du territoire syrien (26.000 km2) contre 9% en 2012. Et d’après l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), ils contrôlent les trois quarts des 800 km de frontière entre la Syrie et la Turquie.

Leur rêve est de connecter les trois "cantons" kurdes -Afrine et Kobané dans la province d’Alep et Jaziré dans la province de Hassaké- en vue d’une autonomie à l’image de leurs frères irakiens.

"Le principal objectif des Kurdes est d’annexer les cantons (...) ils veulent une Syrie décentralisée avec leur système de cantons comme modèle pour le pays", affirme à l’AFP Mutlu Civiroglu, un analyste sur la Syrie et les Kurdes basé à Washington.

"Les Kurdes veulent lier Kobané et Afrine (dans Alep) afin que Rojava (Kurdistan syrien) ait une continuité territoriale", renchérit M. Balanche.

Ni régime, ni rebelles

Dans la bataille d’Alep entamée début février, les forces kurdes ont d’abord brisé le siège d’Afrine imposé depuis plus d’un an par les rebelles islamistes et le Front al-Nosra, profitant surtout les frappes aériennes russes. Et pour relier les deux cantons d’Afrine et de Kobané, ils se préparent à la prochaine bataille contre l’EI, spécialement dans l’est de la province d’Alep.

Mais les Kurdes ne s’alignent ni sur le régime ni avec les rebelles. "Depuis le début, ils suivent ce qu’ils appellent la ’troisième voie’. Ni avec le régime, ni avec les rebelles, car aucun des deux ne reconnait les droits des Kurdes. Ce qui fait que ni l’un ni les autres ne sont satisfaits d’eux", explique M. Civiroglu.

Les rebelles ont d’ailleurs accusé les Unités de protection du peuple kurde (YPG), principale milice kurde en Syrie, de faire le jeu du régime en les chassant de localités et villes notamment Tall Rifaat lundi, et de la base aérienne de Minnigh.

"Nous n’avons rien à avoir avec la bataille du régime", assure à l’AFP Salah Jamil, un reponsable du PYD, principal parti kurde de Syrie chapeautant les YPG. "Nous avons combattu Al-Nosra et d’autres factions qui suivent la stratégie turque parce qu’ils ont assiégé nos régions et bombardé nos villages", poursuit-il.

"Maintenant, la priorité du PYD est de profiter des gains territoriaux et de nouer des alliances régionales et internationales pour devenir un acteur politique incontestable dans la Syrie nouvelle", assure Maria Fantappie, experte des kurdes en Irak et en Syrie pour International Crisis Group. Et s’il n’a pas été admis aux négociations de Genève entre le régime et l’opposition, le PYD peut se targuer d’avoir reçu fin janvier l’envoyé spécial américain pour la lutte contre l’EI Brett McGurk, et d’avoir ouvert une représentation à Moscou.

Alarmée par cette expansion, la Turquie, qui s’est investie dans le soutien à la rébellion contre Bachar el-Assad pendant près de cinq ans, bombarde depuis samedi les positions kurdes. De quoi embarrasser les États-Unis, qui considèrent les Kurdes comme incontournables dans la lutte contre l’EI, mais qui sont dans le même temps alliés avec Ankara, un membre de l’Otan.

"Gardes-frontières de la Syrie"

Parallèlement, une entente non déclarée est apparue entre les Kurdes et les Russes qui frappent les positions rebelles et jihadistes depuis septembre. Ces frappes ont permis aux Kurdes de prendre notamment l’aéroport de Minnigh. "Moscou ne peut pas ignorer les Kurdes qui sont la principale force combattant les jihadistes. C’est dans l’intérêt des Russes" comme des Américains, selon M. Civiroglu.

Pour la Russie, qui soutient le régime syrien, la question kurde est un moyen pour agacer la Turquie et créer des frictions entre Ankara et Washington. D’après M. Balanche, M. Assad est gêné par l’appui russe aux Kurdes, mais n’a pas le choix, "son avenir étant lié au soutien de la Russie".

Le président russe Vladimir "Poutine était très clair avec lui en échange de son intervention directe : un appui illimité aux Kurdes syriens pour créer leur État autonome dans le Nord", dit l’analyste qui collabore actuellement avec le Washington Institute. "Les Kurdes seront ainsi les gardes-frontières de la Syrie".


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