Construire la force démocratique de la société face aux néofascismes

vendredi 18 décembre 2015.
 

La force démocratique contre les monstres par Christian Laval, sociologue

L’état d’urgence qui a très vite donné à l’administration policière des pouvoirs extraordinaires a eu des effets d’inhibition encore difficilement mesurables sur la population. Au lieu de permettre une «  prise de parole  » collective, le gouvernement a interdit toute mobilisation réelle, même sur des sujets n’ayant rien à voir avec le terrorisme, comme la COP 21. La société attaquée à travers sa jeunesse n’a pas eu le droit de s’exprimer, encore moins d’agir, elle a été réduite à la passivité. C’est, en somme, l’inverse de ce qui s’est passé en janvier 2015, et surtout en mars 2004 à Madrid, après les 200 morts de la gare d’Atocha. Le gouvernement ne fait qu’épouser la ligne autoritaire de l’extrême droite et de la droite extrême en faisant de l’État, et de l’État seul, réduit en réalité à son bras armé, le protecteur de la société en empêchant cette dernière de se mobiliser. Le gouvernement affaiblit encore un peu plus les ressorts démocratiques qui pourraient contrer ce qui est en train d’advenir et qu’il faut bien appeler par son nom  : la guerre des identités. Se construisent en miroir dans nos sociétés des blocs identitaires, religieux, ethniques, nationalistes, en lutte à mort les uns contre les autres. La source n’en est pas mystérieuse. La déstabilisation de la société par les politiques néolibérales et la mondialisation capitaliste produisent des monstres complémentaires qui à leur tour menacent ce qui reste de force démocratique encore vivace dans nos sociétés.La démocratie libérale ne sera bientôt plus qu’un habillage désuet. L’état d’urgence, appelé à se métamorphoser en norme constitutionnelle, en accélère le déclin. Le néolibéralisme, promu par la droite et par le Parti socialiste, en mine tous les jours sa crédibilité résiduelle.

L’exemple de la Grèce le montre suffisamment. La force démocratique de la société s’est très largement exilée des institutions représentatives, qui ont perdu la confiance d’une large fraction de nos concitoyens. Mais elle existe. Ces dernières semaines, elle s’est manifestée là où des professeurs ont discuté avec leurs élèves et leurs étudiants, là où des maires ont organisé des réunions et permis des échanges entre des gens sous le choc. Elle s’est exprimée partout où se sont réunies spontanément des personnes sur les lieux des meurtres de masse. Mais elle est encore active dans les mouvements sociaux, dans les mobilisations écologistes qui voulaient manifester le 29 novembre, dans les services publics, dans les syndicats, les associations, les ONG. Elle existe partout où il y a désir de penser et d’agir en commun. Elle existe là où des citoyens réfléchissent à des alternatives, à Notre-Dame-des-Landes, par exemple. Elle existe aussi dans ces milliers de petites institutions qui se revendiquent du commun et reconstituent un tissu de solidarités locales et concrètes. Pas de certitude, donc, sur ce qui va arriver, mais des questions. La dérégulation, la déstabilisation, la désocialisation qui nourrissent ensemble l’extrême droite et le fondamentalisme religieux vont-elles se poursuivre encore longtemps  ? Il semble bien que la vague qui propulse les forces politiques les plus dangereuses en Europe et en France ne va pas s’arrêter du jour au lendemain, surtout si rien ne vient freiner un néolibéralisme déchaîné. Mais la réponse de la société «  d’en bas  », si elle n’est pas entravée par une politique autoritaire «  du haut  », peut trouver dans les nouvelles pratiques politiques et économiques des bases pour une reconstruction des solidarités et des liens sociaux. Les formes nouvelles du fascisme n’ont pas encore totalement gagné.


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