Pendant cette période où les partis politiques sont largement remis en cause, il est nécessaire de connaître leur nature profonde pour en comprendre leur dynamique et aussi leur déclin.
L’appareil médiatique, dont l’une des fonctions est de gommer les rapports de classe, ne peut appréhender que des phénomènes de surface.
Cet article du 1er mars 2015 permet de répondre, entre autres ,à cette question : Quelle est la nature profonde du parti socialiste ?
Un champ de force politique tripolaire
Après lecture de cet article, l’ouvrage collectif des journalistes de Mediapart :"Qu’ont–ils fait de nos espoirs ?" (418 pages ; 2015 ; Éditions Don Quichotte. Le Seul), pourra apparaître comme l’œuvre de journalistes progressistes en proie à une certaine naïveté. Les reniements du gouvernement socialiste obéissent à une logique qui n’a rien de conjoncturelle et étaient, pour l’essentiel, prévisibles.
Il est possible de lire le paragraphe 1 après les paragraphes 2 et 3.
1 – Analyse sociologique classique des partis politiques.
Commençons par un premier texte extrait d’une étude intitulée : " Les partis politiques : origine, types et fonctions"
Le lecteur pourra continuer la lecture de cet extrait en cliquant ici (1)
Apparus avec le régime représentatif au XVIIIe siècle, les partis politiques ont pris leur forme moderne suite au développement de la démocratie et à l’élargissement du droit de suffrage au cours du XIXe et du XXe siècle. Selon la définition proposée par La Palombara et Weiner dans Political Parties and Political Development (1966), les partis politiques sont des organisations durables, possédant des ancrages locaux et dont l’objectif est la conquête du pouvoir au moyen de la recherche du soutien populaire. Si cette définition met en avant les principales caractéristiques des partis politiques, ceux-ci peuvent être néanmoins différenciés selon leur histoire, les stratégies qu’ils mettent en œuvre ou la manière dont ils sont organisés.
1/ L’apparition des partis politiques est solidaire du développement du parlementarisme et de l’extension du droit de suffrage qui caractérise les régimes représentatifs et démocratiques.
A/ Dans Le Savant et le Politique (1919), Max Weber écrit que "les partis politiques sont les enfants de la démocratie, du suffrage universel, de la nécessité de recruter et d’organiser les masses". Leur existence est donc solidaire de tous ces éléments, et plus particulièrement de l’extension du suffrage universel.
Dans Economie et société (1922), il estime également que c’est "dans l’Etat légal à constitutions représentatives que les partis prennent leur physionomie moderne". Cela signifie que le développement des partis doit beaucoup au parlementarisme. Ce sont les partis qui vont présenter des candidats et des programmes aux citoyens. Les parlementaires élus grâce à leur soutien vont ensuite élaborer des normes, contrôler l’administration et soutenir l’action du gouvernement, voire tenter de le renverser.
B/ Dans Les partis politiques (1951), Maurice Duverger distingue deux types de parti selon leur naissance :
les partis de cadres : ils ont une origine électorale et parlementaire, c’est-à-dire que leur naissance est liée à l’extension des prérogatives du Parlement et du droit de suffrage. Avec l’émergence des Assemblées, des groupes parlementaires se constituent progressivement. L’extension du droit de suffrage contraint ces groupes à s’organiser localement en créant des comités électoraux. Pour assurer leur cohésion, une administration centrale se constitue et devient l’état-major du parti et instaure une véritable spécialisation du travail au sein de l’organisation. Ces partis sont tournés principalement vers l’élection et cherchent à recruter parmi les notables les élites sociales permettant de financer et d’influencer la vie politique.
Ils sont assis localement sur des réseaux de notables et ignorent toute structure hiérarchisée. Ce sont, par exemple, les partis whigs et tories en Angleterre ; les partis de masse : ils ont une origine extérieure, c’est-à-dire que leur naissance est liée au développement de diverses associations telles que les syndicats ou les sociétés de pensée. Ils sont en quête d’adhérents et de militants issus des classes populaires qui financent le parti via leurs cotisations. Ils les forment et les promeuvent. Pour cette raison, ce sont des partis fortement organisés et hiérarchisés : la base est constituée par des sections locales, coordonnées au niveau départemental par des fédérations, elles-mêmes dépendantes d’un centre.
Ces partis de masse permettent d’encadrer politiquement les catégories sociales jusqu’alors exclues du droit de vote. Ils ont pour objet la recherche de l’adhésion formelle du plus grand nombre. Ce sont par exemple le parti travailliste anglais, issu des Trade-Unions et des sociétés de pensée (la Fabian Society) ou encore le parti socialiste français.
Fin du premier extrait
Continuons avec un second texte extrait d’une étude intitulée : "La science politique et l’étude des partis politiques"
Le lecteur peut avoir accès au texte complet cliquant ici (2)
Nous avons extrait la partie du texte qui s’approche de notre objectif : lier la dynamique des partis aux rapports de classe.
C’est sans doute Maurice Duverger, en publiant en 1951 la première grande étude synthétique consacrée aux partis politiques, qui a le plus contribué à définir le champ des recherches sur cette question dans les trente années qui ont suivi.
La redécouverte de l’ancrage social des partis politiques
A côté des analyses organisationnelles, parfois baptisées structurelles, a toujours existé une approche des partis insistant davantage sur leur ancrage social (voir en encadré la critique de M.Duverger par G. Lavau). On peut faire remonter cette tradition à l’analyse qu’a faite Karl Marx des luttes politiques sous la Seconde République dans Le 18 brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte.
Dans ce texte célèbre, Marx associait chacune des tendances politiques (bonapartisme, légitimisme, orléanisme) à l’expression des intérêts des différentes fractions de la classe dominante. Malgré cette première esquisse d’analyse matérialiste des partis politiques, échappant à une vision étroitement déterministe de la superstructure politique appréhendée comme simple « reflet » de l’infrastructure sociale, les auteurs d’inspiration marxiste n’exploreront guère cette piste par la suite, lui préférant le dogme formulé par Lénine suivant lequel la taxinomie des partis correspond à la taxinomie des classes sociales.
Paradoxalement ce sont donc plutôt des chercheurs d’inspiration culturaliste qui ont exploré la question de la relation entre clivages sociaux et clivages partisans. Le premier est le politologue norvégien Stein Rokkan4 qui, partant de l’idée qu’un parti ne peut durablement enraciner son organisation que s’il se fonde sur un clivage social profond, distingue quatre clivages fondamentaux plus ou moins aigus selon les pays occidentaux.
Deux sont nés au cours de la phase d’édification des Etats-nations : le clivage Etat/Eglise et le clivage centre/périphérie ; deux résultent de la révolution industrielle : le clivage urbain/rural et le clivage possédants/travailleurs ; un dernier « sous-clivage » est apparu au cours du XXe siècle au sein de la gauche à la faveur de la révolution bolchévique.
