"Nos assaillants ne sont plus, comme en 1967, les tanks, mais les banques" (Yanis Varoufakis)

mercredi 12 août 2015.
 

« L’épilogue », qui n’apparaît que provisoire, de la crise entre la Troïka et la Grèce illustre d’un jour cru les déclarations de l’ex-Ministre des Finances grec, Yanis Varoufakis qui déclarait, le 21 avril dernier : «  Le gouvernement doit faire face à un coup d’État d’un nouveau genre. Nos assaillants ne sont plus, comme en 1967, les tanks, mais les banques  ».

Pedro DA NOBREGA

Oser présenter comme un succès « historique » ainsi que l’a fait François Hollande le 13 juillet le hold-up contre la démocratie que constitue le document de sept pages avalisé par les dirigeants européens frise l’indécence. Comment qualifier d’« accord », une extorsion en forme d’humiliation qui rappelle plus l’image des « Bourgeois de Calais », venus devant le souverain anglais Édouard III, la corde au cou, lui remettre les clefs de la ville après un long siège.

La reddition du gouvernement grec a été obtenue par un étranglement financier qui relève du terrorisme financier accompagné de tous les chantages et menaces possibles et couvert par un bombardement médiatique qui avait tout de la Blitzkrieg.

Si elle permet à la Grèce de rester dans la zone euro, comment oser invoquer comme l’a fait François Hollande « le respect des règles » lorsqu’elles été toutes consciencieusement piétinées pour disqualifier toute velléité de rompre avec le diktat austéritaire qui tient lieu de dogme sacré dans l’Union Européenne. Ce processus aura montré que ce qui était en question relevait avant tout de choix politiques bien plus que de supposées questions économiques.

La lecture du document final approuvé par les instances de l’Union Européenne est à cet égard éloquent : Il exige du gouvernement grec qu’il «  consulte les institutions  » et «  convienne avec elles de tout projet législatif dans les domaines concernés, dans un délai approprié, avant de le soumettre à la consultation publique ou au Parlement  ». Le document va même plus loin, réclamant du gouvernement grec qu’il «  réexamine  » toutes les textes législatifs passés depuis son arrivée au pouvoir, le 25 janvier dernier, «  à l’exception de la loi sur la crise humanitaire ». Ce n’est ni plus ni moins que la mise sous tutelle d’un gouvernement démocratique par des instances dénuées de toute légitimité démocratique. Et si quelqu’un en doutait, Angela Merkel, la chancelière de droite du « pays qui n’a jamais remboursé ses dettes » pour reprendre la formule de l’économiste Thomas Piketty, de rajouter lors de cette même conférence de presse du 13 juillet qu’en Grèce, «  des lois ont été votées alors que nous ne les avions pas autorisées  » !

Que pareilles déclarations ne soulèvent pas la moindre objection de la part des escadrons de petits soldats de plomb médiatiques au service du dogme austéritaire alors qu’ils ont déversé des tombereaux d’injures envers Tsipras depuis des mois est révélateur du caractère intrinsèquement totalitaire de cette construction européenne.

Comme le fait que, à part quelques honorables exceptions, qui vont de l’Humanité au Monde Diplomatique en passant, il faut le signaler, par les pertinents articles du journaliste de La Tribune Romaric Godin, personne ne semble s’offusquer ni questionner la légitimité du trio qui mène la charge contre la Grèce pour la sommer de payer une dette aussi illégitime qu’insoutenable : Jean-Claude Juncker, Président de la Commission Européenne, qui a couvert le plus grand scandale de fraude fiscale au sein de l’U.E. lorsqu’il était le Premier-Ministre du Luxembourg (Luxleaks), Mario Draghi, Président de la BCE, personnellement impliqué en tant que responsable de l’organisation mafieuse Goldman Sachs en 2006 dans la falsification des comptes de l’État grec pour favoriser son entrée dans l’euro, Christine Lagarde, directement mêlée dans l’arbitrage si généreux envers Bernard Tapie qu’il fait l’objet d’une procédure en justice et, quand elle était Ministre des Finances de Sarkozy, mère du dispositif Crédit d’Impôt Recherche qui coûte déjà plus de 6 milliards d’€ aux contribuables français et dont le récent rapport de la Commission d’Enquête parlementaire sur la réalité du détournement du Crédit d’Impôt Recherche montrait qu’il avait surtout servi d’aubaine fiscale pour gonfler les dividendes plutôt que pour financer la recherche.

