" La gauche Syriza me va très bien " (Guillaume Balas, gauche du PS)

lundi 23 mars 2015.
 

La commission a changé de discours, depuis l’entrée officielle en campagne législative grecque

... Comme d’habitude, c’est un peu tard. Je ne veux pas cibler Pierre Moscovici, ce n’est pas une question de personnalité. Mais je dénonce ce réflexe : d’abord voir ce que pensent les Allemands, et puis on se cale par rapport à eux, quoi que ce soit qu’on a à gagner dans l’affaire. Je précise : quand je parle des Allemands, je parle du gouvernement allemand, de la droite au pouvoir (c’est une coalition CDU-SPD, c’est-à-dire chrétiens démocrates/sociaux-démocrates, qui gouverne à Berlin, ndlr).

On pourrait vous retourner la critique : votre groupe au parlement européen, les socialistes et démocrates, est lié à la droite du PPE au sein d’une " grande coalition " qui dicte la vie du parlement.

On est en plein débat là-dessus. Aux yeux des dirigeants du groupe, nous ne sommes pas en grande coalition : nous faisons du coup par coup, selon les textes... J’étais contre le fait que le groupe soutienne Juncker (Guillaume Balas s’est finalement abstenu lors du vote, comme l’essentiel de la délégation socialiste française, ndlr). Mais tout le monde pense que l’on est en grande coalition. Je me disais donc, en fin d’année dernière, que le mieux serait peut-être de faire une vraie grande coalition, à l’allemande, avec un contrat de gouvernance négocié point par point, sur un programme précis. J’aurais encore préféré assumer une grande coalition et me faire engueuler en France, parce que ce n’est pas notre culture, plutôt que d’essayer de défendre l’espèce de gloubiboulga dans lequel on se trouve.

Mais nos amis allemands du SPD ne veulent pas d’un texte commun avec la droite, parce qu’ils sont aujourd’hui les grands perdants de l’accord de coalition avec la droite, à Berlin. À partir de là, on fait quoi ? Si l’on fait du coup par coup, allons jusqu’au bout : il ne doit plus y avoir d’a priori positif envers ce que présente la commission. Et il faudrait d’abord aller voir les gens de la GUE (gauche unitaire européenne, avec le Front de gauche, ndlr) et des Verts, pour voir si un accord est possible avec eux. Puis aller voir la droite du PPE et des libéraux (dont l’UDI-Modem, ndlr). Au sein de la délégation française, nous voulons à tout prix clarifier le débat et sortir des ambiguïtés.

Syriza semble en mesure de remporter les législatives grecques du 25 janvier. Ce serait une première dans l’UE (à l’exception de Chypre), pour un parti à la gauche de la social-démocratie. Qu’en pensez-vous ?

D’abord, leur victoire n’est pas acquise du tout. La bourgeoisie grecque sait se défendre. Cela va être très violent. Ensuite, je suis allé voir ce que dit le programme d’Alexis Tsipras (le leader de Syriza, ndlr). On parle de " gauche radicale "... Mais moi, ça me va très bien. Je ne vois pas où est le " radical " là-dedans. Tsipras est de gauche, point. Sur plusieurs sujets, il dit des choses intelligentes. La renégociation de la dette ? Tout le monde dit qu’il va falloir la renégocier. La situation est intenable. Et il promet de faire d’autres choses utiles pour la Grèce : un système fiscal, un cadastre. Honnêtement, avoir un parti qui construit un véritable État en Grèce, ça peut valoir quand même de l’exempter de quelques milliards de dette qu’il ne parviendra pas, de toute façon, à payer.

Vous ne défendez pas le parti socialiste grec, le Pasok, crédité de 5 % environ dans les sondages, et concurrencé par le nouveau parti de l’ex-premier ministre socialiste Georges Papandréou ?

J’espère que le Pasok soutiendra Syriza après les élections. Je suis toujours pour soutenir le parti de gauche qui arrive en tête.

En Allemagne, le débat est très vif, sur la possibilité de mener une restructuration de la dette grecque, tout en restant dans la zone euro, comme le promet Syriza. Qu’en pensez-vous ?

Je ne vois pas de quel risque on parle, si l’on annule une partie de la dette. Que l’euro baisse ? Que les spéculateurs s’inquiètent ? Mais aujourd’hui l’investissement privé est au point mort en Europe, donc qu’est-ce qu’on en a à faire que les Bourses soient flamboyantes ? Cela ne rapporte absolument rien à l’économie européenne. Et si l’euro baisse encore un peu, honnêtement, je suis preneur.