Daniel-Louis Seiler s’est employé à la suite de Rokkan à classer tous les partis européens en fonction des clivages qu’ils expriment. En combinant les quatre clivages principaux repérés par ce dernier, il a distingué des partis bourgeois et des partis ouvriers (clivage possédants/travailleurs) ; des partis centralistes et des partis régionalistes ou autonomistes (clivage centre/périphérie) ; des partis démocrates-chrétiens et des partis anti-cléricaux (clivage Eglise/Etat) ; des partis agrariens (clivage rural/urbain), le versant urbain n’ayant pas généré de partis spécifiques ; le dernier sousclivage a pour sa part donné naissance aux partis communistes. L’inscription de chaque parti européen dans une catégorie donnée repose sur son histoire, son programme, les liens qu’il entretient avec différents groupes d’intérêt (syndicats ou associations), et la composition sociale de son électorat et de ses membres.
Malheureusement ces données sont loin de converger et l’identification se révèle problématique : le parti socialiste français est ainsi classé comme parti ouvrier alors même que son anti-cléricalisme et le jacobinisme de ses dirigeants le rapproche tout autant sinon plus de la famille des partis centralistes et de celle des partis anti-cléricaux.
Quant aux partis écologistes, dont l’implantation électorale est avant tout urbaine, leur rattachement aux partis agrariens laisse songeur. Au-delà de la taxinomie proposée, impropre — comme dans le cas des typologies organisationnelles — à rendre compte de la diversité concrète des partis et à prendre en considération le fait que les catégories sont autant des outils conceptuels que des enjeux de pouvoir à l’intérieur et entre les partis eux-mêmes, la démarche de D.-L. Seiler a le mérite de rappeler que les organisations partisanes n’existent que parce qu’elles prennent appui et entretiennent des oppositions sociales et, par-delà, mobilisent des groupes sociaux bien spécifiques.
Le caractère socialement composite de l’électorat, mais aussi des adhérents de la plupart des partis politiques mis en évidence par les nombreuses études quantitatives menées au cours de ces vingt cinq dernières années n’infirme pas cette idée essentielle. La composition sociale des différents partis européens traduit la persistance de nets clivages en fonction de la religion, du milieu professionnel d’origine et d’appartenance, même si les oppositions sont d’autant plus subtiles qu’on monte dans la hiérarchie des postes car elles entrent alors en interférence avec les logiques propres de la spécialisation politique.
Si l’on prend le cas de la France, pour laquelle la plupart des données ont été rassemblées par Colette Ysmal5, les militants et les élus issus des professions indépendantes apparaissent nettement plus nombreux dans les partis conservateurs que dans les partis de gauche, dans lesquels prédominent les salariés en majorité du secteur public6 ; de même les catholiques pratiquants et les individus passées par l’enseignement privé sont en moyenne trois fois plus nombreux au RPR et à l’UDF qu’au PS ou au PCF. Enfin l’origine sociale mesurée à l’aune de la profession des parents, voire des grands-parents indique que les militants et élus des partis de gauche appartiennent plus souvent que ceux de droite à des familles en ascension sociale par le biais de la réussite scolaire.
Vers une approche anthropologique des partis.
Les études sociographiques sur les membres des partis comme les analyses macro-sociales d’inspiration culturaliste décrivent un phénomène mais n’expliquent pas la permanence des liens existant entre un parti donné et certains groupes sociaux, et ce d’autant plus que ces liens ne sont pas univoques, mais varient beaucoup dans le temps et dans l’espace.
Seul le détour par l’histoire sociale et par l’analyse localisée permet dès lors de mettre en évidence la complexité et la variété de ce que nous avons appelé, dans un ouvrage à paraître, les réseaux et les milieux partisans par opposition au parti-organisation7, autrement dit l’ancrage anthropologique des partis.
Certains travaux récents sur le parti communiste, réputé le plus homogène du point de vue de son organisation (du fait de son fameux « centralisme démocratique »8) et de son idéologie, ont de ce point de vue fortement contribué à renouveler les approches classiques des partis. Ils ont mis en évidence tout ce que ce parti devait à certaines communautés professionnelles et immigrées9 souvent ancrées dans des territoires, qui, par leurs formes de sociabilité, ont autant marqué le parti que celui-ci les a marquées.
Ces recherches révèlent plus généralement que l’implantation d’un parti, son recrutement et les pratiques militantes qui le caractérisent ne peuvent être appréhendés qu’à condition de mettre en évidence les réseaux familiaux, amicaux, syndicaux, associatifs ou encore professionnels qui définissent son milieu d’influence.
C’est également à la condition de mettre en évidence les contours de ce milieu qu’on peut comprendre les transformations qui touchent les partis. On n’a, de ce point de vue, pas encore pris toute la mesure des effets sur les partis communistes ou sociaux-démocrates de la désindustrialisation et de la baisse de l’influence syndicale qu’elle a provoquée, et sur les partis démocrate-chrétiens de la perte d’influence de l’Eglise catholique.
Par là même, l’approche anthropologique autorise une meilleure saisie des rapports de forces internes. En effet, en mettant en évidence la diversité des réseaux constitutifs d’un parti politique et en soulignant leurs transformations et la manière dont ils altèrent l’équilibre des rapports de force internes, elle amène à dépasser une vision purement stratégiste et instrumentale des organisations politiques (voir en encadré le texte de Jacques Lagroye).
Fin du second extrait.
2 – La classe capitaliste dominante : une classe bipolaire
Nous avons déjà abordé en partie cette question dans l’article : "La notion de classes sociales antagoniques serait-elle obsolète ? Quels rapports de classe aujourd’hui ?" (3) et (3 bis)
La conception classique et un peu simpliste de la notion de classe dominante essentiellement réduite à la notion de propriété privée des moyens de production et d’échange est complétée par la notion d’organisation et de compétence comme nous allons le voir .
L’analyse marxiste traditionnelle distingue capitalisme industriel (profit industriel qui se forme dans la sphère de la production de biens matériels comme immatériels), capitalisme commercial ( profit commerciaal se réalisant dans la sphère de la circulation, des échanges de biens et services), capitalisme foncier (rente foncière), capitalisme financier (profit bancaire, intérêts, dividendes). L’un des enjeux fondamentaux du livre Le Capital de Marx est d’avoir articulé ces différents types de profit en expliquant leur processus de génération.
Robert Fossaert, dans son étude des différents modes de production (M P) et des formations économiques (FE), dont le mode de production capitaliste, affine cette analyse.
Nous renvoyons à cette étude dans l’article intitulé : les trois types de propriétaires capitalistes, accessible en cliquant ici (4). Il s’agit en réalité du pôle propriété de la classe dominante capitaliste.
Nous nous nous reportons maintenant à la conception de Jacques Bidet qui enrichit l’approche marxiste classique.
