Les élections européennes de 2014 ou le moment tournant dans la courte histoire du Front de gauche

mercredi 30 décembre 2015.
 

En mai 2014, sur le plateau de France 2, sa tristesse apparaissait brute, nature, sans faux semblant, dans toute sa violence. Juste avant que son visage disparaisse dans les paumes de ses mains, Jean-Luc Mélenchon regardait la présidente du FN exprimer toute sa joie d’avoir remporté pour la première une élection nationale. Ses yeux exprimaient toute sa consternation d’avoir encore échoué, lui qui avait promis au peuple de gauche de le débarrasser de ce qu’il considérait non seulement comme un « poison mortel » pour toute la société française, mais également le verrou à faire sauter pour permettre un rééquilibrage des forces en faveur de la « gauche alternative » dans le champ politique à gauche : « Il faut pour des raisons morales, affectives que vous connaissez mais aussi pour des raisons politiques que nous levions le verrou que les Le Pen père, fille, et je ne sais qui encore, opèrent sur la situation politique" déclarait-il, le 19 avril 2012, lors de son ultime meeting au Parc des expositions de la porte de Versailles, devant plus de 50 000 personnes.

Il n’était plus possible de minorer l’ampleur de l’échec du Front de gauche, cette coalition électorale qui, depuis qu’elle avait vu le jour au printemps 2009, revendiquait l’ambition de disputer au PS la première place à gauche afin d’aider à la reconnaissance de sa vocation gouvernementale et devenir par voie de conséquence un parti jugé légitime pour habiter à terme la maison du pouvoir et réaliser cette « révolution citoyenne » que Jean-Luc Mélenchon appelait de ses vœux. Les faits furent implacables : 6,61% des suffrages exprimés à cette élection européenne, correspondant à 1 252 730 voix, qui permirent l’élection comme député européen de trois candidats seulement. A peine mieux que 2009, et surtout quatre fois moins de voix que lors de la présidentielle de 2012. Beaucoup d’espérances déçues et d’espoirs enterrés ce soir-là. Cette fois-ci, chacun au sein du Front de gauche reconnu l’étendue de la contre-performance, Jean-Luc Mélenchon le premier : « J’ai le cœur qui saigne ce soir en voyant dans quel état est mon beau pays. Mon propre résultat est celui de 2009, donc très décevant ». Cet échec constituait d’autant plus une meurtrissure pour leader du Front de gauche qu’il attendait énormément de cette élection. En effet, combien de fois avait-il rappelé que cette élection européenne devait constituer l’échéance capitale du quinquennat de François Hollande. Depuis plus d’un an et demi déjà, il avait donné rendez-vous, le 25 mai 2014, à tous les déçus, dégoutés, exaspérés du « cours néolibérale », « pro-bisness », « pro-entreprises » assumé par François Hollande et sa majorité présidentielle. Cette élection européenne, cela devait être le moment tournant du quinquennat. Pour permettre à cette césure d’advenir, une seule condition à remplir : arriver devant le PS.

Mélenchon appelait depuis des mois à « renverser la table » lors de ces élections européennes, comme il le déclarait dès le 27 août 2013 : « Nous allons proposer aux Français de renverser la table. Le parti de Hollande peut s’effondrer. Si nous passons devant lui, tout peut changer ». Il prédisait qu’en cas de succès, François Hollande n’aurait d’autres choix que de mettre un vrai coup de barre à gauche, de renoncer à la « politique de l’offre » et de l’appeler lui et les siens à former un nouveau gouvernement pour mener la « politique réellement ancrée à gauche » pour laquelle, selon lui, les électeurs auraient voté le 10 mai 2012. Bien qu’un tel scénario fusse jugé comme tout à fait improbable, d’autant plus qu’il apparaissait évident que quand même bien François Hollande finirait par s’y résoudre, Jean-Luc Mélenchon ne disposerait pas d’une majorité de députés à l’Assemblée nationale pour soutenir cette autre politique, il proposa cette perspective politique aux militants et électeurs du Front de gauche qui vivaient mal l’atonie sociale persistante, autrement dit l’absence de luttes d’ampleurs dans le monde du travail, comme en dehors et ce en dépit des réformes successives entreprises par le pouvoir socialiste.

Jean-Luc Mélenchon croyait-il vraiment réalisable un tel scénario ? Déjà en 2009, alors que le Front de gauche allait connaitre son baptême du feu électoral, il avait proclamé que son objectif était « d’être devant le Parti socialiste aux Européennes ». Or, le Parti socialiste eut beau subir une défaite d’ampleur à cette occasion, réalisant au passage un de ses pires scores avec à peine 16% des suffrages exprimés, manquant même de peu d’être dépassé par le nouveau parti Europe écologie les verts, le Front de gauche n’en était pas moins relégué à dix points.