Si l’un des détenteurs de dette résiste à cette annulation de dette, cela va compliquer les choses...

Mais ce n’est plus un argument économique, c’est un motif politique ! Et si la France dit " non, la Grèce ne sort pas ", il se passe quoi ? Eh bien, la Grèce ne sort pas. Le seul problème, c’est que cela risque de faire baisser la valeur de l’euro, et oui ça va affecter la rente, et donc oui, ça va toucher l’électorat de Madame Merkel. Ce n’est pas quelque chose qu’il faut prendre à la légère. Parce que cet électorat peut aussi être tenté par l’Alternative pour l’Allemagne (AFD), pour un retour au mark. Voilà ce qu’il faut dire à Berlin, s’ils veulent sauver leur système : la seule solution, c’est d’investir massivement dans les pays de l’Europe du Sud.

Le rapport Pisani-Enderlein remis à Emmanuel Macron en fin d’année 2014 dit déjà cela...

Oui. Et je pense qu’on a un bon instrument sous la main, qui s’appelle le plan Juncker (le plan chiffré par la commission à 315 milliards d’euros d’investissement, ndlr). Il faut mettre en place un zonage des investissements de ce plan, vers ceux qui en ont besoin.

Ce n’est pas l’esprit du plan, où chaque État membre fait attention à profiter des retombées de ses propres investissements.

Soit l’Allemagne forme une zone monétaire façon " Markland " avec les Autrichiens et les Danois, et c’est la fin de l’UE, chacun reprend ses billes. Soit elle pense qu’il faut préférentiellement garder l’UE pour l’avenir. Et dans ce cas, elle doit investir dans le sud de l’Europe.

En l’état, le plan Juncker n’a pas l’air de convaincre les socialistes européens. Votre groupe avait pourtant permis l’élection de Juncker à la tête de la commission en échange de ce futur plan de relance... Vous n’avez pas l’impression de vous être fait avoir ?

Le plan présenté par Juncker a profondément évolué au fil des mois. Avant c’était : " Il faut faire de l’investissement public, même si je vous demande de ne pas oublier l’investissement privé. " Désormais, c’est : " Il faut beaucoup d’investissement privé, et il faut aussi un peu de garanties publiques. " La hiérarchie des priorités a été renversée. Le conseil européen (les États membres, ndlr) a compris qu’il y avait peu d’argent public frais. Si, au bout du bout, le plan Juncker reste en l’état, on le votera, parce que sinon, il ne restera même plus. Mais ce ne sera pas à la hauteur des enjeux.

Ce qui m’intéresse dans ce moment, c’est que les rapports de forces évoluent au sein de la social-démocratie. Je ne crois pas à la mort de la social-démocratie et à son remplacement par une grande force de gauche alternative. La seule chose qui peut arriver, c’est qu’une grande partie des sociaux-démocrates se disent qu’il n’est plus possible d’être dans le consensus mou avec le centre-droit et la droite. Et donc qu’il faut se lancer dans une recomposition à gauche. C’est pour cela qu’il convient de se tourner vers les Verts et la GUE. Cette stratégie n’était même pas écoutée il y a six mois. Aujourd’hui, c’est davantage le cas.

Grâce à Syriza ?

La potentialité de la victoire de Syriza fait évoluer les esprits. Et ces esprits évolueront encore plus si la victoire se concrétise. Tout en étant conscient que ça va être compliqué pour eux, et qu’ils ne vont pas pouvoir faire des miracles tout de suite. Donc il va aussi falloir assumer de les aider, dans les rapports de forces avec la commission et une partie du conseil (les États membres, ndlr).

Le scénario grec et l’ascension de Podemos en Espagne ne prouvent-ils pas que la social-démocratie a loupé intellectuellement et politiquement cette période entamée avec la crise financière de 2008 ?

La social-démocratie n’a pas les outils aujourd’hui pour répondre à la crise. Mais il convient de différencier les contextes. En Espagne ou en Grèce, le système basique d’assurance collective et sociale ne fonctionne plus. Ce n’est pas le cas de la France. En France, on est plutôt dans un moment où tout le monde essaie, chacun à sa manière, de sauver ce qui peut l’être de l’État-providence. Le Pen le dit sous une forme nationaliste, Hollande sous une forme ambiguë faite de négociations opaques avec Bruxelles et Berlin. Et nous-mêmes, à la gauche du PS et la gauche en dehors du PS, on est aussi dans la préservation du modèle, et non dans sa transformation. Ce qui est en réalité une position conservatrice. C’est à mon sens la grande différence qu’on a avec la Grèce et l’Espagne, et qui explique pourquoi l’autre gauche ne fait pas de score éclatant malgré la déconfiture des socialistes.

