COP 21 : enjeux, sujets de désaccords et bilan (décembre 2015)

mercredi 9 novembre 2016.
 

- B) Climat : qu’y a-t-il vraiment dans l’accord de Paris ?

- A) La COP 21, c’est parti ! Voici les clefs pour comprendre la négociation

B) Climat : qu’y a-t-il vraiment dans l’accord de Paris ?

14 décembre 2015 / Emilie Massemin (Reporterre)

L’Accord de Paris sur le climat, adopté le 12 décembre, marque une étape, après l’échec de Copenhague, en 2009. Tous les pays, riches et pauvres, sont d’accord pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, et visent un réchauffement inférieur à 1,5°C. Mais pour le reste, le texte est très décevant. Voici son décryptage.

« Ce marteau est petit, mais il peut faire de grandes choses ! » Telles ont été les paroles de Laurent Fabius, président de la COP21, samedi 12 décembre à 19 h 32, au moment de marquer d’un coup l’adoption de l’Accord de Paris. « Un moment historique », ont jubilé de nombreux pays, après un tonnerre d’applaudissements.

Mais que contient réellement cet accord de Paris ? Est-il, conformément à la formule du ministre des Affaires étrangères, « différencié, juste, durable, équilibré et juridiquement contraignant » ? Reporterre est sceptique : il y a quelques bonnes idées, poussées par les pays en développement les plus vulnérables au changement climatique, mais elles ont été affaiblies au maximum par les pays qui ont encore intérêt à polluer.

La portée juridique de l’accord

L’accord de Paris, qui devrait rentrer en vigueur en 2020, compte 17 pages. Il est précédé d’une « décision » de la COP (Conference of parties) de 22 pages, dans laquelle sont précisés certains points de l’accord, ainsi que l’action à mener avant 2020.

La portée juridique de ces deux documents est différente. La décision de COP a un pouvoir juridique relativement faible : elle peut être contredite par la décision de la COP suivante.

En revanche, l’accord constitue un traité, s’il est ratifié par 55 pays représentant 55 % des émissions, et c’est un acte juridique international dont les dispositions engagent les Etats qui le ratifient.

Cependant, la force juridique d’une proposition dépend de plusieurs critères – place et formulation. Par exemple, une proposition comme « respecter, promouvoir et prendre en considération les droits de l’homme » n’est pas contraignante si elle est placée dans le préambule de l’accord.

Si elle se trouve dans un article, elle est contraignante si elle est formulée au présent ou au futur simple « les parties doivent respecter, promouvoir... », pas contraignante si elle est formulée au conditionnel « les parties devraient respecter... ». Cette nuance entre temps simple et conditionnel est également valable pour la décision de COP. Le document actuel, qui regroupe décision et accord, compte 141 propositions formulées dans un temps simple, et 41 formulées au conditionnel.

Mais la contrainte est toute politique, puisque l’ONU ne prévoit pas de sanction pour les mauvais élèves. Qui ont la possibilité de quitter l’accord trois ans après son entrée en vigueur, sans être inquiétés (article 28). Ne pas dépasser 1,5°C et plafonner les émissions - mais sans date et sans moyen

Les pays se sont fixé un objectif de long terme réellement ambitieux : « [Contenir] l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en-dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et [poursuivre] l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels » (article 2, paragraphe 1. a)).

Cette mention à une limite de 1,5°C a été portée par les pays les plus vulnérables au changement climatique, en premier lieu les petits Etats insulaires, qui ont réussi à imposer leur volonté face aux réfractaires (Arabie Saoudite, en premier lieu). Cependant, l’accord ne spécifie aucun moyen véritable pour atteindre cette ambition.

Il est seulement précisé que « les parties cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de GES [gaz à effet de serre] dans les meilleurs délais, (...) et à opérer des réductions rapidement par la suite, (...) de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle » (article 4, paragraphe 1).

En clair, cela signifie que les Etats ne devront plus émettre de GES qu’ils ne seraient pas capables d’absorber (en plantant des forêts, en changeant de pratiques agricoles de sorte à améliorer le stockage du carbone dans le sol, etc.).

Cette formulation est décevante, alors qu’une précédente version du texte proposait des objectifs précis de réduction des émissions (40-70 % voire 70-95 % de réduction des émissions en 2050).

Tous les Etats publieront leurs objectifs d’émissions

Chaque Etat doit se donner des objectifs de réduction des émissions de GES, indiqués dans une contribution nationale remise à la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC). Aujourd’hui, 189 pays ont remis leurs contributions.

