La conception religieuse de la politique est surannée

vendredi 8 mai 2015.
 

Notre nation a connu une terrible épreuve en début d’année civile. Et le temps de l’analyse doit succéder à celui du panurgisme émotionnel. Plusieurs décryptages ont fait concurrence. Des lectures sociologisante, politique, géostratégique, psychologique, millénariste et théologique ont été présentées doctement. Et, tout en reconnaissant à chacune d’elles sa pertinence propre, nous affirmons qu’aucune n’est susceptible d’épuiser seule le sujet. C’est pour cela qu’il faut plus de distanciation et de hauteur pour une vision panoptique des choses. Certes, il y a des facteurs endogènes propres aux contextes islamiques et des raisons intrinsèques qui sont venues les alimenter et les aggraver.

Le drame réside dans la politisation de la religion, et surtout dans le discours martial puisé dans la partie belligène du patrimoine religieux islamique – conforme à une conception du monde dépassée, propre à un temps éculé –, qui n’a pas été déminéralisée ni dévitalisée. Plus qu’un aggiornamento, c’est à une refondation de la pensée théologique islamique qu’il faut en appeler. En finir avec la «  raison religieuse  » et la «  pensée magique  », s’affranchir des représentations superstitieuses, se soustraire à l’argument d’autorité, déplacer les préoccupations de l’assise de la croyance vers les problématiques de l’objectivité de la connaissance relèvent d’une nécessité impérieuse et d’un besoin vital. L’on n’aura plus à infantiliser des esprits ni à culpabiliser des consciences.

Les chantiers sont titanesques et il faut les entreprendre d’urgence  : le pluralisme, la laïcité, la désintrication de la politique d’avec la religion, l’égalité foncière et ontologique entre les êtres par-delà le genre, la liberté d’expression et de croyance, la garantie de pouvoir changer de croyance, la désacralisation de la violence, la démocratie et l’État de droit sont des réponses essentielles et des antidotes primordiaux exigés. La relation triangulaire entre la démocratie, la religion et les droits de l’homme est centrale dans la pensée subversive qu’il faut élaborer. Elle est d’autant plus fondamentale qu’il faut savoir transgresser tous les tabous qui l’entravent et l’encombrent.

Cette pensée héritière de l’Aufklärung et des secondes Lumières dans le sillage des maîtres du soupçon aura à déconstruire tout un patrimoine sclérosé. Elle saura déplacer les études du «  sacré  » vers d’autres horizons cognitifs et porteurs de sens. Le recours à la batterie de disciplines des sciences de l’homme et de la société ainsi que l’outillage intellectuel aiguisé pour les maîtriser constituent le mode opératoire qu’il faut adopter. Ce n’est pas une raison de s’enferrer dans le patrimoine religieux lorsqu’il s’agit de produire du droit et d’établir la norme juridique. Cette norme est une émanation rationnelle des hommes s’appliquant aux hommes. C’est tout simplement la «  déjuridicisation  » de la révélation.

Parce que la conception religieuse de la politique est surannée, ses implications dans la vie actuelle sont révolues. Il est temps pour les musulmans de donner une assise doctrinale à l’ensemencement de la matrice laïque par l’idéal éthique de fraternité et de solidarité, tout en sortant de la prison d’un temps présent calqué sur le modèle immuable et autarcique du tout-religieux. L’aspect formel et technique de l’organisation de la Cité est une entreprise neutre exclusivement humaine. Il en résulte qu’il ne doit pas y avoir une doctrine politique qui soit, à proprement parler, purement coranique, en dépit des versets dits sentencieux, principiels, prescriptifs ou normatifs. La modernité est à ce tribut et elle ne pourra advenir que lorsque la théologie aura déblayé en amont une pensée de la liberté.

Aussi le progrès sera-t-il la conséquence heureuse du passage opéré du tout-théocratique au tout-démocratique où l’impératif absolu du respect de la conscience humaine est non négociable. Il est le préalable à toute œuvre de démocratisation, à commencer par la liberté d’esprit au niveau individuel comme une révolution opérée dans les mentalités, avant de prétendre mener celle des nations entières. Le libre choix politique va de pair avec le libre examen métaphysique.

par Ghaleb Bencheikh, islamologue 
et docteur 
en sciences

Tribune dans L’Humanité Dossier : L’Islam politique existe-t-il ?


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