Le poids nul de la gauche antilibérale (Michel Onfray)

dimanche 25 mars 2007.
 

Voilà, ils sont douze, dont cinq à la gauche du parti socialiste, donc à gauche. Dans l’ordre aléatoire du Conseil Constitutionnel : Olivier Besancenot, Marie Georges Buffet, Gérard Schivardi, José Bové et Arlette Laguiller. Soit : Ligue Communiste révolutionnaire, Parti Communiste français, Parti des Travailleurs, Alter mondialisme, et Lutte Ouvrière. Cette explosion de candidatures est malheureuse. A l’heure de l’ouverture de la campagne officielle, je dois bien constater que mon engagement public pour un José Bové qui aurait rassemblé cette pléiade de gauche a échoué et qu’il en va désormais de sa candidature comme d’un ajout de la division à la division. Clémentine Autain avait raison...

Cette force désunie, cet éclatement de la gauche antilibérale, cette dispersion qui est aussi volatilisation me navre. Et je ne suis pas le seul... Nous ne pèserons rien du tout. Quelques plumes, autant dire un dérisoire qui fera sourire ou rire nos adversaires, et ils auront bien raison... Les choses se joueront entre les « grands » - ou plutôt les gros...- et , dans un hypothétique second tour, la candidate socialiste n’aura aucun souci à se faire d’une force inexistante parce que partie au combat en désordre de marche. Le poids nul de la gauche antilibérale la conduira à se tourner vers son tropisme libéral naturel : nous n’avons pas fini d’entendre parler de François Bayrou. Et de Dominique Strauss-Kahn.

Ces cinq candidats disposent chacun d’atouts majeurs qui disparaissent dès lors qu’ils sont joués dans un jeu personnel :

Olivier Besancenot montre une intelligence redoutable, une excellente connaissance des dossiers, un pouvoir de frappe médiatique considérable. Il s’inscrit dans un mouvement politique anti-stalinien de la première heure, et il peut sans vergogne signer un éloge de Louise Michel - qu’il cite régulièrement par ailleurs - dans une page « Rebonds » de Libération. Dans un dîner qui nous rassembla avec Alain Krivine et Daniel Bensaïd, Olivier Besancenot affirmait ne pas être trotskyste, et je le crois volontiers, car lui-même et ses deux comparses savent que les temps ont changé et que la cristallisation d’une gauche mouvementiste peut constituer une identité nouvelle pour une Ligue rénovée.

Marie Georges Buffet incarne une gauche responsable, qui connaît de l’intérieur, pour le meilleur et pour le pire, le fonctionnement de tous les échelons du pouvoir - de la commune à Matignon. Laissons de côté le pire, gardons ici le meilleur : elle défend une gauche qui compose avec le réel et ne rêve pas ; elle a le sens de l’idéal, sans pour autant croire qu’il ne faut jamais lui faire rencontrer la réalité ; elle draine une histoire qui a mobilisé les ouvriers, les employés, les modestes et les gens de peu pour obtenir de réels acquis sociaux ; elle dispose d’un maillage militant national dévoué corps et âme à sa cause ; elle est forte d’un réseau d’élus qui travaillent sur le terrain.

J’avoue moins connaître Gérard Schivardi soutenu par le Parti des travailleurs. Je découvre sur son site qu’il propose de défendre le service public, la république laïque et les 36.000 communes françaises contre leur regroupement forcé en communautés, la rupture avec l’union européenne et qu’il affirme dans ses principes reconnaître la « lutte des classes ». Le PT regroupe officiellement des sensibilités diverses : socialiste, communiste, anarcho-syndicaliste et communiste internationaliste (trotskyste). A défaut d’en savoir plus, ma fibre anarcho-syndicaliste trouve son compte à ce que la tradition de Fernand Pelloutier - un penseur qui compte dans mon panthéon personnel...- puisse être revendiquée aujourd’hui...

José Bové me plaît pour son tempérament libertaire revendiqué, son action de syndicaliste paysan - anarcho-syndicaliste lui aussi-, sa lecture mondialisée du monde, sa proposition d’un alter mondialisme dans lequel il joue un rôle important dans nombre de pays du globe, son indépendance partisane, son inorganisation - pour le meilleur et pour le pire-, son incarnation des philosophies dont il se réclame - par exemple La désobéissance civile de Thoreau-, et ce jusqu’à la prison, sa façon d’être en phase avec la jeune génération ( les moins de trente ans) par ailleurs tellement dépolitisée , sa double écologie locale-rurale et mondiale- planétaire aux antipodes de sa version mondaine.

Enfin, Arlette Laguiller représente contre vents et marées la pureté idéologique, le sillon imperturbablement tracé, le défaut total de compromission, un genre de kantisme en politique radicale, un souci jamais pris en défaut de « la classe ouvrière » et de la défense des « travailleurs, travailleuses ». J’aime, pour l’avoir entendu le raconter sur une antenne de radio, qu’on propose aux aspirants militants de Lutte ouvrière la lecture d’un certain nombre de livres, dont des romans, pour disposer d’une vision du monde qui ne soit pas qu’un cliché produit par les brochures du parti.

Le lieu n’est pas de pointer ce qui nous sépare les uns les autres. Je le fais par ailleurs, ce qui me vaut régulièrement des insultes, des menaces, et parfois des passages à l’acte. Peu importe...

Dans le programme de ces cinq candidats, on trouve le matériau d’un rassemblement possible, d’une union pensable, sinon d’un parti, du moins d’une coalition, disons d’une coordination : tout ceci pourrait contribuer à la formation d’une gauche libertaire dans laquelle nous devrions pouvoir (r)assembler, agencer : le style libertaire d’Olivier Besancenot, la volonté responsable de Marie Georges Buffet , la méthode anarcho-syndicaliste de Gérard Schivardi, l’écologie locale/globale de José Bové, et la clarté de ligne d’une Arlette Laguiller.

En laissant de côté les Partis, les organisations, les machines à perdre que sont souvent les appareils, en passant par-dessus les egos que pourraient contraindre d’authentiques mécaniques électives internes à mettre au point, en mettant sur pied une union de la gauche radicale, en cristallisant dans une forme inédite ces énergies considérables, mais nulles quand elles ne sont pas coalisées, nous pourrions éviter qu’un référendum gagné hier se transforme en candidatures éparpillées aujourd’hui.

Pour la gauche antilibérale, les élections sont d’ores et déjà perdues, car elle ne pèsera rien du tout et n’infléchira aucunement l’équipe de Ségolène Royal. Car qui composerait avec rien ? Pour la suite, car elle aura lieu, et ce dès aujourd’hui, un rassemblement trans-partis s’impose. Car le libéralisme ne peut être l’horizon indépassable de notre époque. Il doit y avoir une vie - et non une survie- après Sarkozy, Bayrou ou Royal dont probablement l’un d’entre eux présidera aux destinées de la France pendant cinq ans. Au moins...

De : michel onfray samedi 24 mars 2007


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