Constantin Costa-Gavras  : «  Un immense espoir de changement en Grèce »

mercredi 15 avril 2015.
 

Réputé pour la fibre politique de son cinéma, le réalisateur de Z, de Missing et de l’Aveu approuve la volonté d’Alexis Tsipras de sortir le pays des griffes de la troïka. La Grèce, insiste-t-il, affronte une Europe conservatrice qui, pour des raisons idéologiques, n’a aucune raison de laisser Syriza réussir.

Vous êtes né en Grèce avant 
la Seconde Guerre mondiale. Comment inscrivez-vous l’élection de Syriza dans l’histoire contemporaine de la Grèce que vous avez traversée  ?

Constantin Costa-Gavras Je crois nécessaire de remonter un peu plus loin dans cette histoire. Depuis 1830, la Grèce est sous tutelle étrangère. Une démocratie s’y est formée avec des dirigeants plus ou moins démocrates, mais toujours redevables à l’égard de ces tutelles. Sans chronologie, il s’agit de l’Empire austro-hongrois, de l’Angleterre, de la France, de la Russie. D’autres interférences se sont jouées lors de l’avènement de l’Union soviétique. Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont tout emporté. Les partis, les factions politiques de Grèce étaient indissociablement liés à l’une ou l’autre de ces forces étrangères. C’était indispensable pour exister politiquement. Après-guerre, le premier dirigeant qui s’est opposé à la politique de l’Otan, en dénonçant notamment la présence des bases militaires américaines, Grigoris Lambrakis, a été tué. (Yves Montand interprétait le rôle du député assassiné en 1963 par une faction d’extrême droite dans le film Z, – NDLR.) Plus tard, Andreas Papandréou a accompli des changements sociaux importants lors de son premier mandat législatif et de sa première présidence de la République, même si, dès le second mandat, tout a versé dans le clientélisme, le populisme, à quoi il faut ajouter de nombreux scandales et une vie privée loin d’être exemplaire. Alexis Tsipras est à mon sens le troisième dirigeant de la période contemporaine déterminé à des réformes profondes.

Qu’est-ce qui vous en a convaincu ?

Constantin Costa-Gavras Certains aspects de sa personnalité et de son programme. Au départ, je me méfiais un peu du discours, j’avais des interrogations. Et puis nous nous sommes rencontrés à Paris avant les élections. D’un dîner, nous sommes passés à des heures de discussion. D’abord, il ne parlait pas de ses adversaires ou d’autres personnalités politiques sur le mode trop familier de l’insulte. Lorsque je l’ai questionné sur sa revendication de « radicalité », il m’a donné une réponse que j’ai beaucoup appréciée, à savoir que le terme de «  radicalité  » puisait au terme « racines », et que les deux « racines » de la Grèce étaient la démocratie et la culture. Puis j’ai lu le programme de Syriza concernant, entre autres, la culture. C’est une dimension très importante en Grèce dans les diverses disciplines et expressions, musique, théâtre ou encore cinéma. J’ai trouvé le programme très juste sur la forme et le fond, à savoir un soutien d’État indispensable, tout en laissant la culture aux mains de ceux qui la font. Après avoir écouté son discours préélectoral depuis Thessalonique où je me trouvais à ce moment-là, je lui ai adressé un message de soutien. Ce qui se passe pour trois ou quatre millions de Grecs est une tragédie. J’approuve la volonté de Tsipras de sortir le pays des griffes de la troïka. J’ai vu récemment un documentaire très approfondi sur les fonctionnements de celle-ci. On voit des bureaucrates d’une rigidité extraordinaire. Il y a pléthore de chiffres, jamais de peuple. Que 300 000 Grecs vivent sans électricité ni chauffage, que trois millions n’aient aucune protection sociale, cela ne les atteint pas. Ils sont dans le dogme religieux. Leurs politiques ne fonctionnent pas. Tsipras l’a révélé en grand, certes grâce à ses talents d’orateur mais surtout parce que cela 
correspond à la réalité de ce que vivent 
les Grecs.

Et s’agissant de la situation actuelle depuis les élections ?

Constantin Costa-Gavras La Grèce se retrouve face à une Europe conservatrice qui n’a aucune raison de laisser Tsipras réussir, ne serait-ce que pour des raisons idéologiques. Je regrette que les élections aient été remportées avec seulement 37 % des suffrages pour peser contre des adversaires européens aussi redoutables. Cela a de plus contraint Tsipras à des alliances avec le centre droit qui l’obligent sans doute à des conflits dans son propre camp. Il a commencé à appliquer ses réformes. Il ne réussira peut-être pas tout, mais l’essentiel est de tout faire pour y parvenir. Cela soulève un immense espoir et peut provoquer des changements éthiques dont la Grèce a grand besoin. Lorsque les dirigeants trichent, tout un chacun se sent en droit de tricher, cela imprime des mentalités. C’est par l’exemple qu’elles pourront se transformer. À la différence de la plupart des personnalités politiques, Tsipras ne se présente pas comme le recours unique, ce qui n’a jamais produit que des fans. Rien n’a été fait jusqu’à la période récente pour aiguiser le pragmatisme du peuple, laissé au chacun pour soi. En plus d’être jeune, Tsipras échappe à la continuité historique des dynasties de droite ou de gauche qui ont gouverné la Grèce. Le pays a en effet une véritable histoire et le recours récurrent aux références mythologiques dès que l’on parle de la Grèce m’agace un peu. Je suis particulièrement content, pas seulement aux plans éthique et symbolique, de la naturalisation de plus d’un million d’enfants issus de parents immigrés qui, de ce fait, sont eux aussi acceptés, dans un pays où 10 % de la population viennent de partout dans le monde. Je ne suis pas un homme de parti mais j’ai assuré à Tsipras que
je serai là pour la Grèce. Pour le soutenir au mieux, je formulerai toutes mes critiques, au sens plein, négatives ou positives. Je pense qu’il y a vraiment une chance 
à saisir.

Entretien réalisé par Dominique Widemann, L’Humanité


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