Mais ces efforts nationaux additionnés ne suffisent pas à contenir le réchauffement sous la barre des 2°C, a fortiori de 1,5°C, comme le reconnaissent les Parties (paragraphe 17 de la décision de COP). Un cycle de révision de cinq ans des contributions nationales a donc été inscrit dans l’accord (article 4, paragraphe 9), ce qui est une très bonne chose. Mais le premier bilan mondial des contributions nationales n’aura lieu qu’en... 2023 (article 14, paragraphe 2). Un peu tard pour rectifier le tir !

Par ailleurs, « la [contribution] suivante de chaque partie représentera une progression par rapport à la [contribution] antérieure et correspondra à son niveau d’ambition le plus élevé possible », indique l’accord (article 4, paragraphe 9). Mais rien de plus précis : l’article 4 (paragraphe 4), qui engageait les pays développés à « montrer la voie en assumant des objectifs de réduction des émissions en chiffres absolus, à l’échelle de l’économie », a été reformulé in extremis au conditionnel par les Etats-Unis, juste avant la plénière de clôture de la COP (comme raconté dans Le journal de la COP).

Ce travail commun de publication des "contributions", avec date et méthodologie commune, constitue le coeur opérationnel de l’Accord de Paris, sa seule vraie exigence : tout le monde publiera ses données et ses objectifs, et l’on espère que l’émulation entrainera le mouvement. Ceci prolonge une disposition inscrite dès... 1992 dans la Convention sur les changements climatiques : son article 4.1.a prévoyait l’établissement, la mise à jour périodique et la publication des "inventaires nationaux des émissions".

Aucune action concrète pour limiter les émissions

Pire, les moyens concrets de lutte contre le changement climatique sont éjectés de l’accord et renvoyés à des décisions ultérieures des COP (la prochaine aura lieu en novembre 2016 à Marrakech, au Maroc), à la portée juridique moindre. Les énergies renouvelables ne sont mentionnées que dans le préambule de la décision, et encore, seulement en ce qui concerne les pays en développement et en particulier l’Afrique. Rien sur les émissions liées aux transports maritimes et aériens, ni sur les énergies fossiles. La mise en place d’un prix du carbone n’est mentionné que dans la décision (paragraphe 137). Par contre, l’accord ne ferme pas la porte aux marchés carbone (article 6), sur lesquels les pays riches « achètent » le droit de polluer chez eux à condition de compenser leurs émissions dans les pays en développement. Les pays pauvres victimes du réchauffement privés de recours juridique

Principale victoire des pays les plus vulnérables, la mention d’une limite de réchauffement de 1,5°C. Pour le reste, les principales revendications apparaissent, mais reléguées dans la décision de COP ou dans le préambule. Tout a été bordé pour que les recours juridiques des pays en développement contre les pays développés, pour les obliger à assumer leurs responsabilités de pollueurs historiques, soient quasiment impossibles.

Les pertes et dommages victimes d’une catastrophe non-climatique

Autre revendication importante des pays les plus vulnérables, la mise en place d’un mécanisme de « pertes et dommages » - sorte d’assurance pour les aider à se relever après une catastrophe climatique type typhon, tempête, inondation, etc. Ce mécanisme fait bien l’objet d’un article à part dans l’accord (article 8). Seul problème, il est vide. Tout juste les parties reconnaissent-elles la « nécessité de réduire au maximum les pertes et préjudices » et évoquent-elles le mécanisme international de Varsovie, sans indiquer des objectifs d’aide financière chiffrés. Pire, la décision de l’accord précise que « l’article 8 de l’accord ne peut donner lieu ni servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation » (paragraphe 52).

Les 100 milliards de dollars continuent à jouer l’Arlésienne

En 2009, lors de la conférence de Copenhague, les pays développés avaient promis aux pays en développement de leur fournir 100 milliards de dollars de financements climat, chaque année à partir de 2020. Les pays en développement étaient arrivés à la COP21 avec trois revendications relatives à ces 100 milliards : 1) la garantie d’arriver à rassembler cette somme, 2) le respect d’un équilibre entre aide à l’atténuation (déploiement d’énergies renouvelables, par exemple) et l’aide aux projets d’adaptation aux changements climatiques (construction de digues pour lutter contre la montée du niveau des mers, par exemple), et 3) la promesse que ces 100 milliards constitueront un plancher, régulièrement rehaussé après 2020.

