Après le coup de force financier contre la démocratie, quelle Europe des peuples  ?

jeudi 13 août 2015.
 

Le coup de force contre le peuple grec montre une fois de plus que la question démocratique est la question centrale de la viabilité de la construction européenne. Déjà en 2005 le non au traité constitutionnel européen (TCE) avait été méprisé de la même façon.

Ces deux événements à dix ans de distance montrent que la démocratie est incompatible avec la construction européenne actuelle. Non seulement, les traités ont doté l’Europe d’institutions non démocratiques qui prennent le pas sur le Parlement élu, mais plus se développent les effets du carcan néolibéral imposé à tous les pays membres, plus le fonctionnement des institutions dérive, s’éloigne de l’apparence même de la démocratie et se perfectionne pour tenir les peuples à l’écart. La «  gouvernance  » substitue à la confrontation politique un pseudo-débat d’experts qui ne peut remettre en cause les dogmes libéraux, de fait «  institutionnalisés  » par les traités. La gouvernance s’adapte en fonction des circonstances  : tutelles sur les pays récalcitrants, comme la troïka (Commission, BCE et FMI) et maintenant l’Eurogroupe, à l’origine réunion informelle des ministres des Finances de la zone euro, aujourd’hui véritable instance de décision doté d’un président élu en son sein  !

Cette situation est intenable, et le fossé qui s’approfondit entre les peuples et les élites européennes produit déjà ses dangereux poisons  : des nationalismes populistes avec leurs accessoires racistes, xénophobes à l’intérieur des frontières européennes, et à l’égard des peuples 
du Sud qui sont les plus proches. Dans ces conditions, le mérite historique du gouvernement Tsipras est d’avoir engagé un bras de fer avec la «  gouvernance  » européenne, d’avoir réussi à ce qu’une grande majorité du peuple le suive, en ne cachant rien du rapport de forces disproportionné contre la Grèce. Tout le contraire de la trahison démocratique des gouvernements français successifs après le non de 2005, qui ont étouffé le problème.

La suite n’est pas écrite, mais le peuple grec aura envoyé un signal que tous les peuples européens auront entendu, en dépit d’une propagande éhontée orchestrée médiatiquement dans toute l’Europe pour le dénigrer  : ce signal est celui de l’exigence d’une véritable démocratie européenne. La dignité du peuple grec renvoie au principe de souveraineté  ; un système institutionnel qui bafoue la souveraineté du peuple n’a pas d’avenir. Beaucoup de monde en Europe lutte et exprime sous des formes diverses que les politiques actuelles vont dans le mur malgré la chape de plomb que les gouvernants leur opposent. S’exprime aussi sur de nombreux sujets l’aspiration des citoyens à décider eux-mêmes, c’est-à-dire à être souverains. Ce qui est demandé à la gauche alternative c’est de redonner de l’efficacité à la politique. Il faut avoir l’objectif à l’échelle européenne de sortir de la «  gouvernance  » actuelle et d’inventer un système démocratique permettant une souveraineté partagée, décidée par chaque peuple, ce qui implique une Europe à géométrie choisie. Cette exigence fait écho à de nombreuses luttes sociales actuelles qui traduisent le refus de la concurrence entre des pays aux systèmes sociaux et fiscaux si différents à l’intérieur de l’Europe.

Il va de soi que la conquête de la démocratie à l’échelle européenne va de pair avec une pratique réelle et permanente de la démocratie citoyenne à tous les niveaux de décision. La grave crise de confiance, le rejet de la politique que nous connaissons en France montrent à quel point les systèmes de représentation issus du XIXe siècle sont caducs et nous obligent à des changements audacieux. Le peuple grec a entrouvert une porte  ; il faut lui apporter un soutien sans faille dans son opposition à l’austérité et dans sa volonté de rester dans l’UE. C’est ce qui exprime le mieux ce que nous voulons  : une Europe refondée, sociale, démocratique, solidaire.

En répondant par un coup de force au référendum du 5 juillet, l’Eurogroupe s’adressait à tous les peuples d’Europe pour les mettre en garde contre toute velléité de sortir de ses griffes. Cet acharnement a son revers  : paradoxalement les autres peuples européens se sont sentis concernés. Faisons le pari que l’attitude à l’égard de la Grèce a ouvert les yeux de beaucoup de monde sur les réalités de l’Europe libérale et sur les solidarités possibles pour la changer  : elles pourraient prendre la forme d’initiatives communes qui rassemblent des forces sociales et politiques pour faire avancer d’autres solutions immédiates aux problèmes qui gangrènent l’Europe et d’autres pratiques entre les pays membres. Une dynamique doit commencer.

Nicole Borvo Cohen-Séat Sénatrice honoraire,

Texte mis en ligne par L’Humanité


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