24 mars 1980 au Salvador Des bandits payés par la CIA assassinent monseigneur Romero, archevêque et martyr des pauvres

mardi 26 mars 2024.
 

Il était l’archevêque des pauvres, «  la voix des sans-voix  ». Ses homélies parlaient de justice. Justice pour les Salvadoriens étranglés dans un pays meurtri par une répression aveugle. Avec droiture, Mgr Romero a dénoncé les violations des droits de l’homme. Avec courage, il a défendu l’ouvrier et le paysan, les «  Juan sin Tierra  » humiliés et exploités par une poignée de tout-puissants. «  Le gouvernement ne doit pas considérer un prêtre qui se prononce pour la justice sociale comme un homme politique ou un élément subversif, surtout lorsque celui-ci est en train d’accomplir sa mission dans la politique de bien commun  », déclarait l’archevêque de San Salvador en 1977. Un an plus tard, son propos se fait plus incisif. «  En l’état actuel des choses, ce qui saute aux yeux, c’est l’énorme inégalité dans laquelle se trouvent les citoyens en matière de participation politique, selon qu’ils appartiennent aux minorités puissantes ou aux majorités nécessiteuses et selon qu’ils jouissent de l’approbation officielle ou non  », constate-t-il dans une lettre pastorale.

Un acte de réparation

Ce 24 mars 1980, il officie dans la chapelle de l’hôpital de la Divine-Providence, où il vit. Il s’affaire aux préparatifs de la messe. Mais il ne célébrera jamais l’eucharistie. Une balle lui transperce le cœur. Il s’effondre. Son assassin, un sicaire agissant pour le compte des paramilitaires d’extrême droite financés par la CIA. «  Au nom de Dieu et de ce peuple souffrant (...) Je vous demande, je vous prie, je vous ordonne, au nom de Dieu, de cesser la répression  », avait-il enjoint, la veille de son exécution. Il aura fallu trente-cinq ans pour que le Vatican reconnaisse enfin l’aura de Mgr Romero bien au-delà des frontières de l’Amérique latine, en annonçant, mardi, sa béatification puis sa canonisation en 2017. La conférence épiscopale du Salvador a aussitôt ordonné aux lieux de culte où se trouvent des biens à son effigie d’y apposer un ruban rouge, symbole de martyre pour l’Église catholique. La décision du pape François est un acte de réparation  ; elle corrige le silence de ses prédécesseurs.

En 1979, la guerre civile éclate au Salvador. La dictature militaire, appuyée par l’oligarchie réactionnaire et par les États-Unis, fait régner la terreur. Les escadrons de la mort, fondés par Roberto d’Aubuisson, commettent des assassinats collectifs d’une barbarie inouïe. Les opposants au régime ou encore les hommes d’Église qui osent défendre les opprimés sont liquidés. La contestation est matée dans le sang.

L’insurrection couve  ; les forces de gauche sont sur le point de se souder au sein de la guérilla du Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN). Romero assiste à cette tragédie qui se noue. L’archevêque, qui a vu le jour en 1917, n’est pas à proprement parler un homme de la théologie de la libération. Il ne cache pas sous sa robe des armes, comme d’autres prêtres sur le continent. On le dit d’ailleurs plutôt conservateur. Mais l’horreur subie par ses fidèles ou les exactions, comme le meurtre de son ami le jésuite Rutilio Grande, l’affectent profondément.

En 1979, donc, «  la voix des sans-voix  » décide de se rendre à Rome. 
Il y plaide en faveur de la paix, demande de l’aide. Il reçoit une fin de non-recevoir de la part du pape Jean-Paul II. Nommé un an plus tôt, ce dernier veut mettre au pas ces jésuites qu’il juge trop subversifs et déclare la guerre à la théologie de la libération, accusée de marxisme parce que solidaire des opprimés. En pleine guerre froide, Karol Wojtyla a choisi son camp. Il partage la même obsession que les dirigeants états-uniens. À ses yeux, le communisme est une menace qu’il faut anéantir et, pour cela, il va étouffer les éléments progressistes des Églises d’Amérique centrale et du Sud, terres de révoltes sociales dominées par des pouvoirs despotiques. L’archevêque Romero ne sera donc pas entendu. De retour au Salvador, il poursuit son travail auprès des déshérités. En février 1980, dans une vaine tentative d’endiguer le conflit, il se tourne vers Jimmy Carter, le président des États-Unis, dont le pays tire les ficelles du régime salvadorien. «  Nous en avons assez des armes et des balles  », lui écrit-il. Mais l’opération Charlie de la CIA est déjà déclenchée. Pure réplique du plan Condor, elle vise à étouffer les mouvements populaires par l’extermination des activistes de gauche prônant le progrès social comme la justice.

L’exécution de Romero, dont on apprendra plus tard qu’elle s’est monnayée 114 dollars, survient dans ce contexte d’ingérence dans une région considérée par Washington comme son arrière-cour. Cent mille autres Salvadoriens vont mourir durant la guerre. Elle ne prendra fin qu’en 1992. «  En tant que chrétien, je ne crois pas à la mort sans résurrection. S’ils me tuent, je ressusciterai à nouveau dans le peuple salvadorien  », avait dit un jour l’archevêque. Lors de ses obsèques, le peuple ose braver les interdits. Les soldats et les escadrons de la mort n’hésitent pas à ouvrir le feu  : 35 personnes sont tuées et 650 blessées. Certains ont alors pris les armes et rejoint la guérilla. Beaucoup croyaient au Ciel et en les hommes aussi.

Cathy Cèbe, L’Humanité


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message