Le XXIe siècle, « âge d’or » du service public ?

mardi 21 juillet 2015.
 

L’importance du service public tient à son rôle fédérateur des principales questions politiques de notre époque. Les services publics ont accompagné l’émergence de la pensée rationnelle dans notre histoire. Ils sont aujourd’hui un enjeu décisif dans une économie de marché profondément inégalitaire. Ils s’inscrivent dans une perspective de solidarité humaine que caractérisait ainsi avec humour le jésuite Teilhard de Chardin  : «  On empêchera plutôt la Terre de tourner que l’Homme de se socialiser.  »

Montaigne utilise l’expression «  service public  » dans ses Essais, en 1580. Avec des contenus variables, les services publics ne cessent de se développer dans les administrations de l’Ancien Régime, au niveau de l’État comme à celui des communes. La Révolution en pose des principes (égalité, responsabilité, intégrité). À la fin du XIXe siècle, des juristes regroupés dans l’«  école de Bordeaux  » en font la théorie. On parlera de service public lorsqu’il y a mission d’intérêt général, personne morale de droit public, droit et juge administratifs. Son financement doit se faire par l’impôt et non par les prix, et la loi fixe ses règles de fonctionnement. Simple au début, la notion n’a cessé de se complexifier à la mesure de son succès et son champ s’est étendu à des activités de plus en plus diverses, industrielles et commerciales notamment. Le service public, c’est quelque 6,5 millions de salariés (dont 5,4 millions de fonctionnaires ou assimilés), soit le quart de la population active nationale sous statut garanti par la loi. Tel est l’héritage progressiste pris en charge par les manifestants d’aujourd’hui pour prolonger l’histoire.

La tâche, sans doute, est difficile. Car la conception française du service public fait figure d’exception au sein de l’Union européenne. L’expression ne figure qu’une seule fois dans les traités (article 93 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), qui ne retiennent que la notion de services dits d’intérêt général (SIG), dont les critères sont économiques alors que le service public répond, en France, à des critères politiques  : égalité, continuité, adaptabilité. Il s’agit là du conflit de deux logiques  : celle du bien commun, contre celle de la concurrence, dans une économie de marché aujourd’hui dominante. Néanmoins, progressivement, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (Cjue) et les traités eux-mêmes ont dû faire une place à ce que nous dénommons services publics, même s’ils sont toujours regardés comme dérogeant à l’impératif du libéralisme. Ce conflit politique majeur amène au premier plan la question de la propriété publique. Les libéraux (et pas seulement eux, malheureusement) tentent de l’évacuer en dissociant propriété et gestion. Mais dans la transformation de la société, la nécessité de l’appropriation sociale est incontournable pour trois raisons  : l’affaiblissement de la domination du capital, l’engagement de politiques économiques volontaristes, la défense des statuts législatifs pour les salariés du public comme du privé.

Mais l’aspect le plus nouveau et le plus enthousiasmant de la lutte pour le service public est qu’elle se situe désormais dans une perspective universaliste. Au sortir d’un XXe siècle «  prométhéen  », conclu par l’effondrement des systèmes du «  socialisme réel  », et après trois décennies d’ultralibéralisme débouchant sur une crise financière qui s’élargit en crise de civilisation, nous sommes dans un moment historique du genre humain qui, en dépit d’une perte des repères traditionnels et dans les contradictions et des guerres, prend conscience de la finitude de la planète et de l’unité de destin du genre humain. Des valeurs universelles tendent à s’affirmer  : la paix, le droit au développement, la protection de l’écosystème, etc.  ; la question de la laïcité devient un enjeu majeur. La mise en commun de moyens juridiques, techniques, d’échange, etc., insuffisante, est néanmoins déjà très engagée. Si la nation est et demeure le niveau le plus pertinent d’articulation du général et du particulier, l’idée d’une citoyenneté mondiale progresse et prend peu à peu consistance. Le monde aura de plus en plus besoin d’interdépendances, de coopérations, de solidarités. Ce que nous appelons, en France, service public. Cela confère à notre pays, en raison de son expérience historique, et à ses citoyens, une grande responsabilité.

On comprend ainsi que, s’il est légitime de défendre le service public, il est encore plus important de le promouvoir dans un XXIe siècle qui peut et doit être l’«  âge d’or  » du service public. C’est une vision résolument optimiste de son avenir qui est exprimée ici. Le rassemblement de Guéret s’inscrit dans cette dynamique. Mais il convient aussi de reprendre l’approfondissement théorique de la notion de service public qui doit intégrer les changements du monde. «  Pendant la mue le serpent est aveugle  », a écrit Ernst Jünger. Ce qui élève la lucidité au rang de qualité éminente du militant d’aujourd’hui.


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