Dans son ouvrage majeur : Théorie générale (PUF. 1999), à la section 52, (p189 et suiv.), Jacques Bidet expose sa théorie de la classe toujours reprise ensuite dans d’autres de ses publications. (Table des matières ici)
Nous nous référons ici à un ouvrage paru aux PUF : Altermarxisme. Un autre marxisme pour un autre monde, de Jacques Bidet et Gérard Duménil (1ère édition. 2002).On peut trouver la table des matières détaillée en cliquant ici
Deux thèmes importants existant dans ce livre sont traités, d’une manière synthétique, dans deux articles, dans la revue du projet.
"Classe et conscience de classe "de Jacques Bidet. Revue du projet No 26. Avril 2013.On y accède en cliquant ici (5)
"La structure de classe et la dynamique des partis", Jacques Bidet. Revue du projet No 36. Avril 2014. On y accède en cliquant ici (6) ou (6 bis).
Autre référence : La structure de classe de la société capitaliste de Jacques Bidet (7)
La coordination rationnelle dans la structure capitaliste se réalise par le marché et par l’organisation.
"La classe dominante présente en réalité deux pôles, celui de la propriété sur le marché et celui de la compétence (au sens d’avoir compétence, non d’être compétent) dans l’organisation : donnant lieu à deux formes de privilège dont chacun possède son propre mécanisme de reproduction. Soit aujourd’hui la Finance (masquée) et l’Élite (autoproclamée), hégémonisée par la précédente. L’autre classe n’est pas seulement « dominée » : c’est la « classe fondamentale » ou « populaire » – on peut l’appeler « le Peuple » –, dont l’unité et la diversité s’analyse à partir des relations diverses (notamment de production) de ses diverses fractions à chacun des deux facteurs de classe."
"…Ce second privilège ne se reproduit pas seulement par le système scolaire, mais par son exercice même, par le réseau de relations dans lequel il s’exerce. Il ne pousse pas vers l’accumulation de la « richesse abstraite », mais vers cette autre abstraction : la folie de l’ordre et des grandeurs (on veut son grand aéroport, ses pôles d’excellence où triomphent les meilleurs…). Cela est facile à percevoir, plus difficile à cerner dans son caractère profond de rapport de classe coordonné au rapport capitaliste"
"…deux sortes de privilèges qui se trouvent monopolisés et reproduits comme monopoles : ceux de l’avoir-propriété, qui permettent d’acheter, de vendre, d’embaucher et de licencier, et ceux de l’avoir-compétence, qui donne autorité pour diriger, contrôler, commander, et cela bien au-delà de la sphère de la production. C’est là le pôle des « compétents-dirigeants », celui du savoir-pouvoir, dont la sorte de savoir donne lieu à pouvoir. La classe dominante est donc sous-clivée en deux « pôles », celui de propriété sur le marché et celui de la « compétence » dans l’organisation de la production, de l’administration et de la culture. Ces deux forces économico-politiques sont à la fois convergentes, mais aussi concurrentes."
La mise en évidence analytique de ce sous –clivage de la classe dominante a des implications politiques importantes notamment pour comprendre la nature des partis politiques, comme nous le verrons plus loin..
2. 3. 1 – La fonction économique.
La classe dominante, du point de vue économique, a besoin de gestionnaires, de coordinateurs,d’ingénieurs, d’experts en tout genre (notamment dans le domaine de la communication) pour faire fonctionner ses entreprises industrielles et ses sociétés financières, pour opérer d’une manière optimale sur les marchés et sur le cours de la bourse. Les propriétaires du capital ont donc besoin impérativement de cadres, de techniciens hautement qualifiés dans différents domaines pour organiser et faire fonctionner la division du travail permettant la génération de capital. Grandes écoles, cursus universitaires spécialisés constituent le vivier où sont puisés et ses cadres.
La position économique et sociale des cadres peut être qualifiée d’hybride car le rapport d’encadrement n’est pas simple
"La difficulté est que le rapport d’encadrement s’est originellement situé dans une position subalterne dans le capitalisme. Et c’est bien en ces termes que Marx appréhenda l’organisation dans Le CapitaL Les tâches du apitaliste ont été « déléguées » à des cadres secondés d’employés, mais, originellement, la fînalité de ces tâches ne s’en est pas trouvée modifiée : la maximisation du taux de profit. Cadres et employés s’activent pour garantir à d’autre classes, les classes capitalistes, la rémunération maximale de leur capital. Cela signifie, d’une part, rentabiliser l’entreprise et, d’autre part, garant des flux de revenus financiers, des intérêts et des dividendes. Cadres et employés sont au service des capilalistes.
A ce titre, en tant que serviteurs des propriétaires du capital, cadres et employés sont rémunérés. Cela implique un prélèvement sur les profîts, un « coût » selon le vocabulaire de Marx, mais le bilan global est supposé être positif pour les capitalistes. Le salaire d’un employé de commerae, par exemple, vient en déduction des profits, mais son action stimule les ventes et augmente ainsi la rentabilité. Dans cette opération, cet employé est exploité, car il n’est associé aux bénéfices de son action que selon une rémunération négociée comme tout salaire, mais dont le coût doit être inférieur au surcroît de profit pour un capital donné.
Mais d’un autre point de vue, ces rémunérations venant en déduction du profit représentent une forme de distribution de la plus-value. Elles diffèrent pourtant de l’intérêt ou du dividende en ce que cette distribution rétribue un travail. On perçoit le caractère ambivalent du positionnement social de ces groupes quand on les appréhende dans la logique des rapports de production capitaliste". (Alter marxisme.P. 110) Fin de citation.
D’autre part, la définition de la fonction de cadre repose sur un certain pragmatisme et sur les conventions collectives.. D’après la législation (Jurisprudence), un cadre dit « dirigeant » est un salarié auquel sont confiées les responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps (qui échappe ainsi à la législation sur la durée du travail), qui est habilité à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoit une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunérations pratiqués par l’entreprise Plus de détails en cliquant ici (8)
L’INSEE définit une nomenclature professionnelle des cadres.(9) Voir quelques statistiques sur les cadres dans l’annexe.
Ainsi, selon leur niveau de responsabilité et de rémunération, de la taille de l’entreprise qui les emploie, les cadres peuvent aussi bien appartenir à la classe dominante qu’ la classe dominée. Il est clair que les cadres appartenant au comité directeur des entreprises du CAC 40 et des plus grosses banques font parti de cette classe dominante.
On remarque qu’aux différentes catégories de propriétaires capitalistes classiquement répertoriées par Marx correspondent bien les différents types de cadres : technico– scientifiques (Ingénieurs, cadres de l’industrie), cadres commerciaux (dont l’immobilier), cadres de la finance, cadres du foncier ( experts fonciers).