La récolte est maigre. La somme de 100 milliards associée à la notion de plancher a été rejetée de l’accord et reléguée dans la décision de COP (paragraphe 115). L’accord lui-même ne comporte sur ce point aucun objectif chiffré, et seulement des propositions au conditionnel : « Cette mobilisation de moyens devrait présenter une progression par rapport aux efforts antérieurs » (article 9, paragraphe 3) et « la fourniture de ressources financières accrues devrait viser à parvenir à un équilibre entre l’adaptation et l’atténuation » en tenant compte de « la nécessité de prévoir des ressources d’origine publiques et sous forme de dons pour l’adaptation » (article 9, paragraphe 4). Rien non plus sur le fait que ces financements seront additionnels à l’aide au développement déjà apportée, ce qui laisse craindre que des petits malins se contenteront de requalifier en « financements climat » l’aide déjà apportée par ailleurs.

A) La COP 21, c’est parti ! Voici les clefs pour comprendre la négociation

La COP 21 a commencé ses travaux dimanche 29 novembre à 17 h sur le site du Bourget (Seine-Saint-Denis), vingt-quatre heures plus tôt que prévu. Elle devrait s’achever vendredi 11 décembre - ou vraisemblablement samedi matin 12. Pendant deux semaines d’intenses tractations, les 196 Etats-parties de la Convention-cadre des Nations Unies pour les changements climatiques (CCNUCC) devront définir ensemble un accord mondial visant à contenir le réchauffement climatique de 2°C d’ici la fin du siècle, par rapport à l’ère pré-industrielle.

Quels sont les enjeux et les sujets de désaccords ? Quel est le programme des négociations ?

Les enjeux

Les sessions de négociations qui se sont succédé depuis la COP 20 de Lima, n’ont pas permis de préciser le projet d’accord. Le texte issu de la dernière réunion de Bonn, du 19 au 23 octobre, compte toujours 55 pages et contient de nombreuses options contradictoires. Pays développés et pays en développement s’affrontent régulièrement sur le principe de « responsabilité commune mais différenciée ». Celui-ci exprime le fait que les pays du nord sont les responsables historiques des émissions de gaz à effet de serre et qu’ils doivent venir en aide aux pays du Sud, principales victimes du dérèglement du climat.

1 - Les financements climat accordés aux pays en développement

Lors de la conférence de Copenhague en 2009, les pays développés se sont engagés à apporter 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 aux pays en développement, pour les aider à s’adapter aux impacts du changement climatique sur leurs territoires (sécheresses, inondations, phénomènes climatiques extrêmes, etc.). Une partie de cet argent devait transiter par un dispositif appelé le Fonds vert.

Où en est-on aujourd’hui ? D’après un rapport de l’OCDE publié début octobre, le total des financements climat déjà réunis s’élevait à 61,8 milliards de dollars en 2014. Mais ces financements sont en grande partie privés et accordés sous forme de prêts, ce qui les rend peu accessibles aux pays les plus pauvres.

L’effort financier des pays développés n’est pas à la hauteur. En effet, de nombreux pays en développement conditionnent le niveau d’ambition de leurs politiques climatiques à l’aide financière que les pays riches voudront bien leur accorder. Ils n’accepteront pas de signer un accord ambitieux à Paris s’ils n’obtiennent pas en retour de solides garanties financières.

Réunis en pré-COP du 8 au 10 novembre à Paris, les représentants de 70 pays auraient avancé sur le sujet. « Il nous a semblé que l’idée d’un plancher [à l’aide financière accordée aux pays en développement après 2020] était acceptée », a estimé le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius à l’issue des réunions. Mais au G20, les 15 et 16 novembre en Turquie, la question du financement de la lute contre les changements climatiques a été soigneusement mise de côté.

2 - Un mécanisme de révision à la hausse des contributions nationales

Les contributions nationales sont les feuilles de route que presque tous les pays ont remis à l’ONU avant le 1er octobre. Ils y détaillent leurs objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2025 ou 2030, les politiques qu’ils comptent mettre en œuvre pour y arriver, et, pour les pays en développement, les mesures d’adaptation au changement climatique qu’ils entendent adopter. A ce jour, environ 170 pays ont remis leur contribution, ce qui représente plus de 90 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Problème, d’après des études de l’ONU, de Climate Action Tracker, de l’Iddri et de l’Institut Pierre-Simon Laplace, ces contributions ne permettent pas de limiter le réchauffement climatique à 2°C d’ici la fin du siècle – à moins de changements de politiques extrêmement brusques à partir de 2030. Elles entraîneraient plutôt une hausse de température d’environ 3°C en 2100.

