Kerviel enfoncé par la Société générale et la Justice : une justice de classe ? plus que jamais le procès de la Finance reste à faire

jeudi 28 mai 2015.
 

D) Eva Joly : « La justice s’honorerait à demander la révision du procès Kerviel » (Mediapart)

Le témoignage de la commandante de police en charge de l’enquête sur le dossier Kerviel depuis 2008, révélé par Mediapart le 17 mai, remet la condamnation du trader en question. Ses soutiens appellent à une révision du procès.

L’ancienne juge d’instruction, qui a dénoncé depuis longtemps les dysfonctionnements intervenus dans l’affaire Kerviel, revient sur les révélations de Mediapart. Elle aussi demande une révision du procès.

Le témoignage de la principale enquêtrice de l’affaire Kerviel est sans précédent dans l’histoire judiciaire. Que pensez-vous de ces révélations ?

Eva Joly. Entendre un enquêteur n’est pas exceptionnel. Il arrive même que ceux-ci soient appelés à témoigner à l’audience. Mais ce témoignage, il est vrai, est hors norme. Il faut le prendre très au sérieux. Nathalie Le Roy est une personne très professionnelle, très respectée.

Elle ne comptait pas son temps quand je l’ai connue à la brigade financière. Elle incarne l’intégrité, l’honnêteté, le sens du service public. Il faut faire en sorte que cette parole soit entendue.

Il n’y a pas eu de procès équitable dans cette affaire. Ce n’est pas la faute des juges. Mais l’instruction a été orientée. Les enquêteurs ne peuvent pas tout connaître dans tous les domaines. Consciente qu’elle n’avait pas les moyens et les effectifs nécessaires, Nathalie Le Roy a choisi de faire confiance à une partie civile [la Société générale – ndlr] qui lui semblait coopérante. Ce n’est que plus tard, quand elle s’est rendu compte qu’elle n’obtenait pas les éléments qu’elle demandait, qu’elle a commencé à avoir des doutes.

L’enjeu était énorme pour la Société générale : il y avait 1,7 milliard d’euros d’avoir fiscal. Mais celui-ci n’existe plus, car il est probablement prescrit. Auparavant, il était possible de revenir pendant dix ans sur un crédit fiscal, si des faits délictueux étaient découverts.

Cette procédure a été modifiée du temps de Nicolas Sarkozy. Maintenant, il y a prescription au bout de quatre ans, quelles que soient les circonstances.

À la suite de ces révélations, vous demandez, comme d’autres responsables politiques, une révision du procès Kerviel. Cela vous semble-t-il juridiquement possible ?

Le cadre d’une procédure de révision est très limité même s’il a été un peu élargi. Dans le cas du dossier Kerviel, l’affaire est définitivement jugée, comme le rappelle la Société générale.

Le témoignage de Nathalie Le Roy vient apporter un élément nouveau. À mon sens, la justice s’honorerait à demander elle-même la révision. Le procureur général de la Cour de cassation, Jean-Claude Marin, et le ministère de la justice devraient déposer une demande commune pour engager une procédure de révision.

Ce serait une façon de restaurer l’honneur de la justice.

Le ministère de la justice vient cependant d’indiquer qu’il excluait une procédure de révision…

Je ne connaissais pas cette annonce. Mais je m’étonne que le ministère ait déjà pris position. Il ne faut pas fermer la porte. Est-ce que le fait qu’il y ait encore une procédure au civil, alors que le pénal est définitivement jugé, empêche l’ouverture d’une procédure de révision ? De toute façon, rien n’est perdu. Le juge d’instruction Le Loire va poursuivre l’enquête, demander des expertises.

Dans cette affaire, depuis le début, il y a un éléphant dans la pièce : c’est l’absence d’expertise.

La justice s’est fiée aux seules déclarations de la Société générale. Cette banque a pourtant connu dans le passé et a encore énormément de dossiers litigieux. Il suffit de lire son rapport annuel 2014. Elle mentionne des risques juridiques et de contentieux au Maroc, en Turquie, aux États-Unis.

La même équipe de direction qu’au moment de l’affaire Kerviel a été condamnée fin 2013 à payer une amende record [446 millions d’euros – ndlr] par la Commission européenne pour avoir participé aux manipulations sur l’Euribor. Elle est aussi soupçonnée par la justice américaine d’avoir participé aux manipulations sur le Libor.

Comment accepter de croire sur parole cette banque, avec un tel passé, un tel passif ? C’est inconcevable.