Ces cadres peuvent avoir des tâches de conception et d’innovation et peuvent gérer d’une part les problèmes d’organisation internes à l’entreprise (management) et d’autre part la contractualité inte–rentreprises sur le marché ( négociations de contrats, transferts de technologie,etc). Le développement d’outils Internet permet l’émergence de nouveaux managers. Voir par exemple : Utilisation des raisons sociaux par les entreprises (9)
Mais d’autre part, il faut ajouter à cela les cadres administratifs et juridiques ( dont les experts-comptables) chargés de la gestion administrative reposant sur la mise en conformité avec la loi et avec les différents règlements, de l’activité de l’entreprise .Il s’agit ici de gérer la contractualité centrale. avec l’État, la puissance publique. Remarquons que certaines de ces lois émanent de la commission européenne voire de réglementations internationales (normes comptables par exemple). On peut se reporter au document de 16 pages : Management et sciences sociales : les normes comptables internationales, instrument du capitalisme financier. "Le système comptable constitue la base de toute la production de l’information économique dont disposent les agents économiques. Il apporte une forme de représentation des entités économiques et de leurs transactions …". On peut lire la suite en cliquant ici (10) Cet exemple montre que la firme n’est pas un îlot dans le marché mais est traversé par celui – ci.
Remarquons aussi que ces cadres peuvent opérer dans les entreprises publiques ou semi-publiques. Leur compétence est généralement transférable du secteur privé vers le secteur public et inversement. Mieux, certains cadres de la haute fonction publique (par exemple un inspecteur des finances) peut deveni rmembre du comité directeur d’une grande entreprise privée.
Du fait que les cadres supérieurs peuvent jouir d’une certaine autonomie pouvant aller parfois jusqu’à des dissensions avec le propriétaire capitaliste, et jouissent aussi d’un pouvoir considérable, Du fait aussi que dans les pays ayant expérimenté un socialisme d’État comme l’Union soviétique, sans être propriétaire des moyens de production, ces cadres d’État en avaient le contrôle, Gérard Duménil considère que les cadres dirigeants constituent une classe sociale à part entière. Observons toutefois qu’un dirigeant ou un cadre bénéficiant d’une rémunération très élevée peut être viré – pardon, à ce niveau on dit remercié – par le ou les propriétaires de la société à laquelle il appartient. Mais le pouvoir de la classe dominante ne se réduit pas à sa dimension économique.
2. 3. 2 – Les cadres de la sphère culturelle
Pour se perpétuer, la classe dominante doit produire et véhiculer une idéologie légitimant sa domination économique (le libéralisme pour légitimer le capitalisme), des valeurs et pratiques culturelles dominantes qui peuvent avoir un caractère hétérogène. On ne peut développer ici en détail cette dimension mais on peut se reporter par exemple à : un texte du sociologue britannique Michael Burawoy " La domination culturelle : quand Gramsci rencontre Bourdieu" (11)
Bernard Lahire, auteur du livre La culture des individus (2004) montre la complexité de cette domination quelque peu simplifiée par Bourdieu dans son opposition culture légitime / culture illégitime. (Résumé du livre ici (12) ) Se référant à cette étude, un article intitulé :La légitimité des pratiques culturelles en question (13) montre que la culture dite classique ou légitime "perd son rang."
Néanmoins,, remarquons qu’il n’en reste pas moins vrai, comme le montrent les sociologues Michel et Monique Pinçon que ces pratiques culturelles restent bien vivantes au sein de l’entre soi de la grande bourgeoisie. ( ce qui ne ne signifie pas pour autant Que toutes les personnes très riches soient très cultivées !) En même temps, il est vrai aussi, que l’on assiste, depuis le milieuilieu du 20ème siècle, à une déculturation des cadres, comme l’ont montré déjà Bruno Lussato et Gerald Messadié dans leur livre paru en 1996 Bouillon de culture.
Le développement du néolibéralisme depuis les années 1970 s’est accompagné d’une marchandisation croissante et massive des biens culturels imposant ainsi certains formats et écritures dominants, notamment dans l’univers de la musique et du cinéma de salle ou de télévision. (de la grande distribution–diffusion).
En même temps la mondialisation s’est accompagnée d’un double mouvement contradictoire : unisformalisation sous domination nord-américaine et diversification engendrée par le multiculturalisme. On ne peut donc penser la domination culturelle sans son arrière plan économique et notamment celui des industries culturelles ou créatives. Avec l’avènement de l’ère numérique, des nouvelles batailles émergent.
"En Grande-Bretagne et ailleurs, les partisans de la thématique des industries créatives s’autorisent du défi lancé par le numérique aux politiques culturelles pour prôner les interprétations les plus libérales possible des réglementations nationales et des accords internationaux. Les négociateurs états-uniens et les représentants des industries du Web ne sont pas les derniers, à cet égard, à invoquer les changements rapides des conditions techniques de production, de distribution et de diffusion des produits culturels pour orienter autant qu’ils le peuvent les décisions dans le sens d’un abaissement des dispositions protectrices, dans chaque pays, dans le cadre de l’OMC et, à l’UNESCO, pour l’application de la Convention sur la diversité des expressions culturelles"
Source : Web revue des industries culturelles et numériques. L’industrialisation des biens symboliques. (14)
Plus d’informations sur les industries créatives : Industries, économie créatives et technologies d’information et de communication en cliquant ici (15)
Il est donc nécessaire d’avoir une approche dialectique pour comprendre cette réalité complexe. Les cadres dirigeants de la sphère culturelle semblent se diviser en deux groupes : d’une part, ceux faisant partie d’un appareil d’État (ou municipal) culturel (par exemple Institut national de l’audiovisuel, BNF, musées nationaux et municipaux, maisons de la culture, en partie France Culture et France-Musique, Institutions culturelles internationales telle l’Unesco, etc.) et d’autre part ceux dirigeant une entreprise productrice ou éditrice de biens culturels marchands en concurrence sur un marché (par exemple maisons d’édition de livres ou de disques, sociétés de production cinématographique ou d’émissions de télévision, sociétés de production de Web –produits culturels, sociétés de design ou de mode– création, etc.). Les premiers opèrent dans la sphère non-marchande et les seconds opèrent dans la sphère marchande.
2. 3. 3 Les cadres des appareils idéologiques (privés et publics).
Ces appareils jouent un rôle fondamental dans la reproduction de la classe dominante.
C’est par l’action permanente de ces appareils que la célèbre expression : "l’idéologie dominante est l’idéologie de la classe économiquement dominante" s’inscrit dans la réalité. Néanmoins, nous avons montré ailleurs, que le processus de domination idéologique ne se réduit pas, loin de là, à l’action des appareils qui vont suivre.
Les appareils énumérés ci-dessous ont une fonction idéologique de reproduction de la classe dominante mais ne se réduisent pas à cette fonction. C’est-à-dire que tous les cadres opérant dans ces appareils ne sont pas forcément tous producteurs ou diffuseurs d’idéologie car certains d’entre eux peuvent assurer une autre fonction
a) L’appareil médiatique
Qu’ils soient immergés dans la sphère marchande ou non, les appareils médiatiques sont généralement dirigés par des cadres formés dans les écoles de journalisme, dans les instituts d’études politiques (IEP), dans les grandes écoles. Bon nombre d’entre eux ont assuré des responsabilités dans des groupes industriels ou financiers. Pour s’en convaincre il suffit d’utiliser Wikipédia ou la revue Stratégies Pour déterminer quels sont les directions des différents grands médias puis de consulter ensuite les biographies.
