Qu’est-ce qui a changé en Europe depuis la victoire électorale de Syriza  ?

mercredi 25 février 2015.
 

A) Un pays face aux marchés financiers

par Céline Soulas, cnseignante-chercheure ESC Dijon Bourgogne

La Grèce se réveille avec la gueule de bois. Papandréou, nouveau premier ministre, annonce un déficit public supérieur à 10 % et une dette publique avoisinant les 115 % du PIB. Beaucoup accuseront derrière ces chiffres une politique fiscale laxiste et l’incivisme grec. C’est le début de la crise grecque. Les banques du pays ne sont pas en reste dans ce qui s’annonce comme une débâcle économique  : elles manquent de liquidités après leurs nombreux placements dans les subprimes et ne peuvent donc plus alimenter le circuit économique. Consommation et investissement tournent au ralenti.

À partir de 2010, l’Union européenne (UE) prend réellement acte de la situation. En créant un fonds européen de stabilité financière (FESF), devenu le mécanisme européen de stabilisation (MES), les pays membres se dotent de moyens pour venir en aide aux pays en difficulté. Mais l’Union européenne tarde trop, tergiverse trop. Les marchés financiers ont dès le départ identifié le talon d’Achille de notre Europe  : la Banque centrale européenne (BCE) n’a pas le droit de financer directement les États et la solidarité financière entre États membres est interdite, conformément au traité de Lisbonne. Alors les marchés financiers s’en donnent à cœur joie. Face au risque de défaut de paiement de la Grèce, les taux d’intérêt à long terme augmentent. Au plus fort de la crise, le pays emprunte à hauteur de 28 %. Une dynamique spéculative se met en ordre de marche et continue le travail de sape de l’économie grecque  : les baisses de la note du pays, via les agences de notation, augmentent les taux d’intérêt à dix ans et donc le risque de défaut de paiement. C’est ce que les économistes appellent les anticipations autoréalisatrices des marchés. Quand l’UE se décide à financer la Grèce, les conditions d’aide et d’utilisation du FESF sont drastiques. L’austérité et ses huit plans successifs laissent le pays à genoux, entre émeutes, destruction du service public, anéantissement du système de protection sociale et une pression fiscale sans commune mesure. Comment se donner les moyens de relever la tête quand le poids de la dette ne cesse de croître, sous l’effet de la charge des intérêts notamment  ?

Janvier 2015. Voici donc Alexis Tsipras à la tête d’un «  gouvernement d’extrême gauche  », et c’est l’Europe de l’austérité qui se réveille à son tour avec la gueule de bois. La question épineuse de la dette publique est la priorité absolue  : moratoire et renégociation des emprunts sont les outils à la disposition de Syriza. C’est à la seule condition d’avoir revu les remboursements publics en cours que la Grèce pourra se redonner les moyens de sa renaissance économique et remettre sur pied un État «  providence  », censé protéger les plus faibles et promouvoir l’équité et la paix sociale. L’histoire reste à écrire. La Grèce saura peut-être trouver un nouveau modèle économique, moins destructeur que le capitalisme actuel qui, comme tout système économique lorsqu’il est poussé à bout, n’offre guère de perspectives à l’être humain. Et sur les traces de la Grèce, demain, l’Espagne s’engagera peut-être elle aussi sur le chemin de la révolte citoyenne.

B) La Grèce parle la langue de l’universel

par Michel Vakaloulis, docteur en philosophie, 
maître 
de conférences en sciences politiques à l’université Paris-VIII (1)