Cinq ans, plus tard, le leader du Front de gauche fit de nouveau ce pari ô combien risqué dans une nouvelle configuration politique censée lui être plus favorable. Il escomptait, en effet, que la déception ressenti par une franche importante des électeurs de gauche conduisirent nombre d’entre eux à se tourner vers cette « autre gauche » que Jean-Luc Mélenchon et le Front de gauche prétendaient incarner.

Revendiquant sans ambiguïté désormais le statut d’opposant de gauche, et ce après avoir tergiversé pendant les premiers mois d’exercice du pouvoir [1], le Front de gauche escomptait capitaliser sur ce ras-le-bol général, en siphonnant une partie importante des voix du PS lors de ces élections intermédiaires censées apporter la preuve de sa justesse de vue.

Il espérait, à l’instar de la Ligue communiste révolutionnaire au début des années 1980 lors du premier septennat de François Mitterrand, que le temps jouait pour lui et ses camarades. Au fond, il suffisait d’être patient. Déjà, en décembre 1981, une large majorité de délégués de la LCR avait acté officiellement une analyse « triomphaliste » de la situation politique en postulant l’avènement d’une « situation révolutionnaire » en France à moyen terme. D’après ces militants, ô combien optimiste dans leurs prospectives, cette « crise révolutionnaire », jugée inévitable, devait être la conséquence de la contradiction entre les attentes de changements soulevées au sein du monde du travail par la victoire historique de la gauche en mai 1981 et la déception que ne manquerait pas de susciter la politique effectivement conduite par le gouvernement Mitterrand-Mauroy-Fiterman, qui refuserait en dernière instance d’imposer aux décideurs économiques des politiques contradictoires avec la défense de leurs intérêts de classe. Cette déception engendrerait dans bien des secteurs d’activités la radicalisation de nombre de travailleurs saisis de ressentiment à l’encontre d’un gouvernement menant une politique jugée contraire aux engagements du candidat Mitterrand.

Trente ans plus tard, c’est un raisonnement similaire que développaient les dirigeants du Front de gauche. Les socialistes de nouveau au pouvoir allaient finir par payer le prix de leurs forfaitures, de leurs renoncements et autres capitulations. Il fallait que les électeurs fassent, une fois de plus, leur propre expérience de la gouvernance des socialistes pour redécouvrir, ou découvrir pour les nouvelles générations, qu’ils étaient bien les « gardiens temporaires de l’ordre établi » et se mobilisent contre eux que ce soit dans les urnes ou en dehors.

Malheureusement, les résultats aux européennes apportèrent, une fois de plus, la preuve que l’alternance de gestion ne constituait pas automatiquement un terreau fertile pour le développement du vote en faveur des « gauches alternatives ». Le rejet de la politique conduite par François Hollande nourrissait, certes, l’abstention à gauche, mais ne se traduisait nullement par un report de voix vers les candidats du Front de gauche, comme cela avait été tant espéré et attendu. Au contraire, lors de ces élections européennes, en dépit de leur score historiquement bas, les socialistes demeurèrent largement devant le Front de gauche. Le PS plongeait, mais le Front de gauche continuait à stagner dans les bas fonds, presque vingt points derrière le Front National, seule organisation aujourd’hui en mesure d’accéder au second tour de la présidentielle en 2017. L’histoire tendait donc à se répéter trois décennies après l’expérience mitterrandienne. Il ne fait plus de doute que nombre d’électeurs de gauche peuvent parfaitement récuser la politique du pouvoir socialiste sans pour autant adhérer aux solutions radicales préconisées par le Front de gauche.

Lors de ces élections européennes, le Front de gauche a eu la confirmation que son programme souffrait d’abord d’une absence de désirabilité chez les groupes sociaux à il s’était adressé au cours de ces dernières années : ouvriers, employés, fonctionnaires, jeunes précaires, chômeurs. Il en a été de même lors des dernières élections régionales où celui-ci s’est perdu, comme lors des élections départementales, dans un système d’alliances à géométrie variable, le rendant totalement illisible et au final invisible.

L’échec est remarquable. Le Parti de gauche ne dispose plus, au soir du second tour, que de sept conseillers régionaux, tandis que le PCF subit, après les municipales et les départementales, un énième recul avec la perte des deux tiers de ses élus restants, passant de 101 à seulement 29 conseillers. Ce qui est certain, c’est que pour le Front de gauche, dont l’avenir est plus que compromis, il ne suffira plus de fustiger sans ambages les politiques gouvernementales, dont l’orientation demeure toujours subordonnée au respect des grands équilibres économiques, pour que la majorité sociologique reconnaisse, enfin, cette gauche d’opposition comme son correspondant politique.

Que faire, pour ne pas retourner durablement dans la nuit ? Telle demeure la question à laquelle vont devoir répondre dans les semaines et les mois à venir les composantes de ce qu’on continue à nommer le Front de gauche …

Hugo Melchior


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