Pour les médias privés, ces cadres gestionnaires sont sous la dominance de propriétaires de presse, de radio ou de télévision qu’il est facile de connaître par l’usage de Wikipédia et d’autres outils du Web. On retrouve alors la bipolarité décrite précédemment. Pierre Bourdieu a expliqué les contraintes systémiques auxquelles sont soumis les journalistes par le concept de champ journalistique. Ces médias sont aussi liés aux annonceurs privés comme diffuseur de leur publicité.
Pour les médias publics, les cadres gestionnaires sont sous la dominance du pouvoir étatique ou politique. Les instituts de sondage, les agences de communication font partie de cet appareil idéologique. Dans chacun de ces deux cas, cela ne signifie pas pour autant que ces cadres dirigeants ne jouissent d’aucune autonomie. Néanmoins celle-ci a ses limites et il ne faut pas franchir la ligne rouge, comme on pourrait le montrer à l’aide de différents exemples.
b) Les appareils idéologiques de formation.
L’économie néoclassique libérale est enseignée très majoritairement dans les sections économiques de lycée et dans les universités. Les écoles de journalisme, les instituts d’études politiques, l’ENA suivent la même tendance
Nous avons eu l’occasion dans un autre article d’aborder ce sujet plus en détail.
Nous ne parlerons pas évidemment des écoles et des filières universitaires spécialisées dans le management, le commerce, etc. Les cadres sont formés pour gérer au mieux le système capitaliste sur le plan technique.
L’enseignement de l’histoire est globalement imprégné d’idéologie libérale de sorte que Le Monde diplomatique a cru utile de publier un manuel d’histoire critique. (très intéressant).(16)
"Plusieurs écoles de journalisme sont liés à des grandes entreprises.(17) (17)
c) Les think tanks..
Ces groupes d’affinité et de réflexion libéraux et sociaux– libéraux sont des laboratoires d’idées où infuse et diffuse une partie de l’idéologie libérale. Ce sont des lieux de porosité pour ne pas dire de connivence entre les décideurs des sphères financières, politiques, médiatiques, administratives. Nous avons eu l’occasion déjà d’aborder ce sujet plus en détail dans notre dossier sur le libéralisme.(18)
2. 3. 4 – Les cadres de l’État et des appareils administratifs d’État.
Les cadres de la haute fonction publique sont chargés de la mise en œuvre réglementaire notamment par décrets) des lois et ordonnances émanant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. Leur travail peut comporter une dimension de contrôle ou d’évaluation (Cour des Comptes,…). Certains de ces appareils tels les directions régionales de l’industrie de la recherche (DRIR), Direction régionale de l’aménagement de l’environnement et du logement (DREA L), les préfectures sont sous l’autorité d’un ministère et du gouvernement mais d’autres jouissent d’une autonomie : c’est le cas des Autorités Administratives Indépendantes. Reprenons ici un passage de notre étude sur la Justice (19) . "Selon le Conseil d’État, les Autorités administratives indépendantes (AAI) sont des « organismes administratifs qui agissent au nom de l’État et disposent d’un réel pouvoir, sans pour autant relever de l’autorité du gouvernement » Bien qu’à l’intérieur de l’État, « l’indépendance de l’autorité implique d’abord l’absence de toute tutelle ou pouvoir hiérarchique à son égard de la part du pouvoir exécutif. Une AAI ne reçoit ni ordre, ni instruction du gouvernement ». Cette indépendance est voulue par l’État pour offrir une crédibilité et une légitimité à ces organismes évoluant dans des domaines sensibles ou soumis à des changements économiques et juridiques importants tels que les processus de déréglementation et d’ouverture à la concurrence. Cette indépendance s’entend sur deux plans…" Source : Wikipédia. Lire la suite en cliquant ici (20) Certains constitutionnalistes voient en ces AAI l’émergence d’un quatrième pouvoir"
Ces cadres de la haute fonction publique constituent en quelque sorte une véritable technostructure pour reprendre l’expression de Galbraith (qui s’appliquait plutôt pour lui aux cadres des grandes entreprises.) Ce type d’organe a été transposé au niveau européen et international avec la troïka qui s’avère avoir un pouvoir supérieur à celui des instances démocratiques élues.
Deux appareils d’État bénéficient d’une relative indépendance du fait de leur puissance : l’appareil militaire et l’appareil énergétique (Nucléaire EDF ,CEA,…). Là encore, leurs cadres sont issus des grandes écoles.
Le niveau de dépendance de tous ces cadres de la haute fonction publique aux multinationales et groupes financiers a évolué avec l’histoire.
En schématisant, on peut considérer que pendant la période de reconstruction de l’après 2ème guerre mondiale et la période du régime gaulliste, couvrant ainsi ce que l’on appelle la période desles 30 glorieuses, il n’existait pas d’osmose entre ces hauts cadres de l’État et le monde des affaires.
Il existait d’ailleurs des dissensions entre les représentants patronaux et ces hauts fonctionnaires.
Cela correspond à la période du capitalisme managérial ou le pôle organisation – compétence dominait dans une certaine mesure le pôle de la propriété. L’ingénieur était au premier rang, le financier au second.
Mais les choses changent avec l’avènement du néolibéralisme dans les années 1970 – 80.
Se développe alors progressivement une interpénétration entre la sphère étatique et le monde de la finance. Concomitamment, cela correspond au passage du capitalisme managérial au capitalisme financier (actionnariaal). Le texte de Pascal Petit de l’université Paris XIII intitulé : "D’un capitalisme managérial … à l’autre" décrit bien cette transformation. On peut cliquer ici pour accéder au texte qui a le mérite d’être à la fois précis et pas trop long..(21)
Il existe donc un parallélisme entre la modification des comportements des cadres de l’État et les modifications du capitalisme où le pôle de la compétence se financiarise de plus en plus.
Au niveau des instances européennes, on constate la même évolution de proximité entre les cadres administratifs et les représentants des groupes industriels et financiers. Plusieurs responsables européens ont travaillé d’ailleurs dans la banque Goldmann Sasch. Ce qui a fait écrire à Raoul Marc Jennar : Europe, la trahison des élites (éd. Fayard, 2004)
Dans son numéro du 28/0 3/2013, le journal l’Humanité publiait un article intitulé : "les socialistes au cœur de la mondialisation" que l’on peut retrouver ici fait remarquer par exemple que Delors, Lamy, Strauss-Kahn ont été nommés président de la commission européenne, de l’OMC, du FMI.
