Quand le PS investit l’idée de « Primaire à gauche »

dimanche 24 janvier 2016.
 

Jean-Christophe Cambadélis, Premier Secrétaire du PS, s’est donc rallié à l’idée des « primaires de la gauche », lancée par Cohn Bendit et « Libération ». On connaît, j’espère, mes raisons de n’être pas du tout convaincu par le système des primaires. Elles sont indépendante du cas particulier. Depuis 2007 au moins je les ai exposées noir sur blanc. Puis à de nombreuses reprises ensuite, sans qu’on ne m’y réponde jamais. J’observe que dans une primaire, les électeurs choisissent non entre des idées mais pour la personne qui parait le mieux placé pour battre l’adversaire. Et cette évaluation se fait au vu des sondages et des pronostics médiatiques. Ainsi s’explique qu’après l’évacuation de Dominique Strauss Kahn, en moins d’une semaine, alors que Martine Aubry était numéro deux derrière lui, c’est François Hollande, le dernier de la file, qui est passé en tête des sondages pour être finalement désigné…

D’autres que moi ont également fait une analyse sociologique des électeurs de ces primaires. Notamment la Fondation Jean Jaurès du Parti Socialiste. Elle montre que ce ne sont justement pas les milieux populaires, qu’il s’agit pourtant de ramener au vote dans les urnes officielles, qui participent à des primaires. Elles coutent cependant beaucoup de temps, d’énergie et d’argent. Pourtant, on m’a reproché parfois de ne pas tenir compte du contexte politique spécial de ce moment. Et notamment de la menace de l’extrême droite. Précisément c’est l’inverse. Je vais montrer pourquoi.

Avant cela, je veux relever combien le procès que font les partisans des primaires du bilan de la politique de François Hollande est implacable. J’ai noté aussi que le niveau de la critique de Hollande s’est élevé de plusieurs crans dans la bouche de mes amis dirigeants communistes, jusqu’à atteindre même l’exclusive contre lui alors que Cécile Duflot se contente d’un refus « en l’état » qui sonne comme un « oui si… ». Je me réjouis donc de voir dans d’autres bouches que la mienne le sévère diagnostic que j’ai exprimé de longue date. Bien-sûr, je le dis avec un certain sourire, car j’ai le souvenir bien frais des reproches que cela me valut de la part de quelques-uns d’entre eux, et non des moindres. Mais comment ignorer que leur tir à boulets rouges augmente la délégitimation de Hollande. C’est donc utile, car cela peut contribuer à dissiper les illusions des ultimes naïfs. Mais je m’interroge. Comment se fait-il que tant de gens intelligents aient pris tant de temps pour réaliser de quoi Hollande et Valls sont le nom ?

Je crois que c’est la même raison qui les conduit à fustiger d’avance toute résistance comme manifestation des « égos » (ils ont en effet l’illusion qu’être candidat est un gain de notoriété délicieux) alors même qu’ils préparent la plus violente compétition de personne qui soit. Ils ne comprennent pas, ou ne veulent pas aborder de face, la nature de la division de la gauche, ni son motif central, ni son origine politique et non personnelle. Entre Hollande et moi (pour n’impliquer personne d’autres dans mes choix) il n’y a rien de personnel. Juste un problème dont le nom et l’adresse sont connus : les traités budgétaires européens et la Commission européenne. La politique qu’appliquent Hollande et Valls est la seule qu’acceptent la commission et l’Allemagne. Ils ont décidé de s’y soumettre. Ils ne sont pas les seuls, ni en France ni en Europe. Leur peur est légitime. On a vu à Chypre et en Grèce ce qui arrive aux récalcitrants. Mais on peut aussi avoir un plan B, surtout quand on est la France.

Le débat est donc le suivant : honorer les traités européens comme ils s’y efforcent ou en sortir comme je le propose avec tant d’autres ? Je refuse de participer à une primaire ou à quoi que ce soit qui conduise à masquer l’alternative sur laquelle débouche cette question. Parce que, très précisément, c’est sur cette question que se construit l’emprise des Le Pen, surtout depuis que Philippot produit la doctrine officielle du FN. Je le souligne parce que ce point a déjà été évoqué dans le cadre de cette proposition de primaire. Et cela pour prononcer une exclusive contre les suspects d’hostilité à l’égard de l’Union européenne. En effet, le porte-parole de Cécile Duflot, Julien Bayou, a déjà dit qu’il ne respecterait pas le résultat du vote si le vainqueur ne pense pas comme EELV-Les Verts sur l’Europe. Il a ainsi déclaré « il faudra déterminer si on est obligés de suivre celui qui l’aura emporté, ce qui pose problème s’il y a des positions anti-européennes ». L’Agence France Presse précisait que c’était « en allusion à peine dissimulée au porte-voix du Parti de Gauche Jean-Luc Mélenchon ». Aucune limite de cette sorte n’a été présentée à l’égard de Hollande, Valls, Macron ou qui que ce soit d’autres sur quelques point que ce soit. Sauf à mon sujet et sur ce point. C’est en effet la question essentielle. Je veux en traiter non sur le mode de l’exclusive mais sur celui des faits et de l’évolution des données du débat.