Ce même barnum médiatique qui, par un hallucinant retournement de valeurs, en vient à reprocher à un chef de gouvernement de ne pas vouloir renier ses engagements et, pire encore, de faire appel au peuple souverain, par référendum, pour le consulter sur les exigences de la Troïka. Proprement insupportable pour les scribes du capital !

Ce même appareil médiatique qui s’est efforcé de mettre en scène le « bal des faux-culs » accréditant l’illusion d’une prétendue opposition entre Hollande et Merkel que suffisent à démentir les scandaleuses déclarations du Président du Parlement européen, le social-démocrate Martin Schulz, qui, après les avoir menacé, si les Grecs votaient Non au référendum, de « devoir introduire une autre monnaie, puisqu’ils n’auront plus d’euros à disposition comme moyen de paiement’, exprimait plus clairement son espoir en cas de victoire du Oui de voir Tsipras démissionner et de pouvoir négocier avec « un gouvernement de technocrates ». Et de rajouter : ’Si ce gouvernement de transition trouvait un accord raisonnable avec les créanciers, alors ce serait la fin de l’ère Syriza. Ensuite, la Grèce (aurait) à nouveau une chance’.

Un consensus sur le fond illustré tant par le vote en France, sans la moindre modification, par le PS et l’UMP, du Traité Merkozy, que le candidat Hollande s’était engagé à renégocier que par le fait, trop souvent occulté, que la chancelière Merkel, minoritaire, ne peut gouverner que grâce au soutien du SPD. Un accord dont témoigne également la tribune publiée le 15 juin dans Les Échos par les Gracques, think tank social-libéral composé d’anciens hauts-fonctionnaires « socialistes », qui avertissait avant la tenue du référendum en Grèce : « Le risque de contagion grec (sic) n’est plus financier. Il est politique. » tout en recyclant l’infâme « tarte à la crème rouge-brune » pour qualifier le gouvernement de Tsipras, récurrente chez les tenants du dogme austéritaire pour masquer leur complicité, de Macron à Sarkozy, en passant par tous les « éditorialistes » de la bien-pensance néo-libérale. Un amalgame que rien ne vient étayer puisque Syriza n’a jamais siégé au Parlement Européen sur les mêmes bancs que l’extrême-droite et que démentent les propres déclarations du F.N. qui dans un communiqué de février déclarait au sujet de la Grèce : « ne pas rembourser le principal de la dette est un risque de réputation inacceptable et rembourser est un devoir éthique pour un état de droit » sans jamais s’interroger sur le caractère odieux et illégitime de cette dette. « Cette dette, que ni le peuple ni le gouvernement actuel n’ont ni créée et gonflée, est utilisée depuis cinq ans comme instrument d’asservissement du peuple par des forces qui agissent à l’intérieur de l’Europe dans le cadre d’un totalitarisme économique. » rappelait dernièrement Zoé Konstantopoulou, Présidente du parlement grec. Le Prix Nobel Joseph Stiglitz rappelait récemment, dans un entretien publié par Libération, s’agissant des prêts consentis à la Grèce : « Au moins 90 % de l’argent prêté était destiné à revenir dans les établissements financiers des pays prêteurs. Ce n’était pas un sauvetage de la Grèce, mais, encore une fois, un sauvetage des banques ! »

