22 octobre 1956 Les dirigeants du FLN algérien sont kidnappés en plein vol aérien par la France

lundi 26 octobre 2020.
 

Le 22 octobre 1956, un avion de la compagnie Air Maroc-Air Atlas décolle de la capitale marocaine, Rabat. À son bord, cinq membres éminents du Front de libération nationale (FLN) algérien. Leur destination  ? Tunis, où doit se tenir une conférence avec les partis frères du Maghreb. La rencontre s’annonce décisive pour le FLN, car elle peut créer un rapport de forces politique susceptible de mettre fin à la guerre d’Algérie. Sauf qu’elle n’aura pas lieu. En effet, alors que l’avion survole les eaux internationales, son équipage est sommé d’atterrir à Alger par les autorités françaises locales. Pour mettre la main sur les dirigeants du FLN, les fractions du pouvoir hostiles à toute négociation commettent ainsi le premier acte de piraterie de l’histoire de l’aviation civile, et il sera lourd de conséquences… Ahmed Ben Bella, futur premier président de l’Algérie, Mohamed Kidher, Hocine Aït-Ahmed, Mohamed Boudiaf et Mostefa Lacharef seront détenus six ans. À la Santé, d’abord, puis en résidence surveillée au fort Liédot, sur l’île d’Aix, au large de La Rochelle, avant de regagner la métropole. C’est en s’appuyant sur le fonds Ben Bella des Archives départementales de Charente-Maritime, qui comporte en particulier les écoutes réalisées par les services de renseignements français au fort Liédot, que Sallah Laddi a conçu Dans l’ombre d’une guerre. Un docu-fiction mené de main de maître et précieux pour le travail de mémoire sur la guerre d’Algérie. Entretien.

Pourquoi cet épisode de l’arraisonnement de l’appareil d’Air Maroc-Air Atlas, en violation flagrante de la légalité internationale, est-il quasiment tombé dans l’oubli côté français  ? A-t-il fait l’objet d’un ostracisme particulier  ?

Sallah Laddi  C’est difficile à dire. Moi-même, je ne connaissais absolument pas cet épisode, qui est en revanche bien connu en Algérie. Habitant La Rochelle, je savais que les chefs historiques du FLN avaient été incarcérés sur l’île d’Aix. En creusant, j’ai découvert que l’arrestation était due à un détournement d’avion et qu’il s’agissait, en l’occurrence, du premier acte de piraterie de l’histoire de l’aviation civile. Surtout, j’ai réalisé que, ce 22 octobre 1956, c’est l’histoire elle-même qui a été détournée.

En quel sens  ?

Sallah Laddi  On ne peut pas refaire l’histoire. Mais il faut se rappeler que, ce jour-là, la délégation du FLN se rendait à Tunis pour faire une déclaration en faveur d’une gestion commune du pays par les Français d’Algérie et les Algériens. Cela aurait pu contribuer à stopper le conflit armé. D’ailleurs, des négociations secrètes se tenaient au Caire, dès cette époque, avec le gouvernement français. La décision d’arraisonner l’avion a été prise dans la plus grande confusion.

Votre docu-fiction tente justement de 
reconstituer la chaîne de responsabilités dans cette affaire. Guy Mollet, le président du Conseil de l’époque, aurait été mis devant le fait accompli. Comment est-ce possible  ?

Sallah Laddi  Durant la IVe République, 
les directeurs de cabinet avaient au fond plus de pouvoir que le gouvernement lui-même. Toutes les personnalités qui ont vécu cette période et que j’ai rencontrées pour mon film s’accordent sur ce point. Une telle prédominance des directeurs de cabinet constitue une véritable erreur dans la gestion politique d’un pays.

Mais Guy Mollet n’aurait-il pu reprendre la main, s’opposer à l’arrestation 
des chefs du FLN  ?

Sallah Laddi  Si, bien sûr. C’est ce qu’explique en substance Ali Haroun, à l’époque responsable de la Fédération de France du FLN. Mais encore fallait-il avoir une personnalité suffisamment forte pour tenir tête au lobby des Français d’Algérie. Or, il y avait, chez Guy Mollet, une forme de mollesse.

Avez-vous rencontré des difficultés particulières dans la réalisation de votre docu-fiction  ?

Sallah Laddi  Quand le producteur, Didier Roten, m’a demandé de travailler sur la détention des chefs du FLN, je me suis d’abord demandé ce que j’allais bien pouvoir raconter, au-delà de l’événement lui-même. Je ne connaissais pas, alors, l’existence du fonds Ben Bella aux Archives départementales de Charente-Maritime. Quand j’ai pu le consulter, j’ai constaté que je disposais là d’une multitude de détails sur la façon dont les prisonniers vivaient leur incarcération, sur les personnes qu’ils ont reçues durant les deux années passées au fort Liédot. Il était alors aisé de reconstituer leur quotidien. Donc, vraiment, je n’ai rencontré aucune difficulté. En réalité, il y a beaucoup d’archives disponibles sur la guerre d’Algérie. Mais, comme me le confiait récemment une personne des archives du ministère de la Défense, elles restent encore peu consultées, en comparaison de celles relatives à la Seconde Guerre mondiale ou à la période de la guerre d’Indochine. Les choses sont peut-être en train de changer. Du moins, je l’espère.

Entretien réalisé par 
Laurent Etre, L’Humanité


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message