Cette affaire illustre aussi le très grand déséquilibre entre la justice et le monde financier. La justice a-t-elle les moyens de contrôler les banques ?

C’est un vieux problème mais qui ne cesse d’empirer. En dépit des déclarations, il n’y a pas de volonté politique de donner des moyens à la justice, surtout en matière financière.

Quand j’ai commencé l’enquête du Crédit lyonnais, j’étais dans 18 mètres carrés, sans ordinateur avec un enquêteur et demi. La brigade financière est encore plus faible qu’en 1984.

La création du pôle financier national n’a rien résolu. Les juges d’instruction ne sont pas plus nombreux qu’auparavant et croulent chacun sous une bonne centaine de dossiers.

La justice est totalement démunie face aux banques. Celles-ci disposent de moyens considérables et les utilisent tous. Même prendre la parole pour dénoncer certains de leurs agissements est devenu dangereux. Elles n’hésitent pas à engager des procédures de diffamation contre tous ceux qui les critiquent.

Ce sont des procédures qui ne représentent rien pour elles mais qui coûtent énormément d’argent aux autres parties. Et ce n’est qu’un début. Avec le secret des affaires, il ne sera peut-être même plus possible de parler des banques du tout.

C) Affaire Kerviel. La Société générale doit changer de banc

Nathalie Le Roy, qui fut en charge du dossier Kerviel, révèle une procédure où la responsabilité de la Société générale suintait de partout.

L’œil du cyclone a pris naissance le 9 avril dans les bureaux lambrissés du vice-président du tribunal de grande instance de Paris. En se confiant au juge d’instruction Roger Le Loire, la commandante de police de la brigade financière qui était chargée du dossier Kerviel fait pressentir un avis de tempête pour la Société générale. Le temps s’assombrit déjà pour la banque, tant les révélations de Nathalie Le Roy publiées par Mediapart sont prises au sérieux. Pour avoir mené deux fois l’enquête, la première en 2008, la deuxième en 2012, la fonctionnaire de la brigade financière bénéficie du respect du monde judiciaire renforcé par son expertise mise à l’épreuve dans d’autres enquêtes importantes. Elle déclare avec certitude que la banque ne pouvait pas ignorer les agissements de Jérôme Kerviel qu’elle avait embauché comme trader. Une position inverse de celle de la Société générale, qui a fait paraître hier un communiqué dans lequel l’établissement bancaire rappelle les «  décisions de justice qui ont toutes reconnu la culpabilité pénale exclusive de Jérôme Kerviel  ». La banque ajoute  : «  La Société générale s’étonne des déclarations qui auraient été faites par un policier au juge d’instruction parisien en charge des plaintes déposées par Jérôme Kerviel alors qu’il avait lui-même déclaré aux policiers qui l’interrogeaient en janvier 2008 qu’il avait agi seul et à l’insu de sa hiérarchie.  » S’étonner. C’est tout ce que la banque a su faire depuis le début de l’affaire.

«  Malentendu absolu  » 
ou «  justice de classe  »  ?

Le 24 janvier 2008, Daniel Bouton, le PDG d’une des plus grosses banques du pays, annonce devant un parterre de journalistes que «  la direction a découvert une fraude interne d’une ampleur considérable, commise par un collaborateur de sa division de banque de financement et d’investissement  ». Le décor était posé, imposé par la banque qui, décidément, n’en revenait pas de cette découverte. Très rapidement, la banque annonce l’ampleur du dégât qui la mortifie. 4,9 milliards d’euros perdus en spéculations hasardeuses par Jérôme Kerviel, trader que la banque fait passer pour fou. On s’étonna peu à l’époque que le tribunal se fie au montant de la perte annoncée aux seuls dires de la banque. Eva Joly, ex-magistrate spécialiste des affaires financières, confirme pour l’Humanité que «  les anomalies de ce dossier étaient frappantes  ». La plus grosse étant «  d’avoir accepté le montant de 4,9 milliards d’euros de dédommagement sans expertise neutre  », comme le souhaitaient aussi Jérôme Kerviel et son avocat. Elle confirme la rigueur de l’enquêtrice et trouve que «  la sagesse impose d’attendre les constatations du magistrat Le Loire pour prononcer ou non la révision du procès  ». Éric Bocquet, sénateur communiste, s’était lui aussi, dès 2013, fait l’écho du manque d’expertise indépendante pour attester la réalité des chiffres. Reste qu’arrêter une somme de manière aussi précise en mettant fin en un week-end aux énormes paris réalisés par Jérôme Kerviel sur les marchés financiers, notamment allemands, ne pouvait que faire s’effondrer les cours des contrats. Au regard des chiffres annoncés par la banque, si importants soient-ils, cela n’a vraisemblablement pas été le cas.