Au niveau international, on constate que le PS est choisi pour gérer le pôle organisation.–compétence de la classe capitaliste internationale.
Les trajectoires des hauts cadres se déploient à la fois dans l’espace public et dans l’espace privé. Ainsi, nombreux dirigeants des groupes industriels et financiers ont fait leurs armes dans les appareils d’État. Prenons un exemple parmi des centaines : la banque BNP– Paribas première banque mondiale avec une gestion d’actifs de 2670 milliards de dollars (2380 milliards d’euros) soit pour la même période un peu plus que le montant du PIB de la France (2060 milliards d’euros en 2011) (22)
François Villeroy de Galhau, Directeur général à la BNP a eu des responsabilités à la direction du Trésor dans les années 1990 et a été conseiller de Pierre Bérégovoy. (23)
Jean-Laurent Bonnafé PDG de la BNP, a été directeur de la DRIR de Languedoc-Roussillon en 1987
Il a été conseiller technique au cabinet de Bruno Durieux, dans les années 1990, alors ministre du Redéploiement.industriel et du Commerce extérieur. (24) Ces deux dirigeants de la BNP sont des anciens élèves de l’école polytechnique.
On pourrait multiplier ainsi les exemples qui montrent ainsi la constitution de réseaux de connivence ou d’influence entre la sphère étatique et gouvernementale et le monde des affaires.
On ne peut donc pas s’étonner, comme le signalait le magazine Basta que :"Réforme bancaire : comment le gouvernement s’est écrasé devant le monde de la finance" (25)
Observons que le phénomène inverse du passage de la haute fonction publique à la direction de grosses entreprises est aussi fréquent.
Ainsi, par exemple, Ramon Fernandez directeur général du Trésor jusqu’en 2014 devient en janvier 2015 directeur général adjoint de Orange (Finances et stratégie) (26)
On peut remarquer que des hauts cadres de la fonction publique peuvent avoir des postes importants tant sous un gouvernement de droite que de gauche.
2. 3. 5 – Les cadres de la politique..
Ce sont les partis politiques qui constituent les viviers où sont puisés les membres du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Les deux grands partis dominants RPR puis UMP et PS fournissent alternativement le relais politiques de la grande bourgeoisie industrielle, foncière et financière pour défendre au mieux ses intérêts travestis souvent sous le terme d’intérêt général.
La droite est traditionnellement chargée de défendre le pôle de la propriété et la gauche élitaire chargée de faire fonctionner le pôle organisation de la classe dominante. Le parti des entrepreneurs et le parti des fonctionnaires pourrait-on dire.
La sociologie du PS (avec son évolution) montre bien qu’il s’agit d’un parti de cadres avec une faible présence ouvrière (3 %) et des employés (15%). Plus de détails en cliquant ici (27) Comment s’effectue le processus de sélection des cadres politiques par la grande bourgeoisie ?
Ce point crucial est la clé de voûte qui permet de comprendre pourquoi les forces de la gauche alternative populaire sont toujours mises en minorité. Pour les raisons précédemment invoquées, les cadres dirigeants des partis sont des libéraux ou des sociaux libéraux . L’appareil médiatique comme indiqué ci-dessus donne la parole ou l’espace rédactionnel aux candidats des deux grands partis dominants. Très peu de commentateurs journalistes et "experts" défendent des idées de la gauche populaire.
D’autre part, les grosses fortunes, certains groupes industriels et financiers financent les partis politiques dominants. Par ailleurs, l’énorme investissement médiatique dans le divertissement, les jeux, le sport, le fait divers, contribuent à la diversion et à la dépolitisation. Cela conduit à l’abstention ou au vote FN qui partagent un fonds de commerce commun avec les médias : le fait divers entretenant un climat d’insécurité, la peur et le repli sur soi. Remarquons que ces divertissements constituent des ressources financières importantes pour les médias. Le show-business en fait partei.
Comme déjà précisé, ce qui vient d’être dit ne signifie pas que la totalité du fonctionnement médiatique se réduise à cette fonction de reproduction idéologique. Les médias peuvent apporter une information factuelle de qualité, avoir un rôle de formation grâce à des émissions et des reportages à forte teneur culturelle et même parfois critiques à l’égard de l’ultralibéralisme. Quant aux divers divertissements, ils ne sont évidemment pas en soi condamnables. C’est l’ampleur de l’espace qu’ils prennent qui peut l’être.
Les instituts de sondage permettent de contrôler l’efficacité de la propagande médiatique sur des thématiques ciblées.
Au final, une grande majorité des électeurs définissant leur option politique à partir des médias voteront à quelques que pour cent près, pour les candidats présélectionnés par la grande bourgeoisie et ses agents d’exécution. Mais ce conditionnement médiatique est relativement complexe et met en œuvre différente stratégies et médiations.
Il y a donc une connivence originelle entre les politiques et ceux qui leur ont permis d’accéder au pouvoir. Cette connivence est en réalité une dette qu’ont ainsi contracté les politiques envers leurs "maîtres". Les "retours d’ascenseur" sont donc inévitables, "humains" diront certains.
Et on comprend mieux pourquoi un certain nombre de projets de loi passent à la trappe du fait de la pression, par exemple, d’organisations patronales.
Le temps passant, ces connivences diverses, peuvent conduire à un fléau : la corruption à grande échelle, Symptômes d’un État qui a perdu sa force et qui se soumet à la puissance tutélaire de la finance et des multinationales. On assiste alors à la mort du politique ou plus exactement de la politique représentative qui est alors vidée de son sens .
3 – La classe dominée
Elle est divisée en trois fractions : Les salariés du secteur privé ; les salariés du secteur public ; les travailleurs indépendants (artisans, petits commerçants,certainesTPE).
Ces trois factions subissent chacune une une exploitation spécifique de leur force de travail.
Jacques Bidet dans son livre : Explication et reconstruction du Capital (PUF) en explique les mécanismes dans son chapitre : les trois formes de l’exploitation capitaliste (p 225 à 231).
Le principe de base étant de définir le sur-travail d’un travailleur comme différence entre la valeur produite directement ou indirectement par sa force de travail et la valeur des produits nécessaires à la reproduction de cette force de travail (biens – salaire) . Dans le cas du travailleur indépendant, il faut faire appel au concept d’échange inégal.
Le noyau de cette classe dite fondamentale est constituée des ouvriers et des employés
En France en 2013, la population active (28,6 millions de personnes) comptait 20, 6% d’ouvriers (6, 2 millions) et 28,3% d’employés (8,1 millions). Source : INSEE.
On retrouve dans la classe dominée une réplique de la bipolarité : marché/organisation.
Les travailleurs indépendants travaillent essentiellement dans le secteur marchand, les salariés de la fonction publique travaillent dans le secteur non marchand et participent à la formation de compétences et à l’organisation. Les salariés du privé s’activent aux deux pôles.