Pour rectifier le tir, les ONG plaident pour l’inscription dans l’accord d’un mécanisme de révision à la hausse des contributions nationales, tous les cinq ans. L’idée fait son chemin chez les négociateurs, mais des désaccords subsistent. Lors de la pré-COP, les Etats se sont mis d’accord sur la réalisation d’un « bilan » tous les cinq ans, « permettant de formuler des propositions à la hausse », rapportait Laurent Fabius. Bref, du très flou. Et le projet d’accord qui servira de base aux négociations pendant la COP 21, contient encore des propositions contradictoires sur ce point.

3 - La définition d’un objectif de long terme

L’objectif de rester en-dessous de 2°C de réchauffement d’ici la fin du siècle n’est plus contesté. Mais certains Etats insulaires souhaiteraient que cet objectif soit ramené à 1,5°C, pour les protéger d’un risque de submersion liée à la montée du niveau des mers. Et lors de la pré-COP, l’objectif de long terme évoqué était on ne peut plus vague : « low emission resilient pathway » (« trajectoire d’émissions basses adaptées au climat »). Rien sur la nécessité d’abandonner les énergies fossiles au profit d’énergies renouvelables. Au sujet des 450 milliards de dollars de subventions accordés chaque année par ses membres aux énergie fossiles, le G20 (dont fait partie l’Arabie saoudite) s’est contenté de déclarer, avec une prudence extrême, la nécessité de « rationaliser et lever progressivement à moyen terme les subventions inefficaces ».

4 - Un accord contraignant ?

La France défend l’adoption d’un accord juridiquement contraignant à Paris. Mais cet aspect ne fait pas l’unanimité. Le membre du Conseil sur le changement auprès du premier ministre indien, Chandrashekhar Dasgupta, déclare mi-novembre qu’« insister pour qu’un accord soit contraignant, c’est pousser les Etats à revoir à la baisse leurs ambitions puisqu’ils voudront minimiser les risques ». Dans un entretien publié le 12 novembre dans le Financial Times, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a indiqué que l’accord « ne sera certainement pas un traité » et qu’il « n’y aura pas d’objectifs de réduction juridiquement contraignants, comme cela avait été le cas à Kyoto ». Des déclarations qui n’incitent guère à l’optimisme... Le programme des négociations

Les négociateurs sont déjà à Paris depuis le lundi 23 novembre. Rassemblés à l’Unesco, ils coordonnent leurs positions sur des points clés de l’accord.

De manière inédite, un sommet des chefs d’Etat a lieu lundi 30 novembre sur le site du Bourget. 140 chefs d’Etat sont attendus. La cérémonie d’ouverture commence à 11 h avec un hommage aux victimes des attentats du 13 décembre. Ensuite, les allocutions de François Hollande, du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon et de Laurent Fabius seront suivies par les déclarations de tous les chefs d’Etat et de gouvernement rassemblés dans les deux salles plénières du site.

Mais les négociations à proprement parler auront commencé le dimanche 29 novembre à 17 h, sur le site du Bourget. Soit 24 h plus tôt que prévu, parce que les coprésidents des négociations Ahmed Djoghlaf et Daniel Reifsynder « ont estimé qu’un début anticipé de la session offrirait l’occasion d’utiliser de la meilleure façon possible le temps très limité à disposition pour finaliser les négociations sur le projet d’accord de Paris », rapporte le secrétaire exécutive de la CCNUCC Christiana Figueres.

La première semaine, le « segment technique » des négociations se déroulera. L’ADP (plate-forme de Durban pour une action renforcée), le groupe de travail chargé en 2011 lors de la conférence de Durban de conclure un accord universel de 2015, sera à pied d’oeuvre jusqu’au samedi soir.

La deuxième semaine sera plus politique, avec le début du « segment ministériel ». Après les déclarations des ministres lundi 7 décembre, des discussions informelles auront lieu jusqu’à mercredi soir. « C’est un sas de sécurité pour revoir certains éléments du texte qui restent problématique », indique Alix Mazounie, du Réseau Action Climat.

Puis, dès le jeudi 10 décembre au matin seront adoptées les décisions et les conclusions, jusqu’à l’adoption de l’accord vendredi 11 décembre en début de soirée. Ce qui est en tout cas prévu par Laurent Fabius – mais toutes les COP précédentes se sont prolongées tard dans la nuit, voire jusqu’au samedi dans l’après-midi.

Emilie Massemin (Reporterre)


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