Par Anne Debrégeas et Marc Porcheron
Chercheurs - Syndicat SUD Energies
Le débat sur l’avenir du secteur de l’Energie concentre les enjeux relatifs aux Services Publics et ceux spécifiques à ce secteur : maîtrise du risque nucléaire, lutte contre le réchauffement climatique, pénurie énergétique... A gauche, un consensus semble se dégager autour d’un « pôle public de l’Energie » fondé sur une fusion EDF-GDF, ce qui sous-entend que pourrait subsister un pôle privé. Ce consensus passe sous silence la question essentielle : le marché est-il compatible avec le service public ?
L’exigence d’un retour à une gestion et à une propriété exclusivement publiques de l’ensemble du secteur énergétique semble avoir été abandonnée au nom de deux arguments principaux :
D’une part, l’existence de directives européennes auxquelles la France serait tenue de se conformer. Sauf à ignorer le rejet massif du Traité constitutionnel lors du referendum de 2005, qui reprenait ces directives, cet argument n’est pas acceptable.
D’autre part, l’ouverture du marché serait un moyen d’éviter les dérives du monopole public, perçu comme opaque et non démocratique, et tenu pour responsable de choix contestables en matière de politique énergétique (défense du « tout nucléaire » ou promotion du chauffage électrique par exemple).
Si certains défauts du monopole historique méritent d’être corrigés, l’ouverture à la concurrence, engagée en France depuis 2000, représente un remède bien pire que le mal.
Tout d’abord, la concurrence induite par l’ouverture des marchés ne garantit en rien la coexistence d’acteurs diversifiés qui permettrait au citoyen d’imposer des politiques énergétiques positives (maîtrise de la demande, protection de l’environnement...). Bien au contraire, du fait du coût élevé des infrastructures, elle ne peut conduire qu’à l’émergence d’un système d’oligopoles transnationaux échappant à tout contrôle citoyen ou étatique, et ayant tout pouvoir pour manipuler les prix, ce que l’on constate déjà en Europe.
Deuxièmement, par nature, la concurrence rend aléatoire l’évolution des prix et des parts de marché et impose la rentabilité financière immédiate comme critère déterminant. Ce contexte conduit les opérateurs à négliger les investissements long terme qui garantissent la continuité du service et la sécurité des installations, et qui permettent le développement de sources d’énergie non immédiatement rentables. Cette logique s’impose aux entreprises publiques soumise aux règles concurrentielles, en dépit des contrats de Service Public signés avec l’Etat. A titre d’exemple, EDF a diminué ses budgets de recherche de 30% depuis l’ouverture du marché, avant même que son capital soit ouvert.
Troisièmement, la concurrence rend inapplicable les objectifs d’accès équitable au service ou d’aménagement du territoire, car ils nécessitent une régulation des prix incompatible avec le marché. C’est pourquoi l’Union Européenne ne cesse de dénoncer l’existence de tarifs régulés par l’Etat, qui constitue pour elle une distorsion aux règles de la concurrence. Ces tarifs, aujourd’hui moitié moins élevés que les prix de marché, sont appelés à disparaître après une phase transitoire, exposant les usagers à des prix incontrôlés. La solidarité se réduira alors au traitement des cas extrêmes.
Enfin, le secteur électrique est soumis à des contraintes techniques particulières, liées à l’absence de stockage et au coût élevé du transport, qui imposent de maintenir à tout instant un équilibre parfait entre la consommation et la production au risque d’entraîner une coupure généralisée. La séparation des activités de production, de transport et de distribution, imposée par la Commission, la multiplication d’intermédiaires spéculant sur les prix, conduisent à déstabiliser cet équilibre fragile. Il ne peut en résulter qu’une baisse de fiabilité du réseau, et des hausses de prix incontrôlées pour le consommateur.
Au-delà d’éventuels désaccords sur certains choix énergétiques, en particulier sur le nucléaire, l’analyse du bilan de la libéralisation devrait conduire l’ensemble de la Gauche à exiger une sortie effective du marché, sans signifier pour autant un retour au statu quo ante. Nous devons certes tirer les leçons des erreurs passées pour proposer un nouveau modèle de développement pour le secteur public de l’énergie, plus démocratique et solidaire, et capable de prendre en compte les exigences nouvelles en matière environnementales. Mais ce serait une erreur historique pour la Gauche de renoncer à revendiquer la sortie du marché, que ce soit par peur d’affronter l’Europe, ou par adhésion à la croyance en la « main invisible du marché » capable de résoudre miraculeusement la question essentielle du contrôle démocratique sur la politique énergétique.
Nous faisons donc les propositions suivantes :
1) L’instauration d’un contrôle citoyen de la politique énergétique et du service public de l’Energie, fondé sur la négociation et le suivi par les représentants des citoyens (élus et associatifs) des contrats de service public. Il implique la mise en place d’organismes de contrôle et d’expertise indépendants, dotés de moyens et d’instances de recours.
2) La possibilité d’une décentralisation des décisions et soutien à des initiatives locales favorisant l’expérimentation et la promotion des énergies renouvelables.
3) Un statut des agents leur garantissant une indépendance vis à vis de leur hiérarchie, indispensable à l’exercice du droit d’alerte.
4) Un effort financier important en matière de Recherche sur l’Energie.
5) Une politique volontariste de réduction de la consommation, impliquant une augmentation massive des moyens de l’agence en charge de cette question (Ademe), des mesures incitant ou contraignant au développement de comportements sobres et économes en énergie.
6) Une garantie de l’accès à l’Energie pour tous, ce qui suppose l’arrêt des coupures, le maintien d’un service public de proximité et une politique de prix fondée sur la redistribution et favorisant les économies d’énergie - par exemple en introduisant un prix fortement progressif en fonction de la consommation.
7) Le retrait de toute prise de participation dans les opérateurs étrangers et la réorientation vers des collaborations, l’élaboration de normes environnementales et sociales, des stratégies collectives d‘approvisionnement, au niveau européen notamment. Ces principes doivent être promus par la France face à la Commission Européenne.
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