Ecologie : L’appel de Manille est sans ambition et régressif !

vendredi 6 mars 2015.
 

Beaucoup ont parlé de l’appel de Manille lu par Marion Cotillard lors du voyage présidentiel de François Hollande aux Philippines. Peu l’ont analysé avec précision, sauf à dire qu’il ne contenait rien de spectaculaire. Ce n’est pas vrai. Il est spectaculairement sans ambition et régressif. Analyse.

Lu avec difficulté par Marion Cotillard, l’appel de Manille a finalement été peu commenté sur son contenu. Il est pourtant exemplaire. Exemplaire d’une machinerie diplomatique française qui tourne à vide et qui ne semble avoir aucune vision globale de ce qu’implique une lutte déterminée contre les causes des dérèglements climatiques.

Une ambition édulcorée

En septembre 2013, lors de la réception des travaux du GIEC, Laurent Fabius avait fixé le cap. En 2015, à Paris, il s’agissait d’aboutir à « un accord applicable à tous, juridiquement contraignant et ambitieux, c’est-à-dire permettant de respecter la limite des 2 °C ». Dans l’appel de Manille, il n’y a plus aucune référence à l’objectif des 2°C. Les négociateurs français n’ont-ils pas déjà averti que l’accord (éventuel) de Paris ne serait pas « en capacité d’être dans un scénario de limitation du réchauffement à 2 °C » ? Jugé inatteignable, cet objectif chiffré que la communauté internationale s’est elle-même fixée, est donc tout simplement passé sous silence.

L’appel de Manille ne mentionne pas plus l’objectif consistant à obtenir un accord juridiquement contraignant à Paris. Insistance est faite sur la volonté d’obtenir un accord universel, s’appliquant à tous les Etats, mais rien n’est dit sur la nature juridique de l’accord auquel il faudrait aboutir. Ainsi, à la contrainte juridique, seule à-même d’instituer une contrainte et un engagement politique autour des engagements des Etats, il est jugé préférable de s’appuyer sur la bonne volonté des Etats. Preuve également que le gouvernement français est prêt à accepter n’importe quel type d’accord, pourvu qu’il y ait un accord à Paris.

Historique ?

« Nous espérons que nous écrirons ensemble l’histoire à Paris en décembre et que nous ne nous contenterons pas de la regarder se dérouler en simple spectateurs » est-il écrit dans l’appel de Manille (article 2). François Hollande a déjà plusieurs fois mentionné qui souhaitait « laisser sa trace » dans l’histoire en obtenant un « accord historique ». Sans que le contenu de ce serait « un accord historique » ne soit précisé. Pas plus dans dans les précédentes déclarations publiques de François Hollande que dans l’appel de Manille.

Faisant le constat que « nous atteignons le point de non-retour en matière de changement climatique » l’appel de Manille se limite à dire qu’il faut passer « des intentions à l’action » (article 10), sans caractériser précisément de quelle action il s’agit. Quand l’article 6 évoque les « émissions », c’est pour indiquer qu’il faudrait un accord pour les « réduire », sans objectif assigné – quelle ambition ! A l’ambition édulcorée et à la forme juridique non précisée, cet (éventuel) accord de Paris pourrait donc bien être qualifié comme « historique » du simple fait qu’il existe, si l’on suit la philosophie de l’appel de Manille.

La novlangue de Manille, ou la diversité de l’inaction

La première phrase de l’article 6 est exceptionnelle. J’ai beau être habitué de la novlangue des négociations internationales sur le changement climatique, je n’ai pas compris ce qu’elle signifie, si ce n’est qu’elle nous dit que les pays sont divers et différents – grande découverte : « Nous avons besoin d’un accord négocié et accepté par tous et pour tous, qui tienne compte de toutes les différences de situation et fasse converger diverses perspectives pour accélérer l’action collective ». Les pays sont divers, il faut accélérer, mais il n’est pas indiqué dans quelle direction.

Et les causes du réchauffement climatique ?

Inquiétant quand on se rend compte que l’appel de Manille ne donne aucune piste sérieuse sur le contenu de cette « action collective » ou sur ce que signifie « agir pour le climat » (art. 3). Les causes du réchauffement climatique et les grandes tendances de l’économie mondiale qui contribuent à renforcer et accélérer le réchauffement climatique (globalisation économique et financière, dynamiques extractivistes, modes de production et de consommation insoutenables) ne sont tout simplement pas évoquées. Comme s’il n’était pas nécessaire de s’attaquer aux causes du dérèglement climatique pour « agir pour le climat ».

