Femmes voilées accompagnatrices de sorties scolaires : 2 points de vue

lundi 9 mars 2015.
 

A) Le foulard de la discorde

Barbara Romagnan

"La laïcité c’est d’abord une liberté, celle de croire ou de ne pas croire."

Une élue, également maman et éducatrice de profession, m’a dit avoir été en colère en entendant la ministre de l’Éducation nationale dire qu’une mère voilée pouvait accompagner une sortie scolaire. Elle dit ne pas accepter que quelqu’un qui porte des signes religieux puisse s’occuper d’enfants dans une institution de la République et considère que c’est une atteinte à la laïcité.

Cette question de l’accompagnement des sorties scolaires est très discutée. Les ministres de droite Xavier Darcos et Luc Chatel y avaient répondu d’une façon différente. Najat Vallaud-Belkacem a en effet tranché la question en estimant que les parents qui accompagnaient des sorties scolaires n’étaient pas des «  collaborateurs du service public  » et qu’ils échappaient donc à l’obligation de neutralité religieuse. Si le sujet est difficile, c’est la position dans laquelle je me reconnais. Ainsi, les mères voilées ne sont pas a priori exclues de l’accompagnement des sorties scolaires. Néanmoins, cela ne les autorise pas à faire du prosélytisme religieux, de même qu’on n’a pas le droit de faire du prosélytisme politique. C’est aux enseignants d’en juger.

Sur un plan pratique, dans nombre d’écoles que je connais, se priver des mères voilées pour les sorties signifierait arrêter les sorties. Par ailleurs, je trouverais dommage de se priver de ces parents qui souhaitent s’investir aux côtés de l’école et participent à des activités pratiquées par leurs enfants. Et comment expliquer à un enfant que sa mère ne peut pas accompagner une sortie scolaire seulement parce qu’elle porte un foulard  ? Ces moments permettent de voir son enfant sous un autre angle, de le voir évoluer avec les autres  ; c’est aussi un moment privilégié pour des échanges avec les enseignants. Enfin, c’est l’occasion pour les enfants de réfléchir concrètement sur la laïcité.La façon dont je comprends la laïcité, c’est qu’elle est d’abord une liberté, celle de croire ou de ne pas croire  ; liberté de ses convictions syndicales, politiques ou religieuses et celle de les exprimer, y compris dans l’espace public. C’est ensuite l’indépendance de l’État à l’égard des religions. L’État respecte les croyances et les croyants, qui en retour respectent les lois de la République.

On a le droit de considérer que porter un foulard est une marque de soumission, un signe de la domination des hommes sur les femmes, on peut y compris faire part à cette femme de son opinion, mais, à défaut de partager son choix ou son opinion, on se doit de respecter ce choix, qui, en l’occurrence, ne contrevient pas au droit. la laïcité, 
c’est d’abord 
une liberté, celle de croire ou de ne pas croire.

B) Autorisation de l’affichage religieux dans les sorties scolaires :

http://www.ufal.org/feminisme-et-la...

La ministre de l’Education nationale, dans son mauvais coup contre la laïcité scolaire, avait bien besoin de quelques appuis. C’est fait ! Allégeance politique, service commandé, ou naïveté, on retrouve les mêmes arguments sous ces plumes. Ils valent qu’on en épingle au moins trois : Caroline Fourest, MM. Bianco et Cadène, La Ligue de l’Enseignement.

Dans le Huffington Post du 3 novembre, Caroline Fourest se prononce « Pour le droit des mères voilées à accompagner les sorties scolaires ». Qu’est-il advenu de la journaliste dont nous avons jusqu’ici soutenu les combats courageux ? Disons-le lui publiquement : elle se trompe lourdement. Rectifions ses erreurs, et souhaitons qu’elle soit rendue à la laïcité.

1 – La laïcité de l’enseignement public est une obligation constitutionnelle, quel que soit le statut juridique des adultes intervenant

La question des parents accompagnateurs ne ressortit pas au « principe de laïcité de la République » (art. 1er de la Constitution), mais à celui de laïcité de l’enseignement public (Préambule de la Constitution de 1946) -deuxième pilier de la laïcité, manifestement ignoré.

