Loi santé Une forêt des renoncements

jeudi 8 octobre 2015.
 

Le projet de loi santé fait couler beaucoup d’encre. Il suscite notamment des mouvements de blocage à l’initiative de la majorité des syndicats de médecins libéraux, à l’exception notable du Syndicat de la médecine générale (SMG). Ils ont en effet multiplié les arguments de mauvaise foi pour lutter contre la généralisation du tiers payant, affirmant ici ou là que cela risquerait de dévaloriser leurs actes, d’entrainer une surconsommation des soins ou encore, comble de l’horreur, de rendre les médecins libéraux dépendants de l’Assurance maladie. Le tiers payant est pourtant pratiqué en Allemagne et aux Pays-Bas sans qu’ait été constaté une telle dévalorisation. Quant à la « surconsommation » invoquée par ces syndicats réactionnaires, c’est en fait le résultat d’un meilleur recours aux soins de la part de ceux qui y renonçaient auparavant. Enfin, s’agissant de la dépendance vis-à-vis de l’Assurance maladie, elle existe déjà puisque cette dernière solvabilise la patientèle des médecins libéraux et leur fournit 10% de leur rémunération sous forme forfaitaire.

Aborder la future loi santé en la réduisant à la seule question de la généralisation du tiers payant, ou à celle, plus anecdotique, du paquet de cigarettes neutre (supprimé cette semaine par le Sénat), ce serait toutefois passer à côté de ses nombreuses insuffisances et de consternants renoncements.

En effet, il y a déjà beaucoup à dire sur ce que contient cette loi, mais le plus grave est ce qu’elle ne contient pas.

Des déclarations d’intentions qui resteront lettre morte dans le contexte politique actuel :

Au delà de la question du tiers payant généralisé, qui permettra de réduire (un peu) le taux de renoncement aux soins, d’autres annonces auraient pu constituer des avancées…à condition de ne pas faire preuve de duplicité.

Il est bien beau, comme le fait ce projet de loi, de proclamer que l’on veut promouvoir la santé en milieu scolaire. Encore faudrait-il ne pas, dans le même temps, laisser dépérir la médecine scolaire. De même, on peut saluer la suppression du délai de réflexion lors d’une demande d’IVG, mais cela ne fera pas oublier la fermeture de nombreux services pratiquant des IVG. Plus hypocrite encore, un chapitre est intitulé « Soutenir les services de santé au travail », alors même que ce gouvernement a commandé un rapport qui propose de démanteler encore un peu plus la médecine du travail.

La liste serait encore longue, de ces promesses ou mesurettes aussitôt contredites par des décisions politiques récentes, à l’image de ces logos nutritionnels censés faire oublier que ce gouvernement ménage le lobby agro-alimentaire le plus productiviste. Autre gadget qui pourrait faire sourire si le sujet n’était pas aussi grave, l’instauration d’un numéro d’appel unique pour trouver un médecin de garde. Il n’est pas sûr que ce numéro d’appel rassurera les citoyens qui vivent de plus en plus nombreux dans des déserts médicaux.

La poursuite de l’austérité à l’hôpital et des données de santé bientôt exploitées à grande échelle par des acteurs privés :

S’agissant des établissements publics de santé, ces derniers vont devoir intégrer un groupement hospitalier de territoire (GHT) avec pour seul objectif de réaliser des économies. Cela se traduira par la poursuite de la fermeture de certains hôpitaux et des conditions de travail toujours plus dures pour le personnel. La loi santé va donc renforcer l’éloignement des hôpitaux pour une grande partie de la population, qui sera soignée par du personnel toujours plus épuisé.

Concernant les données personnelles de santé, celles-ci risquent de devenir de plus en plus accessibles, au bénéfice des acteurs privés (assureurs, laboratoires pharmaceutiques mais aussi entreprises du numérique), qui sauront à coup sûr les exploiter et les valoriser auprès de la puissance publique.

Des renoncements insupportables, pour le plus grand bonheur de certains lobbys :

Mais ce sont bien les multiples renoncements qui rendent cette loi particulièrement critiquable. Ils démontrent, s’il était nécessaire, l’absence de volonté de ce gouvernement d’améliorer notre système de santé.

Ainsi, s’agissant de la sécurité sanitaire, alors que les conflits d’intérêts sont multiples au sein des agences chargées de cette mission, rien n’est prévu pour mettre fin à la collusion avec les firmes, notamment pharmaceutiques. Il n’est pas non plus envisagé de modification dans la formation initiale des médecins, alors que de nombreux conflits d’intérêts naissent dès ce moment. Enfin, alors que de nombreuses affaires et révélations ont démontré qu’il y avait bien quelque chose de singulièrement pourri dans l’univers du médicament, nulle trace d’un pôle public du médicament, qui aurait pu être chargé d’effectuer une recherche et une évaluation indépendantes. Avec la loi santé, l’industrie pharmaceutique pourra donc continuer de prospérer sans lien avec l’intérêt général.

Concernant la médecine de ville, les inflexions sont malheureusement minimes. La pratique honteuse des dépassements d’honoraires, dont le montant a atteint pour les professionnels de santé libéraux 7,6 milliards d’euros en 2014, n’est pas remise en cause. Quant aux refus de traiter les patients bénéficiant de la CMU, le projet de loi charge l’Ordre des médecins de les mesurer, alors que sa légitimité, comme sa propension à réguler la profession, sont pour le moins contestables. Nulle remise en cause non plus, du paiement à l’acte, bien qu’il entraine une multiplication des actes inutiles et limite les actions en faveur de la prévention. Aucune mesure efficace n’est par ailleurs envisagée pour adapter la répartition territoriale des médecins aux besoins de la population. Ainsi, la désertification médicale de certaines zones et l’impossibilité de trouver un praticien ne pratiquant pas de dépassements d’honoraires ont encore de beaux jours devant elles.

Enfin, rien n’est fait pour améliorer le taux de prise en charge des soins par l’Assurance maladie, qui ne cesse de diminuer (l’Assurance maladie prend aujourd’hui en charge moins de 55% des soins courants), ce qui fera à coup sûr le bonheur des complémentaires santé. Les participations forfaitaires et franchises, instaurées par la droite en 2005 et 2008, ne sont nullement supprimées. Quant aux taux de remboursement des médicaments, les quatre taux actuels (15%, 30%, 65% et 100% pour les Affections de longue durée - ALD) vont perdurer. Or, ou bien un médicament est utile, auquel cas on attendrait d’un gouvernement de gauche qu’il le rembourse à 100% ou bien il est inutile et dans ce cas la puissance publique n’a pas à subventionner de façon déguisée l’industrie pharmaceutique, en pratiquant des remboursements à 15% ou 30%.

En conclusion, cette loi accompagne le processus de privatisation rampante de la santé. Cela ne peut déboucher que sur une dégradation de la santé de la population.

Noam Ambrourousi


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