Solidarité, justice, coopération, des mots creux ?

Aucune action concrète non plus lorsque l’appel affirme « prendre conscience que les pays en développement, qui ont le moins contribué au changement climatique, sont ceux qui souffrent le plus de ses effets ». Si l’on peut saluer cette prise de conscience – il n’est jamais trop tard (sic) – n’est-il pas étonnant qu’aucune action ne soit précisée, aucun objectif assigné ? Sont égrainés des mots génériques tels que « solidarité, justice, coopération », auxquels le texte appelle, mais qui dans ce contexte, sonnent creux. Ils ne sont pas précisés, pas illustrés et les lecteurs habitués des politiques climatiques, déçus des années durant, ne peuvent y voir autre chose que de jolis mots vidés de leur contenu.

Business as usual ?

Par contre, dès qu’il s’agit de parler d’économie, les auteurs du texte sont plus précis, plus incisifs et directifs. Là où l’appel de Manille se contente « d’appeler » à « la solidarité, la justice la coopération », il insiste sur le « besoin » d’un accord pour « créer des opportunités économiques » (article 6). Un accord ? Oui, à condition qu’il génère donc des « opportunités économiques ». Mieux, lorsqu’il s’agit de « croissance économique » – à laquelle est statistiquement corrélée l’augmentation des émissions de gaz à effets de serre (GES) par ailleurs – c’est le verbe « devoir » qui est utilisé, et non plus le verbe « appeler ». Dans une phrase qui laisse entendre que le paradigme du développement durable, issu du Sommet de Rio de 1992 – depuis lequel les émissions mondiales ont augmenté de plus de 60 % – serait, bien qu’inopérant, indépassable. De deux choses l’une : soit les auteurs de l’appel de Manille manquaient d’imagination – nous pouvons leur faire des propositions – ou bien défendent-ils réellement lebusiness as usual impliquant de ne surtout pas toucher aux causes structurelles des dérèglements climatiques.

Pourquoi les Philippines ?

Quittons le contenu du texte, manifestement sans ambition précise pour le climat. Pour François Hollande et la diplomatie française, les Philippines sont devenues un « interlocuteur privilégié » parce que le pays incarne une « voix progressiste parmi des pays en développement ». Que signifie « progressiste » pour les négociateurs français ? Que les Philippines ne cultivent pas « une opposition nord-sud » avec les pays émetteurs de GES. Paris fait donc ami-ami avec les Philippines parce que le gouvernement philippin n’est pas très véhément avec les pays occidentaux, dont la France, en termes d’exigences de réduction d’émissions de gaz à effets de serre. De quoi caractériser l’ambition du gouvernement français ? A savoir ne pas trop réduire ses propres émissions – comme le montre le plan de route de l’Union européenne – tout en invitant l’ensemble des pays de la planète, y compris les pays historiquement faiblement émetteurs de GES, à réduire leurs propres émissions ? La question est posée.

Ne jamais oublier les intérêts économiques des multinationales françaises

En se rendant aux Philippines, François Hollande n’a pas oublié d’emmener dans ses bagages des PDG de multinationales françaises comme Alstom, la RATP, Sanofi, Suez Environnement. Objectif : signer des accords commerciaux dans l’intérêt de ces entreprises françaises ! Dans les domaines « compatibles avec l’environnement » est-il précisé, soit un engagement minimal qui montre surtout que le gouvernement français ne se limite habituellement pas à des contrats compatibles avec l’environnement (sic). On appelle cela la diplomatie économique : mettre au service des entreprises françaises les moyens de la diplomatie française pour signer des accords à l’étranger. Pas sûr que Marion Cotillard et Mélanie Laurent aient été informées : parler de climat, d’accord, mais encore faut-il ne pas perdre le Nord ! L’appel de Manille le dit noir sur blanc : le climat, c’est aussi (d’abord ?) l’occasion de nouvelles opportunités économiques. La diplomatie française y veille.

En conclusion, l’appel de Manille invite chacun d’entre nous à « diffuser cet appel ».

Pour toutes les raisons qui précèdent, nous ne le diffuserons pas.

Nous préférons vous inviter à discuter, compléter et diffuser l’autre Appel de Manille, celui que Marion Cotillard aurait du lire, celui qui pose les bases d’une véritables ambition en matière de climat !

Maxime Combes, d’ATTAC. Publié sur Médiapart.


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