Et puis on ne fait pas de la politique en l’air. Il faut qu’il y ait des forces sociales qui appuient un mouvement réel de la société. Or on est tiraillé entre certains très à gauche qui en viennent à souhaiter que l’austérité et la crise s’aggravent, et d’autres au gouvernement qui plaident pour un maintien dans cette crise relative, jusqu’à ce qu’on s’en sorte un jour. La seule manière de s’en sortir, c’est de poser des enjeux politiques radicalement nouveaux, et notamment en revoyant notre modèle de développement. Ni Marine Le Pen, ni l’UMP ni Manuel Valls ne répondent aujourd’hui sérieusement à la crise écologique. Ce fait majeur ne trouve aucune réponse politique d’envergure, et me semble être le moyen de casser ce conservatisme généralisé actuel, où on ne fait que tenter de préserver l’existant. On le voit avec la loi Macron, qui ne répond sûrement pas aux besoins de l’économie française, mais enregistre une série de petits reculs, notamment sur le droit du travail...

Syriza et Podemos interrogent aussi la gauche française d’un point de vue stratégique. Un Syriza à la française, une recomposition progressive entre différentes forces politiques, est-il envisageable ? Ou le PS et la gauche sont dans un tel état de déshérence que ce n’est même plus un objectif crédible ?

Ce n’est pas par lâcheté que je dis cela, mais je ne sais pas répondre à cette question. Les conditions objectives ne semblent pas réunies, mais c’est en effet un moyen d’ouvrir de nouvelles perspectives, sur le fond. J’entends la critique de ceux qui estiment que, " comme d’habitude, la gauche du PS estime que ce n’est pas encore le moment ". C’est vrai, même si on est un peu les seuls à mener la bataille, en tentant de respecter le collectif plutôt que d’être dans des démarches individuelles. J’ai toutefois une certitude : le système politique français ne va pas continuer comme ça. Les institutions de la Ve comme la gauche ne peuvent plus rester en l’état. C’est soit la transformation, soit la disparition. Et je pense profondément que la gauche ne peut pas mourir en France. Reste à savoir quand et comment. Avant ou après les régionales ? Avant ou après la présidentielle ? Lors du congrès du PS ? Je ne sais pas.

Avec ce que vous et d’autres dites sur la politique du gouvernement et la situation politique en Europe, comment est-il encore possible d’envisager une synthèse lors du congrès du PS en juin ?

Deux problèmes se posent : " Y a-t-il une synthèse possible ? ", mais même avant cela : " Existe-t-il encore un cadre pour une synthèse possible ? " Est-ce que le PS est aujourd’hui un cadre politique où l’on peut poser un problème et le résoudre ? On peut en douter, quand on voit à quel point ce parti s’est transformé en un appareil très crispé et peu imaginatif. Il ne s’agit pas d’incriminer ici Cambadélis, ce serait pareil avec un autre et on en est tous responsables. Il faut en tout cas que ce congrès soit un vrai congrès, où l’on discute et tranche vraiment nos divergences. Si c’est un faux congrès, se résumant à un appel à l’unité et à un néo-molletisme célébrant le socialisme à travers les siècles, qu’il faudrait sauver à tout prix sans se soucier de la politique gouvernementale, alors on sera dans l’ultra-conservatisme. Et si les amis politiques d’Emmanuel Macron et Manuel Valls se planquent, et qu’il reste un appareil se contentant de répéter que " le parti n’est pas le gouvernement ", ça va poser réellement la question de la pertinence du parti lui-même, qui se résumerait alors à une église.

Deuxième question : y a-t-il enfin une synthèse possible ? Sincèrement, elle commence à s’éloigner à grands pas. Nous avons rencontré Macron. Outre le fait qu’il est sympa et qu’on peut débattre avec lui, ce qui change indéniablement de la génération socialiste précédente, sa vision économique se résume au libéralisme le plus simplet. Libéraliser l’économie, " désétatiser " la France, être plus attractif... S’il n’y a plus de critique du capitalisme, Valls a raison, ça ne sert plus à rien de se dire socialiste. On devient une gauche libérale comme il y en a dans d’autres pays, mais on n’est plus socialistes ou sociaux-démocrates.


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