Tout cet enfumage médiatique vise à occulter la grande absente du plan avalisé par les dirigeants européens et qui est imposé à la Grèce : la question du réaménagement d’une dette dont aucun économiste sérieux ne conteste le caractère insoutenable et dont la légitimité est aussi contestée que contestable. Or, Joseph Stiglitz le souligne : « L’Allemagne ne doit son rétablissement économique et sa croissance qu’à la plus grande annulation de dette jamais observée, en 1953. » Il qualifie au passage le plan adopté de « très mauvaise politique économique. On va continuer à imposer des modèles qui sont contre-productifs, inefficaces et producteurs d’injustice et d’inégalités. Continuer à exiger de la Grèce qu’elle parvienne à un budget primaire en excédent [hors paiement des intérêts de la dette, ndr] de 3,5 % du PIB en 2018 est non seulement punitif, mais aussi d’une stupidité aveugle. »

Un plan dont l’examen démontre le caractère totalement exorbitant des conditions imposées à la Grèce pour desserrer ne serait-ce qu’un peu l’étau financier : car à l’humiliation s’y rajoute le pillage avec la création sur injonction du Ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, d’un fonds au Luxembourg de 50 milliards de biens publics grecs destinés à être privatisés pour rembourser la dette. « Un super-TAIPED (fonds d’exploitation de la propriété publique), entièrement sous le contrôle de la Troïka (indépendamment du lieu où se trouve le siège de ce fonds), qui privera une fois pour toutes la République hellénique du contrôle sur ses avoirs publics. » précisait l’ex-Ministre des Finances grec, Yanis Varoufakis.

Une exigence d’autant plus choquante si l’on se souvient que dans les termes de l’accord signé en février 1953, à Londres, sur la dette allemande, l’Allemagne était encouragée à renforcer son contrôle sur les secteurs économiques stratégiques, avec un secteur public en pleine croissance.

La bataille aujourd’hui réside dans les enseignements à tirer de cette crise et la propagande néo-libérale bat son plein pour masquer ce qui constitue un incontestable attentat contre la démocratie comme la preuve qu’hors de l’austérité, point de salut. S’acharner à démontrer contre toute évidence que l’issue de cette crise n’est pas la preuve la plus manifeste du caractère totalitaire du projet d’Union Monétaire Européenne mais la confirmation que tout projet de remise en question du dogme austéritaire et de la casse sociale qui l’accompagne est voué à l’échec.

Ces événements interpellent bien sûr l’ensemble de la Gauche Européenne qui garde quelque ambition de transformation sociale, c’est-à-dire celle qui ne s’inscrit pas dans l’acceptation du capitalisme comme horizon indépassable. Aussi bien ceux qui estiment que l’émergence d’un projet alternatif de société est incompatible avec l’existence d’une monnaie unique que ceux qui pensent que l’Union Européenne et la zone Euro peuvent être « réorientées » ou transformées de l’intérieur. À cet égard, il serait utile pour que ce débat ait vraiment lieu au sein de cette gauche de ne pas dresser trop vite des procès à charge pour trahison à l’égard de Tsipras et des membres de Syriza ayant approuvé le protocole avec la Troïka. Ni non plus, par ailleurs, de se laisser aller à des amalgames dont les libéraux de tout poil ont usé et abusé et que certains secteurs de la gauche reprennent aujourd’hui assimilant tous ceux qui estiment qu’il ne peut y avoir de perspective de changement de société au sein de l’Union Européenne à des adeptes du repli nationaliste et du chauvinisme en les rapprochant de l’extrême-droite. Ce n’est pas parce que le chantage au Grexit a été utilisé par Schäuble que ceux qui pensent que le résultat du référendum constituait une opportunité de s’affranchir de la tutelle de la Troïka en sortant de l’euro roulent pour lui. Et c’est certainement plus la crainte des conséquences sociales d’une telle issue qui a inspiré le choix de Tsipras et de son gouvernement que la conviction en la pertinence des choix dictés par la Troïka. Ensuite, on peut ne pas partager ce choix stratégique du pouvoir grec mais reconnaître que la victoire de Syriza aux élections législatives et le résultat du référendum en Grèce ont constitué un choc politique qui a ébranlé la toute puissance de la doxa néo-libérale au sein de l’Union Européenne.

