Portugal : le bras de fer avec l’Union européenne a commencé

vendredi 13 novembre 2015.
 

Après la Grèce, le Portugal ? Selon toutes vraisemblances, dans les prochains jours, soutenus par le Parti communiste et les Verts, le PS et le Bloc de gauche (proche de Syriza) formeront un gouvernement « pour tourner la page de l’austérité ». Une alliance inédite qui ouvre la voie à une nouvelle épreuve de force entre la Troïka et un pays de l’Union européenne.

Ce mardi 10 novembre 2015, le gouvernement de coalition de la droite portugaise va très certainement être mis en minorité à l’assemblée par les députés des partis de gauche, grands vainqueurs des élections législatives du 4 octobre (50,7% des suffrages, 121 sièges sur 230), ouvrant ainsi la voie à un gouvernement PS-Bloc de gauche, soutenu par la Coalition démocratique unitaire (CDU) qui regroupe le Parti communiste portugais et les Verts.

Si le chef du Parti socialiste portugais, Antonio Costa, a finalement rejeté l’offre de la droite portugaise de gouverner avec elle pour, finalement, s’allier avec les autres partis de gauche, c’est qu’il est parvenu, au prix d’intenses négociations, à verrouiller les ambitions de ses partenaires. Ainsi, sur le papier, l’Union européenne et la Troïka peuvent-elles se rassurer, puisque les adversaires les plus résolus de l’austérité eurocratique, le parti communiste et le Bloc de gauche, s’engagent avec le PS à ne pas remettre en cause « les engagements européens et internationaux ».

DANS LES RAILS DE L’EUROCRATIE ?

En clair : exit toute remise en cause des fondements de l’austérité en Europe, l’Euro et le carcan budgétaire imposée à ses États membres par l’Union européenne. Exit aussi les appels de l’ancien ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, qui, de passage au Portugal le 17 octobre, adjurait le chef du PS portugais de ne pas « s’engager à respecter les règles européennes »,« fondamentalement irrationnelles » s’il parvenait à former un gouvernement alternatif de gauche. Le promoteur d’un « Plan B en Europe » réaffirmait que, pour assurer l’avenir de la zone euro, « nous devons violer ces règles d’un commun accord et créer de nouvelles règles nationales ».

Dès samedi soir, le PS a annoncé un programme de gouvernement qui prévoit notamment de supprimer l’austérité à un rythme plus rapide qu’initialement prévu : fin du gel des retraites au 1er janvier, augmentation du salaire minimum de 505 à 530 euros dès 2016, suppression d’une surtaxe de 3,5% sur les revenus entre 2016 et 2017, fin des coupes dans les salaires des fonctionnaires, limitation de la privatisation de la compagnie aérienne TAP... Le tout, insiste Antonia Costa, avec un déficit budgétaire de 2,8% du PIB, pour 2016, qui respecte les critères du traité budgétaire européen.

Le PS portugais et ses alliés vont-ils réussir, là où Syriza en Grèce a échoué, soit qu’un gouvernement démocratiquement élu d’un pays souverain peut, dans le cadre de l’Union européenne et de l’Euro, soulager son peuple en défaisant, même très modérément, les lacets de la camisole de force austéritaire, sans s’attirer les foudres d’une Eurocratie cramponnée à son dogme néolibéral ?

UNE RÉPÉTITION DU SCÉNARIO GREC ?

À cette question, à propos de la Grèce, Frédéric Lordon affirmait, dès le 19 janvier 2015, que « l’alternative pour Syriza est donc des plus simples : plier ou tout envoyer paître », « non pas caler le pied de table, pour ravauder son estime de soi avant de passer dessous, mais la renverser ». Et de conclure, que « pour tous ceux qui, au loin, contemplent dans un mélange d’inquiétude, de doute et d’espoir ce qui peut advenir en Grèce, il ne reste qu’une chose à faire vraiment : contre la force gravitationnelle des institutions qui s’efforce de ramener les déviants à leur ordre, rappeler à Syriza, en ce point de bifurcation où elle se trouve, tout ce qui dépend d’elle – et qui est considérable : contester vraiment l’austérité de la seule manière possible, la rupture, signifier à la face de l’“Union” la sédition ouverte d’avec son ordre néolibéral, c’est-à-dire créer un événement libérateur, pour le peuple grec, mais aussi pour tant d’autres qui espèrent avec lui ».

Le moins que l’on puisse dire est que ce n’est pas ce chemin qui est emprunté par les partis de gauche au Portugal. Mais, pour autant, c’est peut-être paradoxalement dans l’hétérogénéité politique de l’alliance contre nature entre le PS, le Bloc de gauche, le Parti communiste et les Verts que se nichent d’autres possibles.

Charnière de la future « union » de la gauche, le Bloc de gauche sera-t-il un nouveau Syriza qui, faute de « tout envoyer paître »a fini par « plier » ? Oui, peut-être, si l’on s’en tient à sa définition donnée par l’une de ses fondatrices, Alda Sousa (ICI), pour qui « dès sa formation, le Bloc s’est défini comme pro européen de gauche. Tout en étant très critique sur le procès de construction européenne, ses choix économiques et sociaux et ses traités, le Bloc a refusé la vision souverainiste du PCP pour qui l’Union européenne est une agression dirigée contre les peuples. Notre objectif, c’était une refondation démocratique de l’Union européenne, basée sur la participation des peuples et les droits sociaux. » Non, sans doute, quand on entend un autre responsable historique du Bloc de gauche, Francisco Louçã, affirmer récemment que « la crise grecque a montré qu’on ne peut pas négocier une restructuration de la dette sans être préparé à rompre avec l’euro ».

Une chose est certaine : le peuple portugais ne va pas tarder à savoir ce que veut dire concrètement le Bloc de gauche lorsqu’il précise que l’accord conclu avec les socialistes vise « à défendre les emplois, les salaires et les retraites »...

RIEN N’EST JOUÉ

À l’heure de vérité d’un gouvernement qui proclame sa volonté de « tourner la page de l’austérité », les partis de la gauche lusitanienne, y compris le Parti socialiste, sont traversés de contradictions et de débats sur la compatibilité de leur programme social avec l’Europe actuelle. Et ce d’autant plus que, dans le bras de fer qui s’annonce avec l’Eurocratie néolibérale, il y a fort à parier que les salariés, en particulier avec la CGTP (Confédération générale des travailleurs portugais), dominée par le Parti communiste, très en pointe depuis des années contre les politiques austéritaires de la droite, ne vont pas rester l’arme au pied. De même le futur gouvernement de gauche devra-t-il compter avec la société portugaise qui, depuis quatre ans, a su, à plusieurs reprises, se mobiliser massivement contre l’austérité en dehors des partis et des syndicats.

Ainsi, notamment, on se souvient des marées humaines qui défilèrent à Lisbonne et dans plusieurs villes du Portugal, le 2 mars 2013, pour exiger la démission du gouvernement et l’arrêt de la politique d’austérité imposée par les créanciers internationaux. Parmi les 100 000 personnes présentes dans la capitale, certaines entonnaient la Grandola, symbole de la Révolution des oeillets d’avril 1974 qui mit fin à la dictature salazariste. Ces manifestations étaient organisées, via Internet, à l’appel d’un groupe de militants baptisé : « Que la Troïka aille se faire voir ».


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