Comment gérer la victoire électorale  ? Dans la stratégie de Syriza, la sortie de crise présuppose de transformer profondément la société grecque. Les trois piliers de son programme mettent l’accent sur la lutte contre la crise humanitaire et l’insécurité économique, la modernisation démocratique de l’État et la relance de l’économie sur la base des besoins sociaux et de la reconquête du travail. Ces trois dimensions programmatiques ne constituent pas trois séquences successives. En fait, les processus de changement commencent simultanément, mais ils ont un horizon temporel différent quant à leurs résultats et leurs exigences. Toutes les réformes doivent être menées de pair avec la transformation d’un modèle économique trop dépendant du tourisme et des importations. Ce qui à long terme implique de réindustrialiser le pays, de refonder ses spécialisations productives, de renforcer les coopérations multilatérales qui favorisent le développement durable.Ce programme a-t-il des chances de réussir  ? Une bonne partie de la réponse tient à la renégociation de la dette, qui atteint 321 milliards d’euros et dont le remboursement des intérêts empêche toute marge de manœuvre. Cela suppose que les créanciers de la Grèce acceptent de renoncer à une partie de leurs créances plutôt que de tout perdre. C’est leur intérêt car la mise au ban du travail de millions de personnes en Grèce et plus largement en Europe est un immense gâchis qui gangrène toutes les sociétés.

À défaut d’un compromis juste et honnête sur la soutenabilité de la dette, le sort de la Grèce et l’avenir de la refondation démocratique de l’Europe risquent de se consumer dans une convulsion spectaculaire. Comme l’a écrit Jürgen Habermas, le désastre grec nous met en garde contre la voie post-démocratique choisie par les promoteurs des politiques d’austérité. Laissera-t-on ce petit pays qui porte aujourd’hui un grand message de courage et de dignité à l’échelle de l’Europe isolé et sans solidarité, pris dans une collision frontale avec l’extrémisme libéral  ? Cela serait bafouer la souveraineté populaire au nom de l’asservissement aux traités qui maintiennent la Grèce dans un état de persécution et de récession auto-alimentée.

Le programme de Syriza n’est certes pas «  révolutionnaire  ». Mais, dans le contexte actuel marqué par la dénégation de la réalité, il apporte une rupture structurelle avec les politiques régressives menées au nom du «  bon sens économique  ». Par une ruse de la dialectique de l’histoire, en raison même de ses spécificités en tant que laboratoire à ciel ouvert pour tester des politiques effroyables, la Grèce parle aujourd’hui la langue de l’universel. Elle nous dit que la thérapie de choc appliquée pour sortir de la crise est un échec retentissant. Catastrophique économiquement, inique socialement. Que l’explosion de la dette souveraine à la suite des politiques punitives qui s’abattent avec férocité sur les peuples sous prétexte d’absoudre un «  péché  » imaginaire subvertit les fondements de la démocratie et répand l’euroscepticisme. «  On ne peut pas continuer à pressurer des pays qui sont en pleine récession  », affirme le président des États-Unis, Barack Obama.

La victoire de Syriza est un pari qui permet de décloisonner le regard sur la construction européenne et de refaire de la politique au plus haut sens du terme. C’est-à-dire en mettant entre les mains du peuple les termes de son choix souverain. À condition de ne pas succomber aux simplifications enthousiastes de la rhétorique partisane qui font l’impasse sur les rudes tâches de la recomposition politique qui restent à faire pour relever les défis de l’horizon post-libéral. Restaurer la confiance en l’alternative ne sera guère une mince affaire. Le cas de Syriza n’est pas forcément exemplaire et ses chances de réussite demeurent incertaines. La gauche n’a pas seulement besoin d’une vision d’avenir, mais aussi d’une vision de ce qu’elle veut elle-même devenir. L’effet de Syriza n’est pas à imiter sans inspiration ni à prophétiser dans l’inaction, mais à construire, de manière intempestive, en incarnant un imaginaire de progrès, de transformation, de justice sociale. En ce sens, le nom de Syriza incite à dépasser le pessimisme de l’intelligence pour renouer avec l’optimisme de la volonté.