Comme l’indiquait Costas Lapavitsas, économiste et député de Syriza, dans « Le Monde Diplomatique » de juillet, « la position officielle du parti est que l’on peut procéder à des changements radicaux sans quitter l’U.E.M. (la zone euro ,ndr). Mais l’attitude inflexible des créanciers a conduit le parti et ses électeurs à réviser leur analyse. L’idée selon laquelle le chantage des créanciers doit nous conduire à envisager le défaut et la sortie de l’euro gagne en popularité chez les travailleurs, les pauvres et au sein des classes moyennes inférieures. »

L’essentiel étant que le débat ne soit pas esquivé comme il l’est aujourd’hui par une partie de la gauche et qu’il puisse se poursuivre sans anathèmes de part et d’autre. Car dans ce contexte il est vraiment dommageable que la gauche de transformation sociale, dont sa composante communiste, dans sa louable intention de se libérer des pesanteurs du passé se soit parfois délesté du meilleur de son histoire sans pour autant s’affranchir des mauvais réflexes d’excommunication.

Les déclarations de Yanis Varoufakis après la réunion du Comité Central de Syriza consacrée à la définition de l’attitude à prendre face au diktat de la Troïka méritent d’être soulignées :

« Comme Alexis Tsipras l’a bien affirmé, nul n’est en droit de prétendre être confronté à un dilemme de conscience plus fort que le Premier ministre ou les autres camarades. Mais, cela ne signifie pas que ceux qui se sont prononcés en faveur de l’application de l’ « accord » inapplicable par le gouvernement lui-même sont habités par un sens plus fort des responsabilités que ceux qui, parmi nous, se sont prononcés en faveur de la démission, remettant l’application de l’accord à des hommes politiques qui le considèrent potentiellement applicable. »

Il poursuit : « Personne parmi nous n’est plus « anti-mémorandum » qu’un autre, et personne parmi nous n’est plus « responsable » qu’un autre. Tout simplement, lorsque l’on se trouve à un carrefour aussi dangereux, sous la pression de la (mal)Sainte Alliance du Clientélisme International, il est parfaitement légitime que certains camarades proposent l’une ou l’autre voie. Dans ces conditions, il serait criminel que les uns traitent les autres de « soumis » et que les seconds traitent les premiers d’ « irresponsables ».

En ce moment, en plein milieu de désaccords raisonnables, ce qui prévaut, c’est l’unité de Syriza et de tous ceux qui ont cru en nous, en nous accordant ce grandiose 61,5%. La seule façon de garantir cette unité est de reconnaître mutuellement les arguments, en partant du principe que les dissidents réfléchissent de manière aussi bonne, aussi responsable et aussi révolutionnaire que nous. »

La question majeure posée par cette crise n’est pas tant la crispation « fétichiste » sur un retour aux anciennes monnaies nationales, ce que fait l’extrême-droite de la façon la plus démagogique, mais tient dans cette interrogation : Sans restauration de la souveraineté budgétaire, reste-t-il un espace pour que la démocratie s’exprime et que puisse émerger un projet alternatif de société ?

L’Amérique Latine a pourtant montré que le renforcement de la coopération monétaire dans un processus d’intégration régionale n’était pas forcément synonyme d’aliénation ni de la souveraineté budgétaire ni de l’indépendance nationale.

Mayer Amshel Rothschild, le fondateur de la célèbre dynastie banquière, livrait son point de vue il y a déjà plus de deux siècles : « Donnez moi le contrôle sur la monnaie d’une nation,et je n’aurai pas à me soucier de ceux qui font ses lois. »

Thomas Jefferson, troisième Président des États-Unis, avertissait de son côté : « Je crois que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés qu’une armée debout. Celui qui contrôle l’argent de la nation contrôle la nation. »

à méditer …

Pedro DA NOBREGA

Article original : http://www.tlaxcala-int.org/article...


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