Ce n’est pas de la personne des accompagnateurs et de ses droits qu’il s’agit, mais simplement de la neutralité religieuse obligatoire de toutes les activités scolaire, que ce soit des cours ou des sorties. La journaliste reprend, sans le moindre examen critique, le détournement ministériel (dénoncé par l’UFAL) de l’étude du Conseil d’Etat du 19 décembre 2013, n’en retenant que le statut des parents accompagnateurs. Or, que ceux-ci soient « collaborateurs du service public », ou simples « usagers » (comme le considère l’étude), l’obligation de neutralité tient, non pas à leur statut (à la différence des enseignants), mais à l’activité même à laquelle ils contribuent.

Non, la neutralité religieuse de l’école publique ne peut plus être assurée, dès lors que les adultes encadrant une de ses activités manifestent leur appartenance religieuse.

2 – Le Conseil d’Etat a admis la possibilité pour le ministre de recommander la neutralité religieuse aux accompagnateurs !

Si Caroline Fourest avait lu l’étude dont se prévaut la ministre, elle aurait constaté qu’y sont explicitement prévues des exceptions à la liberté d’affichage religieux des « usagers du service public », dont l’une concerne précisément les parents accompagnateurs. L’UFAL a relevé dans son communiqué cité plus haut que, selon la Haute Juridiction, le ministre pouvait recommander la neutralité religieuse aux parents accompagnateurs : la circulaire Chatel n’était donc pas illégale. La journaliste soutient donc une ministre qui se dérobe à ses responsabilités en matière de laïcité : double faute, professionnelle et politique.

3 – On ne doit pas confondre l’espace civil (libre) et la sphère publique scolaire (neutre)

Comme beaucoup d’autres, Caroline Fourest confond les règles prévalant dans l’espace civil (où s’exerce la liberté religieuse, y compris de manifestation -sous réserve de l’ordre public), et celles qui régissent la sphère publique scolaire : neutralité absolue de l’exercice du service public, respect de la liberté de conscience des élèves (et des familles, ne l’oublions pas).

Comment peut-elle souhaiter que l’école enseigne le « droit au doute », tout en admettant, dans le cadre scolaire, la manifestation ostensible, péremptoire et définitive, que l’appartenance religieuse de quelques-un(e)s l’emporte sur la liberté de conscience de tous ? Sans doute Caroline Fourest use-t-elle de son « droit de douter » de la laïcité…

Si l’on veut que toutes les « mères » (et pourquoi elles seulement ?) puissent « accompagner les sorties scolaires comme les autres », il n’est pas d’autre moyen que la neutralité, qui met entre parenthèses ce qui divise et rend seule les « mamans toutes égales ». Brandir le « refus du prosélytisme », épouvantail général commode mais nulle part défini, ne sert qu’à dissimuler l’acceptation tacite du véritable prosélytisme quotidien que constitue l’affichage par certain(e)s d’une appartenance religieuse, pression dont les mères de familles et les enfants supposés d’origine ou de culture musulmane sont les premières cibles.

Il n’est jamais obligatoire pour les parents d’accompagner une sortie. Il ne s’agit pas davantage d’un « droit » pour eux. L’UFAL rappelle que l’objet de l’école n’est pas l’intégration des parents à la société, encore moins l’ouverture aux manifestations religieuses (fussent-elles « de la diversité »). Il est de former des futurs citoyens éclairés par l’apprentissage des savoirs.

Enfin, il y a quelque désinvolture à considérer que « la balle est dans le camp des directeurs d’établissements ». Ceux-ci sont alors directement soumis à la diversité des pressions communautaristes locales ! Voilà pourquoi il a fallu adopter la loi du 15 mars 2004 concernant les élèves. Voilà pourquoi le ministre de l’Education nationale doit édicter une seule règle pour l’ensemble des établissements, qui n’admette aucune « exception ».

La laïcité scolaire ne supporte aucun accommodement. Elle repose sur la nécessité de protéger les libertés de conscience en voie de constitution. Et la liberté de conscience est supérieure, juridiquement et philosophiquement(1), à quelque religion que ce soit.

Par Charles Arambourou le 9 novembre 2014


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