Le maïs OGM de Monsanto en fait impropre à la consommation : L’Europe garantit-elle la sécurité dans nos assiettes ?

mercredi 14 mars 2007.
 

Entretien avec Eric Gall, Conseiller politique à l’Unité européenne de Greenpeace international, à Bruxelles.

L’Europe garantit-elle la sécurité dans nos assiettes ?

Non, en ce qui concerne les OGM, l’Europe ne garantit pas la sécurité dans nos assiettes. La Commission européenne semble au contraire plutôt soucieuse de lever le moratoire sur les autorisations d’OGM aussi vite que possible, afin d’accomoder l’administration américaine, qui a porté plainte à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en vue de forcer les Européens récalcitrants à ingurgiter leurs plantes transgéniques, qu’ils ont de plus en plus de mal à écouler sur les marchés mondiaux. Pour la première fois depuis 1998, la Commission s’apprête en effet à autoriser fin mai un nouvel OGM en Europe, le maïs doux Bt11 de la compagnie Syngenta, après que les ministres européens de l’agriculture aient montré le 26 avril leurs désaccords sur le sujet. Les Commissaires mettent en avant la nouvelle règlementation sur l’étiquetage et la traçabilité de ces OGM pour justifier l’autorisation de ce maïs, en dépit des doutes soulevés par plusieurs « comités d’expertise » nationaux sur l’inocuité de ce maïs...

Mais l’étiquetage des OGM - qui plus est incomplet puisqu’il n’inclut pas les produits animaux tels que la viande, le lait ou les oeufs - ne saurait justifier une reprise des autorisations d’OGM, d’autant moins que les procédures d’évaluation des risques de ces OGM restent opaques, inadéquates et superficielles.

Vous pensez à l’affaire Monsanto ?

L’affaire du maïs insecticide « Mon 863 » de Monsanto, révélée par un quotidien national le 23 avril dernier, est à cet égard emblématique : alors que la Commission du Génie Biomoléculaire (CGB), pourtant réputée pour ses préjugés favorables en faveur des OGM, s’était inquiétée de malformations observées chez des rats nourris avec ce maïs transgénique, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et la European Food Safety Authority (EFSA) ont toutes deux donné un avis positif à l’autorisation de cet OGM, considérant que ces observations n’étaient pas « biologiquement significatives ». Cette expertise de la CGB serait restée confidentielle si le Crii-Gen, une association présidée par l’ancienne ministre de l’Environnement Corinne Lepage, n’avait réussi à l’obtenir à la suite d’une action légale. Et étant donné le caractère kafkaïen des procédures européennes d’autorisation, il y a toutes les chances pour que ce maïs soit quand même autorisé à la consommation au bout du compte, à moins qu’une « majorité qualifiée » de gouvernements ne s’y oppose (environ les trois-quarts des 25 Etats membres de l’Union européenne), ce qui est peu probable.

Pourquoi l’expertise de ces OGM est-elle aussi problématique ?

Comme l’a admis un expert de la CGB cité par ce quotidien, « à la question du consommateur - quels sont les effets à long terme des OGM et des nouveaux aliments ? [...] je ne sais pas répondre. Il faut avoir la franchise d’avouer que l’on ne dispose pas des méthodes appropriées. » Au-delà des désaccords entre experts sur la validité des évaluations, qui comportent toujours une part de subjectivité, le problème fondamental est que les OGM sont le produit d’une conception réductioniste, simpliste de la génétique, qui est aujourd’hui remise en question par les avancées de la recherche internationale en génomique et en « épigénétique ».

On admet enfin que l’expression des gènes est contrôlée par des mécanimes complexes de régulation que l’on commence à peine à entrevoir, encore moins à comprendre. La transgénèse (qui consiste à introduire un gène d’une espèce dans le génome d’une autre espèce à l’aide d’un « canon à gène » ou d’un virus) est une technique imprécise, grossière, qui provoque des effets « secondaires » innattendus et imprévisibles. On sait « fabriquer » un OGM, mais on est incapable de prévoir les effets que la modification génétique va entraîner, sans parler des effets de l’introduction de cet OGM dans l’environnement, dont l’évaluation s’avère encore plus complexe.

La plupart des « comités d’expert » continuent pourtant à s’en tenir à une conception réductioniste et à partir du principe que les aliments transgéniques sont a priori équivalents aux aliments conventionnels. Seule la nouvelle substance produite par l’OGM est évaluée, et les éventuels effets secondaires ne sont pas recherchés, quand ils ne sont pas simplement mis de côté comme étant « dépourvus de signification biologique ». De plus, l’évaluation repose toujours sur des données fournies par la compagnie qui demande l’autorisation de mise sur le marché, il n’y a pas ou très peu d’études indépendantes qui sont faites.

Mais l’Autorité européenne de sécurité des aliments AESA/EFSA qui existe depuis 2002 fait justement plancher des scientifiques de toute l’Europe sur ces questions ?