Cette division et la diversification des professions et des situations sociales rend difficile pour cette classe d’avoir une conscience de soi, une conscience de classe qui traverse cette diversité pour affirmer la conscience d’une communauté de destin : La conscience d’être exploité ou spolié par la classe dominante.
Le cas des TPE et de certaines PME demande réflexion car comme nous l’avons vu dans le paragraphe sur les trois types de propriétaires capitalistes que Fossaert catégorise en P3–1, P3–2, P3–3 , le dernier type dominant les deux autres Et l’on parle alors de subordination formelle de certaines entreprises (par exemple sous-traitantes) par rapport à d’autres.
Cette subordination des petits entreprises par rapport à des grands groupes, par exemple,(dont on ne peut expliciter ici les mécanismes) peut impliquer une spoliation, voire même une vassalisation. Cela s’applique non seulement au secteur de la production industrielle mais aussi au secteur de la distribution.(succursales, boutiques de grandes chaînes, etc.)
Il n’est donc pas exclu d’inclure dans le groupe des dominés certains de ces chefs d’entreprises et on peut retrouver ici, comme pour les cadres, un positionnement hybride.
4 – Partis politiques et classes sociales
Les approches descriptives de la sociologie politique classique vues en ce début de texte ne permettent pas de comprendre la dynamique profonde des partis politiques faute de les articuler avec les classes sociales.
Un schéma source d’illusions et aussi porté par les institutions de la Ve République qui favorise le bipartisme voudrait qu’il existe un clivage droite/gauche autour de 50% reflétant une opposition entre les partis défendant les intérêts du capital et les partis favorables au travail.
Or la partie ne se joue pas à 2 mais à 3 : D’une part, les partis défendant le pôle de la propriété de la classe dominante (partis de droite et d’une manière dominante l’UMP) et les partis de la gauche élitaire (d’une manière dominante le PS) défendant le pôle de l’organisation – compétence de la classe dominante. En quelque sorte les partis des propriétaires et du marché et les partis de l’organisation – compétence (principalement le PS).
Comme pour la haute fonction publique dont ils sont souvent issus, les représentants de ces partis élitaires partagent des réseaux communs (ou pour le moins connexes) avec les propriétaires des grands groupes financiers et industriels.
La trajectoire de cette gauche élitaire est bien décrite par le sociologue Jean-Pierre Garnier dans sa vidéo intitulée : "La deuxième droite". Cliquez icipour accéder à la vidéo
[Il faut néanmoins se garder de simplifications hâtives : si l’UMP et le PS partagent depuis les années 1983 des analyses économiques très proches pour ne pas dire identiques, il peut exister des différences idéologiques sur les questions sociétales et institutionnelles. Ces différences sont très médiatisées pour conserver un principe de distinction entre les écuries électorales.
Le slogan du FN UMPS est donc simplificateur même s’il contient une part de vérité.]
En troisième lieu, les partis de la classe dominée et principalement, jadis le Front de Gauche et maintenant France Insoumise. Ce sont les partis de la gauche populaire. Évidemment l’extrême gauche et Nouvelle donne appartiennent à cette catégorie. Cet ensemble est aussi appelé l’Autre gauche.
Cette description est relativement schématique et mérite quelques corrections. Une partie du PS et de EELV font aussi partie de la gauche populaire : Ils constituent l’aile gauche de ces partis. Ainsi les partis libéraux de gauche (PS, EELV) sont sous clivés entre gauche élitaire et gauche populaire ligne de partage qui peut évoluer avec le temps.
Si cette aile gauche du PS n’intègre pas le l’Autre gauche, cela résulte principalement du fait qu’un certain nombre de socialistes veulent faire carrière dans la politique et que le nombre de de sièges gagnables par l’Autre gauche est relativement faible depuis longtemps. La probabilité d’être élu est alors faible.
Il est nécessaire de considérer ces trois types de partis en présence dans une dynamique historique notamment liée à l’évolution du capitalisme.
Cette typologie est évidemment applicable à l’ensemble des pays capitalistes. Cette catégorisation se retrouverait aussi dans le champ syndical.
L’examen des catégories socioprofessionnelles à l’Assemblée nationale montre la quasi-absence de la classe populaire : aucun ouvrier, 5 employés, 1 salarié agricole,1 artisan,5 commerçants. En revanche, une majorité écrasante de fonctionnaires. (28)
Remarquons ainsi que, par exemple, si un enseignant de la fonction publique n’assure pas des tâches d’organisation dans son métier il est amené, en tant que député, à voter des lois qui, pour certaines d’entre elles, participent à l’organisation et au fonctionnement du système capitaliste.
Même au niveau local des conseils municipaux, la représentativité ouvrière est faible (moins de 5%) et les élus de la CSP des employés avoisine 20%. On peut se reporter sur cette question à deux articles. Pourquoi si peu d’ouvriers dans les conseils municipaux ? (29) Les élus municipaux représentent-ils le peuple ? (29 bis)
5– Classes sociales et positionnement idéologique
Il est clair que les classes populaires ne votent généralement pas pour des représentants appartenant aux mêmes couches sociologiques qu’elles . Cela tient évidemment au filtrage apporté par les partis dont la composition sociologique est élitiste et qui présentent des candidats à leur image.
Mais l’autre raison est d’ordre idéologique. La classe dominée est non seulement dominée économiquement mais idéologiquement par l’action d’appareils idéologiques et culturels comme nous l’avons vu ci-dessus.
Le vote est la conséquence de ce conditionnement idéologique aussi invisible que la plus-value extraite de l’exploitation de la force de travail qui n’apparaît pas sur le bulletin de salaire. Il n’en reste pas moins vrai que son action existe sur l’esprit et sur le corps.
Ce conditionnement n’est pas apparent et nécessite une analyse relativement complexe pour être mis en évidence. Mais ce n’est pas l’objet de cet article de mettre à jour en détails ses mécanismes.
Je reprends donc en l’adaptant à la typologie des classes proposée par Jacques Bidet (dont nous avons exposé est ici les grands traits) ma typologie des quatre sous groupe du groupe des dominés..
Voici donc les deux positionnements idéologiques de la classe des dominés.
Le premier sous-groupe G1 a un système de représentations sociales du monde qui est véhiculé par la classe dominante via ses médias. À notre époque, il s’agit du néolibéralisme et du social libéralisme. Une fraction défend prioritairement la propriété privée et un État minimum, une fiscalité et une solidarité très limitées, accepte de fortes inégalités sociales ; une autre fraction est plus attachée au rôle de l’État et à la solidarité sociale et à l’égalité. Nous retrouvons d’une autre manière la bipolarité propriété / organisation sur le plan politique droite/gauche élitaire.
Politiquement ces groupes votent pour les partis de droite et le PS et ses alliés gouvernementaux.
Le second sous-groupe G2 est critique par rapport au système de représentations sociales de la classe dominante. Il rejette le néolibéralisme même s’il accepte un certain nombre de principes libéraux issus du Siècle des Lumières et de la Révolution française de 1789 (liberté individuelle, de conscience et d’expression séparation des pouvoirs, démocratie parlementaire,…).