(1) Site personnel  : http://vakaloulis.wordpress.com

C) Démocratie partout

par Vangelis Goulas, coordinateur de la section 
de Syriza 
Paris

En Grèce le peuple vit le début d’une nouvelle ère dans sa transition démocratique populaire et radicale. Depuis dimanche 25 janvier un vent de liberté souffle sur la Grèce. Ces élections n’étaient pas des élections d’alternance, mais elles ont marqué l’effondrement d’un régime. On a vu immédiatement les changements symboliques et le sourire est revenu aux lèvres des Grecs. L’espoir est 
arrivé  !Les fourgons des CRS ne stationnent plus dans le centre-ville d’Athènes, il ne s’agit plus d’une ville occupée. Les grilles et les barrages devant le Parlement appartiennent au passé.Le gouvernement du salut public n’a pas peur du peuple.

La troïka et les mémorandums sont du passé. Dans un discours de politique générale historique, le premier ministre grec a exprimé sa détermination à appliquer le programme de Thessalonique.

La priorité est au programme humanitaire  : repas et électricité pour les familles les plus fragiles, relèvement du seuil de non-imposition aux revenus de 12 000 euros, restauration des négociations salariales, hausse du salaire minimum à 751 euros, réembauche des fonctionnaires injustement licenciés, réouverture de la chaîne de télévision publique ERT et obligation pour les médias privés de payer leur licence de radiodiffusion.

Priorité sera faite également à la lutte contre la corruption et à l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire pour savoir les circonstances de l’entrée de la Grèce dans le mémorandum. Tsipras a exigé de l’Allemagne des réparations pour la Seconde Guerre mondiale et le remboursement du prêt obligatoire auquel le pays avait été contraint par les nazis. Alexis Tsipras, profondément ému, d’une voix cassée, a déclaré  : «  Nous n’allons pas négocier notre histoire, notre fierté et la dignité de ce peuple. Nous sommes la chair de la chair de ce peuple. Nous sommes chaque mot de la Constitution de ce pays auquel nous avons prêté serment.  »

C’est la fin des années noires de l’austérité. Dès le 25 janvier, les Grecs ont donné un mandat clair au gouvernement Tsipras pour en finir avec l’austérité, les mémorandums et la tutelle de la troïka sans plus attendre. Un mandat clair pour négocier avec d’autres partenaires européens le fardeau d’une dette publique non viable et trouver une solution bénéfique pour la Grèce et pour l’Europe en annulant une partie de cette dette et en instaurant une clause de croissance pour le paiement du reste. Plusieurs voix de soutien se sont levées en Europe. Car ce n’est pas un problème grec, car ce n’est pas un problème de la dette publique, mais des politiques qui l’ont créée. C’est un problème européen que celui de l’austérité.

Voilà la cause de la réaction agressive d’un gouvernement allemand qui refuse d’établir un dialogue constructif pour arriver à une solution gagnante pour l’Europe et ses peuples.

Voilà pourquoi la BCE sort de son rôle constitutionnel et devient un levier de pression et de chantage sur la Grèce afin d’empêcher le gouvernement de présenter un programme de transition le temps de trouver un accord final avec ses créanciers, alors même que la Grèce s’engage à ne procéder à aucune action unilatérale.

Le gouvernement grec souligne que, malgré les pressions, il n’acceptera pas une extension du programme d’austérité, respectera son mandat et honorera ses engagements vis-à-vis du peuple  !

C’est le début d’une nouvelle ère de transition démocratique populaire et radicale. La Grèce doit être une des forces qui travaillent à la stabilité, la paix et la solidarité des peuples et des gouvernements, à construire une politique de paix pour le progrès dans une région qui a beaucoup souffert des nationalismes et des politiques impérialistes néolibérales.

Le 25 janvier, les Grecs ont voté pour la Grèce, pour la démocratie, la souveraineté du peuple, pour leur dignité, mais aussi pour l’Europe. L’Europe du progrès et des peuples, elle est déjà prête à se battre, comme on l’a vu en Espagne, avec des manifestations réunissant 120 000 personnes. Nous le verrons bientôt avec les grandes marches qui se préparent en Italie, et bientôt en France. Les peuples saluent la victoire de Syriza, le gouvernement du salut public. Un premier combat a été gagné, les autres suivront dans notre bataille commune contre les oligarchies avec un seul mot d’ordre  : «  démocratie partout  ».

Dossier dans L’Humanité


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