L’EFSA n’échappe malheureusement pas à la règle. Greenpeace a analysé les avis positifs rendus par cette nouvelle agence sur deux OGM, le colza GT73 et le maïs NK603. Force est de constater que l’EFSA ne contribue pas à une meilleure évaluation des OGM, et qui reste superficielle. Cela porte à croire que l’EFSA, mise en place l’année dernière, a été créée avant tout afin de rassurer les consommateurs et de retirer aux Etats membres leur pouvoir d’expertise. En centralisant l’évaluation des OGM au niveau de l’EFSA, la Commission espère en effet éviter les situations où les experts nationaux des différents Etats sont en désaccords sur l’innocuité d’un OGM, ce qui n’est pas de nature à rassurer le public ni à promouvoir « l’acceptabilité sociale » des OGM.

Dans l’univers alimentaire et commercial moderne, les OGM ne sont-elles pas une fatalité ?

Non, malgré l’apparente démission des gouvernemens européens et de la Commission face aux pressions américaines à l’OMC, l’arrivée des OGM n’est pas une fatalité, bien au contraire. Seuls les Etats-Unis, le Canada et l’Argentine en cultivent à grande échelle, et si le soja transgénique américain continue de perdre des parts de marché, c’est moins à cause du moratoire européen en place depuis 1999, qu’à cause du refus des consommateurs de voir des OGM dans la chaîne alimentaire et dans l’environnement.

Le moratoire, en place depuis 1999, n’a jamais affecté les OGM autorisés dès 1996, tels que le soja Roundup Ready de Monsanto ou le maïs insecticide de Syngenta, et l’Union européenne reste le plus gros importateur mondial de soja transgénique, principalement utilisé dans l’alimentation animale. Il est difficile de trouver des OGM dans l’alimentation humaine en Europe, parce que Greenpeace et les consommateurs ont incité l’industrie agro-alimentaire à ne pas en utiliser, et de plus en plus de producteurs d’alimentation animale s’engagent à leur tour à bannir les OGM. Levée du moratoire ou pas, c’est la mobilisation des citoyens, des consommateurs, des associations et de certains élus locaux qui continuera à préserver notre alimentation et notre environnement des OGM.

Memo :

La mobilisation des consommateurs, commencée en Europe, s’est maintenant étendue à travers le monde, en particulier en Asie et en Amérique du Sud. Plus d’une cinquantaine de pays se sont déjà dotés, ou veulent le faire, de lois sur l’étiquetage similaires à celles de l’UE, qui permettent aux consommateurs de refuser ces OGM et d’exiger de l’industrie agro-alimentaire de ne pas les utiliser. Ces pays se heurtent aux pressions diplomatiques et commerciales des Etats-Unis, qui ne cessent par ailleurs de menacer l’UE d’entamer une seconde procédure à l’OMC, cette fois-ci contre l’étiquetage des OGM.

Pour Eric Gall, « plus inquiétante est la volonté de la Commission, soutenue par le gouvernement français, de légaliser la contamination des semences par des OGM, ce qui rendrait impossible le maintien d’une agriculture biologique ou tout simplement d’une agriculture non OGM. Cela fait longtemps que les multinationales productrices d’OGM ont compris que le seul moyen d’écouler leurs produits, c’était de pas pas laisser le choix aux consommateurs en combattant l’étiquetage et en imposant une contamination génétique généralisée de l’environnement et de la chaîne alimentaire. »

La position de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA/EFSA)

« La législation européenne impose que la sécurité des OGM ou des produits qui en contiennent soit évaluée au cas par cas avant leur dissémination dans l’environnement ou leur mise sur le marché. Depuis que les groupes scientifiques de l’EFSA ont entamé leurs travaux à la mi-2003, le groupe scientifique sur les OGM a adopté huit avis.

En avril dernier, le groupe OGM a rendu public deux avis sur le maïs génétiquement modifié MON 863 et le maïs hybride MON 863 x MON 810. Le groupe a conclu que la mise sur le marché du maïs 863 - destinée à des fins d’importation, de traitement ainsi qu’à l’alimentation humaine et animale-n’est pas susceptible de provoquer des effets indésirables sur la santé humaine ou animale, ou sur l’environnement, dans le cadre de son utilisation prévue.

En ce qui concerne le maïs hybride MON 863 x 810, le groupe était divisé sur le besoin d’une étude spécifique confirmant l’évaluation de la sécurité du maïs hybride et donc n’est pas parvenu à un accord. Le groupe scientifique étant partagé sur ce point, l’EFSA a demandé cette étude complémentaire afin de pouvoir remettre le dossier au groupe OGM pour une nouvelle consultation.

Outre les demandes soumises officiellement et sur une base légale, au groupe scientifique OGM, des projets initiés par le groupe lui-même sont également entrepris. À titre d’exemple, le groupe OGM a récemment émis un avis concernant l’utilisation de gènes marqueurs de résistance aux antibiotiques au sein des OGM. »


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