Il croit plus aux vertus de la coopération plutôt qu’à celles de la compétition et de la concurrence.
Il est attaché au principe d’égalité, de solidarité et de justice. Il valorise le bien commun et donc le bien public et ne considère pas comme sacrée la propriété privée. L’État doit jouer un rôle important dans la mise en œuvre de la solidarité (protection sociale, etc.) et contrôler certains secteurs de l’économie. La structure économique envisagée est plutôt de type plurielle : un secteur public dont la socialisation des moyens de production peut être variée, Un secteur privé avec des droits renforcés pour les travailleurs, un secteur de l’économie sociale et solidaire (coopératives, associations, mutuelles).
La protection de l’environnement et de l’écosystème, la critique du productivisme constituent aussi un élément d’homogénéité idéologique.
Mais au-delà de ces grands principes généraux dont la liste n’est pas exhaustive, il peut apparaître une certaine hétérogénéité idéologique du fait de la diversité précédemment signalée des fractions de la classe dominée. Ainsi la manière de placer le curseur sur l’axe de l’économie plurielle décrite précédemment peut-être le sujet d’âpres discussions. Politiquement ce groupe vote pour l’Autre gauche et en partie pour le parti écologiste. La préférence de modes d’organisation verticaux ou horizontaux peut-être aussi variable.
6 – Les conséquences de cette analyse sur la stratégie politique de la gauche populaire
Jacques Bidet, sur le site " La grande bifurcation " indique : "…Et le monde des cadres en dépit des apparences, représente une force grandissante sur laquelle le peuple pourrait s’appuyer pour prendre l’initiative." (30)
Et il a bien raison de dire cela car depuis l’avènement du néolibéralisme on peut parler d’une prolétarisation progressive et croissant des cadres. Il a déjà six ans, Le Monde publiait un article intitulé : "La situation des cadres s’est banalisée"(2/10/2008) (31)
On peut lire par exemple que depuis vingt ans le salaire des cadres, est passé de 5 fois à 2,2 fois le salaire des ouvriers. Les cadres se rapprochent donc petit à petit des autres populations."
Ceux qui ont particulièrement souffert de cette dévalorisation sont les cadres de l’industrie en raison de la financiarisation de l’économie allant de pair avec la désindustrialisation. Les conditions de commandement deviennent particulièrement difficiles en raison de la pression croissante exercée par les actionnaires pour obtenir des taux de retour sur investissement très élevés.
Si l’on examine l’évolution du taux de chômage par catégories socioprofessionnelles sur une longue période, on constate que le taux de chômage des cadres reste certes l’un des plus faibles étant inférieur à 4% mais a tout de même augmenté de 38% entre 1982 et 2012. (32)
Voir tableau en cliquant ici
Dorénavant, les cadres sont aussi l’objet de mesures antisociales proposées par le Medef comme par exemple le plafonnement des indemnités de chômage. Voir article du Figaro ici (33)
Remarquons que dans la fonction publique, le blocage de la valeur du point d’indice depuis 2010 concerne aussi les cadres. Ensuite la compression des dépenses budgétaires de l’État donne aussi des raisons supplémentaires au mécontentement des cadres.
Il existe donc des raisons objectives pour que les cadres soient réceptifs aux propositions de la gauche populaire. Encore faut-il que celle-ci fasse l’effort de mieux connaître leur situation et de s’adresser à eux avec le langage adapté. Sans tomber dans l’illusion "d’une révolution par le haut", le contexte économique actuel se prête à une disjonction des deux pôles de la classe dominante.
La concurrence forcenée entre les entreprises remet en cause la survie de bon nombre d’entre elles et notamment celles des petites exploitations agricoles, de l’artisanat et du petit commerce.
Pour ne pas rallonger le texte, nous ne donnerons pas ici d’indications statistiques sur la dégradation de vie de ces catégories socioprofessionnelles.
Les mêmes remarques que les précédentes s’appliquent à cette fraction de la classe dominée.
Les diversifications et spécialisation du travail des ouvriers et des employés, du fait notamment de l’informatisation et de l’usage des nouvelles technologies, nécessite une réflexion approfondie sur leurs nouvelles pratiques et aspirations. Remarquons que dans les discours de l’Autre gauche,les employés n’apparaissent que rarement alors qu’ils occupent une place importante dans la population active et sont souvent soumis à un stress au travail important.
La création du Front de Gauche a constitué un progrès en fédérant des forces politiques antilibérales relativement diverses autour d’un programme leur permettant d’acquérir une certaine identité commune : L’humain d’abord. Il convient non pas d’élargir autour du Front de gauche un front plus large, ce qui serait perçu comme une satellisation de nouveaux partenaires, mais de reconstruire, avec des forces nouvelles, en partenaires égaux, un mouvement plus large et puissant.
Ce mouvement plus large réunissant le FdG, Nouvelle donne, le NPA, le POI, les socialistes et les écologistes anti austérité, devrait affirmer l’identité de la gauche populaire par opposition à la gauche élitaire et évidemment à la droite.
Suite à l’implosion du Front de Gauche, a émergé le mouvement France Insoumise qui n’est pas un cartel de partis mais essaie de porter l’auto-organisation et l’unité populaire en se référant toujours à L’avenir en commun en continuité avec L’Humain d’abord.
L’enjeu à terme étant de faire émerger une conscience de classe du peuple dominé et de donner de nouveaux repères lisibles pour une majorité d’électeurs.
Mais une coalition hétéroclite à visée purement électoraliste serait sans issue.
Deux conditions sont nécessaires pour réaliser une telle ambition : avoir un programme et un projet de société et mener une bataille médiatique tous azimuts.
Mais encore faut-il que l’objectif politique commun de cette gauche populaire soit effectivement de prendre le pouvoir.
Pour terminer, une remarque sémantique.
Lorsque l’on parle ici d’élite d’une manière critique, il s’agit des cadres, des experts qui ont mis leurs compétences au service de la classe dominante (certains diront oligarchie, caste, ploutocratie, haute finance). Il ne s’agit en aucune manière de propos anti intellectuels, anti grandes écoles,… Et pour cause : nombreux intellectuels ne sont pas au service de la classe dominante et font partie intégrante de la gauche populaire.
Annexe sur les cadres.
Population
Les cadres et professions intellectuelles 4, 688 Millions professions libérales : 438 500 cadres de la fonction publique : 1, 624 Million cadre d’entreprise : 2, 626 Millions Source : Description détaillée de la population active INSEE : (34)
Salaire des cadres
Salaire moyen des cadres dirigeants dans le secteur privé semi-public INSEE : (35)
La revue Challenge dans son numéro 401 du 18/09/2014 a publié le salaire des cadres dirigeants 2015 dans les différents secteurs couvrant plus de 1000 fonctions.
Hervé Debonrivage
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