Le texte de la COP 21 n’est pas à la hauteur du danger climatique

lundi 26 octobre 2015.
 

La négociation sur le climat reprend à Bonn ce lundi 19 octobre. Mais le texte dont discutent les Etats est vide d’engagements et n’est pas à la mesure du défi climatique. Si rien ne bouge fortement, estime Maxime Combes, une seule voie est possible : « Rejeter clairement ce texte parce qu’il n’est pas à la hauteur des enjeux. »

Un crime climatique est en train de se dérouler, sous nos yeux, dans le cadre des négociations de l’ONU sur le changement climatique, qui ont repris ce 19 octobre 2015 à Bonn (Allemagne), pour une dernière session intermédiaire.

À moins de cinquante jours de la COP21 (30 nov. - 11 déc.), les négociateurs vont dire s’ils acceptent le texte récemment rendu public (disponible ici) comme une base de discussion. Ce nouveau texte, réduit à une vingtaine de pages, a été salué comme un texte « plus court, plus lisible » qui « permettra de faire avancer les négociations ».

Cela reste à démontrer. Regardons de plus près. À l’ONU, on négocie le contenant. Pas le contenu

Tout d’abord, aussi incroyable que cela puisse paraître, il ne sera pas question à Paris de négocier les objectifs de réduction d’émission que les États sont invités à rendre publics avant la COP21. Ces objectifs, qui concernent la période post-2020 et qui sont volontaires et non contraignants, et aujourd’hui largement insuffisants, ne seront pas revus à la hausse sous l’effet des négociations. Les objectifs annoncés conduisent à un réchauffement climatique d’environ 3 °C d’ici la fin du siècle. Il semblerait logique que l’écart entre le réel et le souhaitable – 2°C maximum ou mieux 1,5 °C – fasse l’objet de négociations et que cet effort supplémentaire soit réparti entre les États. Logique, mais ce n’est pas à l’ordre du jour. Ce qui est à l’ordre du jour ? Savoir si ces objectifs s’appelleront « contributions » ou « engagements », comment on les mesure, les vérifie et les comptabilise. À l’ONU, on négocie le contenant. Pas le contenu.

L’article 3 de ce texte est emblématique de son inconsistance et du danger qu’il fait naître. Les scientifiques du climat ont clairement posé les objectifs de court, moyen et long terme, ainsi que les feuilles de route, qui permettraient de rester en deçà de 2 °C d’ici à la fin du siècle. Ils préconisent de réduire de 40 à 70 % les émissions mondiales d’ici à 2050, avec un maximum atteint d’ici à 2020, et de les contenir en deçà de 44 gigatonnes de CO2 équivalent carbone (Gt CO2-eq) en 2020, 40 Gt en 2025 et 35 Gt en 2030. Aucun de ces objectifs à court et moyen terme, qui résultent des travaux du GIEC, ne sont mentionnés dans le texte. Que propose ce texte ? On ne sait pas. Peut-être un pic d’émissions pour une année à déterminer, ou des termes encore plus flous autour de la neutralité carbone, du zéro-net émissions, ou de faibles émissions. L’ONU et les négociateurs proposent donc de négocier avec le climat.

Les compagnies pétrolières, gazières et charbonnières se frottent déjà les mains

Mieux. Voilà vingt pages d’un texte supposé définir un plan d’action contre le réchauffement climatique qui n’évoquent jamais les énergies fossiles. Ce texte fait comme s’il était possible de réduire les émissions de gaz à effet de serre sans agir sur ce qui les génère : au moins 80% des émissions résultent de la combustion des énergies fossiles. Les compagnies pétrolières, gazières et charbonnières, qui ne cessent de répéter qu’elles ne veulent pas geler leurs réserves, se frottent déjà les mains. Ce d’autant plus que le texte ne prévoit rien en matière de déploiement des énergies renouvelables : là aussi les préconisations du GIEC sont ignorées.

Chefs d’État et de gouvernement, négociateurs, commentateurs, ne cessent de se féliciter de négociations qui, pour la première fois, permettraient d’aboutir à un « accord universel », concernant l’ensemble des pays de la planète. En plus de ne pas être très sérieuse sur le fond, cette assertion est remise en cause par le nouveau texte : l’aviation et le transport maritime, qui comptent respectivement pour 5 % et 3 % des émissions mondiales de CO2, soit les émissions respectives de l’Allemagne et de la Corée du Sud, sont exemptés de tout objectif de réduction d’émissions. Et ce alors que les émissions de ces deux secteurs pourraient augmenter de 250 % d’ici à 2050 si rien n’est fait. L’universel qui laisse de côté près d’un dixième des émissions mondiales n’est donc plus vraiment universel.

Il y aurait également beaucoup à dire sur les financements, les fausses solutions, la façon dont les droits humains, sociaux et politiques sont marginalisés. Les ONG, associations et syndicats qui disposent d’une accréditation pour suivre les négociations vont tenter, depuis l’intérieur, d’éviter le pire et de limiter la catastrophe annoncée. C’est leur job. Laissons-leur.

En vingt-trois ans de négociations, les émissions ont augmenté de 60 %

Là n’est plus l’essentiel. Si ce texte ne répond pas à l’urgence climatique, ne faut-il pas l’exprimer clairement ? Nous qui sommes sincères dans notre engagement pour la justice climatique, devons-nous faire comme si ce texte pouvait être une base de discussion, ce qui revient peu ou prou à laisser entendre que les négociations sont sur la bonne voie ? Ce n’est pas le cas. En vingt-trois ans de négociations, les émissions ont augmenté de 60 % : de quelle manière faire la même chose qu’avant pourrait-il conduire à un résultat différent ?

Pourquoi ne pas exprimer notre consternation face à des négociations qui nous conduisent à la catastrophe climatique ? Rejeter clairement ce texte parce qu’il n’est pas à la hauteur des enjeux, c’est indiquer explicitement à l’opinion publique qu’il y a un problème. C’est générer une tension politique qui pourrait être salutaire. Un éventuel sursaut politique et citoyen n’est-il pas à ce prix ? Une telle proposition revient à expliquer clairement que, derrière les beaux discours, il n’y a rien. C’est enfin jouer notre rôle de lanceur d’alerte.

Si nous ne le faisons pas, qui le fera donc à notre place ?


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