« L’assassin court toujours » – Un an après, la Une de Charlie sur Dieu divise les politiques

jeudi 14 janvier 2016.
 

Un an après les attentats de janvier, la classe politique française est-elle encore « Charlie » ? La Une de l’hebdomadaire satirique, qui publie ce mercredi 6 janvier une édition exceptionnelle dans laquelle un Dieu terroriste est barré de la légende « L’assassin court toujours », fait réagir et démontre que le droit absolu à la caricature ne fait toujours l’unanimité.

Invitée à commenter ce dessin sur France Info, la ministre de la Culture Fleur Pellerin a d’ailleurs tenu à rappeler ce que signifiait réellement « être Charlie ». L’hebdomadaire ne parle-t-il pas trop de religions ? « Et alors ? », a-t-elle répondu. « L’esprit Charlie c’est ça. Je souhaite que Charlie reste Charlie, qu’il puisse avoir encore cette impertinence, puisse avoir envie de parler de religions, de se moquer. Non pas de la religion et de la liberté de conscience mais du clergé et de ceux qui utilisent la religion à des fins politiques », a réafffirmé la ministre.

Pas sûr que tout le monde l’entende de cette oreille, tout particulièrement à droite où la remise en cause d’un Dieu associable à celui des chrétiens n’a pas beaucoup fait sourire. « Je considère que le droit de caricature doit être absolu et doit s’exercer pleinement dans la République. Charlie a le droit de titrer comme il veut et de caricaturer comme il veut », a réagi la nouvelle présidente de la région Ile-de-France Valérie Pécresse sur BFMTV. Avant de nuancer son propos : « Mais je pense qu’il faut faire attention quand même, je ne pense pas que tous les dieux soient des dieux de haine, soient des dieux assassins. Les messages des grandes religions sont tous des messages d’amour ».

La veille sur Europe1, le maire de Bordeaux Alain Juppé avait lui aussi pris ses distances. « Je me suis senti Charlie, évidemment lorsqu’on a assassiné des journalistes de la rédaction. Ma solidarité a été profonde et sincère. Mais quand j’ouvre Charlie Hebdo je ne suis pas toujours Charlie », a déclaré l’ancien premier ministre. Et de rappeler ce principe : « On a le droit de ne pas rire, [cette Une] ne me fait pas rire ».

« Certaines couvertures ont pu me heurter, je ne les regarde pas et je ne les achète pas », avait estimé lundi l’eurodéputée Rachida Dati en appelant au respect « des sensibilités ».

Les catholiques vent debout

Au-delà de ces critiques mesurées, les réactions sont autrement plus tranchées chez les élus revendiquant leur filiation ou leur attachement aux valeurs chrétiennes. Ce mardi, le Vatican avait donné le ton en réagissant sèchement à la publication de la couverture de l’hebdomadaire satirique. « L’épisode n’est pas une nouveauté : derrière le drapeau trompeur d’une laïcité sans compromis, l’hebdomadaire oublie encore une fois ce que tant de dirigeants religieux de toutes appartenances ne cessent de répéter pour rejeter la violence au nom de la religion : utiliser Dieu pour justifier la haine est un véritable blasphème, comme l’a dit à plusieurs reprises le pape François », affirme l’Osservatore Romano, le quotidien du Saint-Siège dans son édition parue mardi.

Position partagée par le président du Parti Chrétien-démocrate (PCD), affilié aux Républicains, Jean-Frédéric Poisson. Invité ce mercredi sur LCP, le député des Yvelines a vivement critiqué cette couverture « pas drôle », « ’pas intelligente » et « pas adaptée à la situation ».

Celui qui se dit « croyant comme des millions de Français » ne souhaite pas remettre en cause la liberté d’expression tout en estimant que celle-ci doit « se fixer des limites par elle-même dans certaines circonstances ». « Dire que Dieu est un assassin n’est pas acceptable », estime-t-il.

Son prédécesseur à la présidence du PCD, Christine Boutin, autre catholique revendiquée, avait déjà réagi à cette couverture dans un tweet.

Quant à la très sarkozyste Isabelle Balkany, sa réaction est sans équivoque : « Je ne suis plus Charlie », a-t-elle tweeté en postant une photo du Pape.

Ouvertement anticlérical et athée depuis sa fondation au début des années 70, Charlie Hebdo n’a jamais cessé de caricaturer toutes les formes religieuses. Une ligne parfois incomprise en France et tout particulièrement à l’étranger. La publication d’une nouvelle caricature associée à Mahomet portant un panneau « Tout est pardonné » après les attentats de janvier avait été violemment critiquée dans certains pays musulmans.

Comme l’explique Riss, le patron de l’hebdomadaire et auteur de la couverture de ce numéro spécial, « Charlie doit être là où les autres n’osent pas aller. Pour cette couverture, je voulais dépasser telle ou telle religion et toucher à des choses plus fondamentales. C’est l’idée même de Dieu que nous, à Charlie, on conteste. En affirmant les choses clairement, ça fait réfléchir. Il faut un peu bousculer les gens, sinon ils restent sur leurs rails ». C’est réussi.

Geoffroy Clavel


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message