Après le procès de 2010 qui condamnait Kerviel à cinq ans d’emprisonnement et 4,9 milliards de dommages et intérêts, l’économiste Paul Jorion, qui a passé dix-sept ans au sein de la banque américaine Countrywide Financial, posait la question  : «  Malentendu absolu  » ou «  justice de classe  »  ? Il concluait  : «  Probablement les deux.  » Car même si Jérôme Kerviel a bien fait ce dont on l’accuse, c’est-à-dire faire le métier de trader pour lequel la banque l’a embauché, il n’en reste pas moins qu’il paye pour tous ses confrères, laissant la banque indemne. Prendre des positions audacieuses au-delà des clapets de sécurité est monnaie courante chez ceux qui font valoir les intérêts de la finance. Et, en cas de problème, mieux vaut se plier aux codes de la classe possédante. Jérôme Kerviel ne les possédait vraisemblablement pas. Aujourd’hui, celui dont le salaire s’élevait à 40 000 euros par an (alors que la banque gagnait 15 milliards en 2008 sur le trading en produits dérivés) n’a plus à rembourser la somme colossale de 4,9 milliards d’euros à la banque qui l’employait. La Cour de cassation a confirmé sa condamnation au pénal mais a annulé les dommages et intérêts en mars 2014. Des voix s’élèvent depuis hier pour réclamer la révision du procès. Le député socialiste Yann Galut demande même une commission d’enquête parlementaire. Quant au PCF, il rappelle que «  plus que jamais, le procès de la finance reste à faire  ». Ces «  nouvelles révélations sur l’affaire Kerviel  », estime de son côté Jean-Luc Mélenchon, confortent la position que l’eurodéputé tenait dès juin 2013, à savoir que «  Jérôme Kerviel est innocent  ».

Sans tarder, le gouvernement a rejeté la possibilité d’une révision du procès. Pourtant, les pressions effectuées sur certains salariés de la banque, que révèle Nathalie Le Roy, ressemblent étrangement à de la subornation de témoins. La condamnation de la banque à une amende de 4 millions d’euros pour défaut de contrôle (qu’elle prétend avoir corrigé) laisse entrevoir une part émergée de sa responsabilité. Et puis il y a cette somme d’argent public versée à la banque sous forme de ristourne fiscale. 1,7 milliard d’euros débloqués par la ministre Christine Lagarde en 2008 pour compenser les pertes subies par le courtier pris la main dans le sac. En plus d’une justice de classe qui maintient, malgré les faits, son absolution des banques, devons-nous laisser cette somme issue de la richesse des travailleurs entre les mains des spéculateurs  ?

Olivier Morin, L’Humanité

B) Communiqué d’Olivier Dartigolles, PCF

Selon le site internet Mediapart, la commandante de police en charge de l’enquête sur les pertes de la Société Générale début 2008 a déclaré, lors d’une récente audition devant la justice, que ses investigations l’avaient conduite à "la certitude" que la "hiérarchie" de Jérôme Kerviel "ne pouvait ignorer" les agissements de son trader.

Ainsi donc se confirme ce que nous disions depuis le début de l’affaire : Jérôme Kerviel ne pouvait pas être le seul responsable d’une spéculation effrénée qui a engagé plus de 20 milliards et la perte de 5 milliards d’euros !

"Les écuries d’Augias du capitalisme financier doivent être nettoyées" écrivions-nous en 2010 après le premier procès Kerviel. Plus que jamais le procès de la Finance, de la spéculation, reste à faire.

A l’heure ou les banques ont robinet ouvert, via un dispositif de rachat de dettes par la Banque centrale européenne (60 milliards d’euros de dette chaque mois pour un total prévu de 1 000 milliards d’euros), cette dernière révélation démontre s’il en était encore utile, la nécessité absolue de la création d’un pôle financier public incluant des banques nationalisées, seule capable de mettre fin à la spéculation et la financiarisation devenues folles de notre économie.

Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF,

Paris, le 18 mai 2015.

A) Liens complémentaires

Mélenchon : « L’affaire Société Générale est un scandale d’État »

Kerviel est innocent ! (blog de Jean-Luc Mélenchon, 20 juin 2013)

http://www.jean-luc-melenchon.fr/20...


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