J’admets qu’il y ait pu avoir un doute en 2012. Hollande n’avait-il pas juré qu’il renégocierait le traité budgétaire européen ? Mais déjà les gens capable de décrypter savaient aussi qu’il avait promis en même temps de revenir au 3% de déficit dès 2013 ! Ils savaient donc ce que cela voulait dire : plusieurs milliards de moins dans le budget de l’État. Bref : une politique d’austérité. J’ai dévoilé tout ça et calculé le montants de coupe budgétaire pour chaque candidat, à l’occasion de mon meeting à Nantes en février 2012 ! Pouvait-on ignorer cela ? C’est pourquoi j’étais partisan de ne pas voter la confiance, dès le premier gouvernement du quinquennat. Mais après que Hollande a fait voter le « traité Merkozy », comme on disait, y avait-il le moindre doute sur ce qui allait se passer ? Je veux bien qu’on oublie. Mais tout le monde est-il au clair sur le sujet à présent ? Peut-on dire de ceux qui ont voté le traité qu’ils peuvent représenter « toute la gauche » aussi longtemps qu’ils n’ont pas changé d’avis sur ce traité ?

Cette question ne concerne pas que François Hollande évidemment ! De même, qui doute que Hollande signera TAFTA si le texte arrive jusqu’à lui ? Mais qui pouvait en douter jusque-là ? Et ainsi de suite. En toute hypothèse, nombre des signataires de la pétition des primaires ont en commun d’être d’ardents partisans de ces traités européens. Faut-il rappeler que ces traités sont aussi massivement rejetés dans d’autres sondages que l’est la politique européenne toute entière depuis 2005 ? Faire disparaître l’enjeu central de l’élection présidentielle serait donc le résultat essentiel de cet exercice qui reviendrait à abandonner le leadership du « non à l’Europe libérale » à l’extrême droite. Le rêve de tous les eurolâtres. Génial. Si l’on veut me voir bouger de position et mettre les pieds dans ce bain, il faut commencer par préciser dans quelle eau se feront les ablutions : ce cadre est-il celui de la sortie des traités européens ou bien celui de leur application ? Car dans les traités européens, aucune politique de gauche n’est possible, quel que soit « le candidat unique de la gauche » ! Allez voir à Athènes ce qu’il en coute de ne pas être clair sur ce point dès le début !

Par conséquent, je demande que l’on se représente bien la situation dans laquelle les primaires prennent place. Elles peuvent devenir un instrument destructeur malgré les bonnes intentions de nombre de ses initiateurs. Pour le comprendre, il suffit d’observer la volte-face de Jean Christophe Cambadélis, le Premier Secrétaire du PS, sur le sujet. Il a d’abord prudemment repoussé l’idée comme « improbable ». Puis il a vu comment « Libération » me rendait aussitôt responsable de l’essoufflement rapide de leur projet. Il a saisi la perche. Il déclare alors : « Mélenchon ne pourra pas se tenir à l’écart d’une primaire si tout le monde y participe ». A présent, il franchit un cap et se dit partisan de ces primaires en fixant des conditions et en demandant le respect du résultat du vote en faveur du « candidat unique de la gauche » ainsi désigné…. Sans exagérer mon importance, ni mon rôle, je peux noter qu’avec 10% d’intention de vote je peux être considéré comme le dernier obstacle à la candidature solitaire et centrale du PS qui a l’air moins inquiet des autres candidats potentiels. Dès lors, le propos de Jean Christophe Cambadélis n’est pas un commentaire d’observateur. Sa manœuvre me semble fonctionner comme un hold-up électoral de première grandeur. Voici pourquoi.

La promotion de madame Le Pen, et sa présence annoncée en tête du scrutin au premier tour tue le match au second. Il n’y a plus de deuxième tour dans l’esprit des grands stratèges du PS. Tout le monde se verra contraint de voter pour le candidat arrivé en seconde position quel qu’il soit, comme en 2002 ! Et comme en PACA ou Nord-Pas-De-Calais-Picardie ! Encore faut-il être au deuxième tour ! Alors les mêmes rusés stratèges se battent pour qu’il n’y ait même pas de premier tour. C’est-à-dire même plus de choix de ligne. Eliminer ou réduire en confettis tout ce qui serait autre chose qu’Hollande. Ce que des électeurs se déplaçant à 85 %, comme c’est le cas dans une présidentielle, pourraient décider avec leurs bulletins de vote serait réglé sans eux par une consultation restreinte nommée « primaire » dont le principal thème de fait serait réduit à : qui est le mieux placé pour être au second tour… La réponse a déjà été donnée dès le premier sondage ! Les gagnants sont : Hollande ou bien Valls et sinon Martine Aubry ou bien moi, à égalité, avec dix points de moins, à peu près… Valls ayant déclaré que Hollande est « le candidat naturel » nous n’aurions même pas à choisir entre les deux… Donc « le meilleur candidat unique de la gauche » est… Suspense… Hollande. CQFD ! Alors même que tout cela était organisé pour l’éviter ! Tout ça pour ça ?


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