Vers des états généraux de la santé au travail

jeudi 7 mai 2015.
 

S’économiser, se préserver physiquement et psychologiquement au travail suppose des savoirs, des savoir-faire, des pratiques que les salariés élaborent au sein de collectifs de façon informelle, au contact de la réalité 
quotidienne du travail  ; et qu’ils mobilisent grâce à leur expérience autour de valeurs partagées d’entraide et de solidarité.

Mais la modernisation managériale s’est faite, depuis les années 1980 on le sait, autour de l’individualisation de la gestion des salariés et de leur travail, autour d’une personnalisation et psychologisation des relations de travail et surtout à travers une mise en concurrence systématique des salariés entre eux. Les collectifs s’en sont allés, désarticulés par ces nouvelles pratiques managériales, et avec eux cette capacité, certes restreinte mais indispensable, à inventorier les dangers et à inventer des parades.

La modernisation s’est aussi caractérisée par un recours de plus en plus systématique à la sous-traitance et au travail précaire qui entravent, selon une même logique, la production informelle des savoirs et de l’expérience nécessaires à la connaissance des risques et de leur prévention.

La pratique managériale de plus en plus répandue qui inscrit les organisations du travail dans un changement permanent enfonce encore plus le clou  : elle déstabilise les salariés, leur fait perdre leurs repères, les met en situation d’apprentissage perpétuel, en incapacité de maîtriser les situations de travail, et les rend de ce fait encore plus vulnérables aux risques, dans un contexte d’intensification et complexification de leur travail.

L’injonction véhiculée par l’idéologie managériale moderne de s’engager à fond dans le travail, de s’affirmer comme le meilleur, de faire ses preuves et d’y trouver du bonheur rend la situation encore plus dramatique en désamorçant toute distance critique des salariés, toute volonté de leur part de se protéger d’un environnement potentiellement toxique physiquement et mentalement.

Ainsi les pratiques et l’idéologie managériales (qui cherchent par tous les moyens toujours plus de performance selon des critères de rentabilité à court terme) convergent pour éloigner les salariés de toute velléité (et légitimité) de veiller au minimum sur leur propre sécurité et santé.

Restent les institutions qui ont pour mission de prendre en charge ces questions de santé et sécurité  : les inspecteurs du travail, les médecins du travail et les CHSCT. Ils sont là pour mener les enquêtes, identifier les situations dangereuses, et réclamer les actions préventives. Mais, nous explique le Medef, ils compliquent la tâche aux employeurs, à l’heure où il faudrait de la simplification, de la liberté pour les entreprises… Une offensive se mène donc pour affaiblir les dynamiques susceptibles de mettre en question des organisations du travail pathogènes et dangereuses. Les médecins du travail se trouvent réprimandés quand ils établissent des certificats médicaux qui osent faire le lien entre la santé et les organisations de travail, les inspecteurs du travail subissent des réformes déstabilisantes et la loi Rebsamen ouvre la porte à une dilution possible des CHSCT.

Toutes ces attaques reposent sur l’individualisation et la peur de ne pas être à la hauteur (des objectifs, des injonctions, des défis), la peur de perdre sa place qui frappent les salariés.

L’espoir est du côté de la reconstruction d’une conscience collective apte à considérer que la santé est un enjeu primordial au sein des entreprises, et qu’il est légitime de l’imposer comme tel à leurs dirigeants. C’est la démarche que soutient notamment un collectif de syndicalistes, chercheurs et experts qui prépare des états généraux de la santé des travailleuses et des travailleurs, «  pour ne pas perdre sa vie à la gagner  ».

par Danièle Linhart Sociologue 
du travail, directrice émérite 
de recherche 
au CNRS, laboratoire GTM-Cresppa (1)


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