« Un renversement en Grèce, un message à l’Europe »

samedi 10 janvier 2015.
 

Alors que des élections législatives cruciales vont avoir lieu en Grèce, Alexis Charitsis, membre du secrétariat de Syriza, explique comment le parti gouvernerait et les répercussions à prévoir, dans toute l’Europe, contre l’austérité et la pensée néolibérale.

Quel bilan faites-vous de la politique de la Troïka et du gouvernement grec ?

Le programme de la Troïka et du gouvernement grec a été un échec budgétaire total avec des conséquences sociales dévastatrices. Eux-mêmes ont dû l’admettre dans les évaluations périodiques qu’ils ont effectuées. Mais l’échec du programme du mémorandum sur le plan financier ne doit pas masquer qu’il a en fait réussi dans ses objectifs structurels, à savoir la création d’une toute nouvelle réalité économique et sociale où la dégradation du travail et de l’environnement, la destruction de l’état de bien-être et la centralisation de la production est conçue non comme une condition provisoire liée à la crise, mais comme une nouvelle norme permanente. Comme nous l’avions affirmé depuis le début de la crise, la Grèce a été utilisée comme cobaye, les autres pays périphériques de la zone euro suivant peu après. Un paramètre essentiel avait cependant échappé aux concepteurs de ce plan : l’imposition d’un tel plan à la société est d’une grande violence politique, psychologique et physique. Ce type de construction artificiel d’un "consensus" ne peut certainement pas être durable à long terme.

Syriza a une responsabilité considérable : celle de proposer au peuple grec et à l’Union européenne un programme qui constitue un chemin vraiment alternatif et réaliste. En quoi consiste-t-il ?

Nous considérons que notre slogan « Un renversement en Grèce, un message à l’Europe » n’est pas simplement un message de communication, mais qu’il constitue un message politique très important. La formation d’un gouvernement de gauche en Grèce constituera un changement de dimensions historiques qui aura des répercussions très importantes dans la contestation des politiques néolibérales au niveau européen. Le programme économique de Syriza repose sur trois piliers principaux : faire face à la crise humanitaire ; restructurer la production ; réformer l’État. Ses principaux éléments vont à l’opposé de la politique du gouvernement aussi bien en ce qui concerne les objectifs, les moyens que les conditions de réalisation de la reconstruction productive. Ainsi, le programme de Syriza pose comme condition préalable l’arrêt immédiat de l’austérité budgétaire et la redistribution des revenus. Il repose sur un rôle amélioré du travail.

Il prévoit la protection et la réhabilitation des biens et de la propriété publiques. Il utilise l’État comme un levier pour le développement dans le cadre de la régulation sociale et environnementale, et comme garant de l’investissement privé. Il considère en même temps que ceci est inséparable d’une transformation radicale de l’État, qui en est en quelque sorte une condition préalable. Le programme de Syriza protège également les PME comme un outil clé pour le développement de la croissance de l’innovation et de l’emploi. Il prévoit de favoriser le pluralisme dans la production de biens et de services par opposition à la "monoculture" du secteur privé imposée par la politique néolibérale actuelle. Et notamment de promouvoir les principes et les valeurs de l’économie sociale et solidaire comme un moyen de réforme socio-économique radicale. La réforme de l’État conduite par le gouvernement et la Troïka est désastreuse. Mais la situation de départ l’était aussi… Du fait de la grande destruction économique des cinq dernières années (perte de 25% du PIB, taux de chômage officiel au niveau sans précédent de 28%) la réactivation de l’économie est une priorité cruciale. Mais cet objectif ne doit en aucun cas être interprété comme un retour à la situation de l’avant-mémorandum. Ce n’est ni possible ni souhaitable. La réponse aux politiques d’austérité commence par un traitement de la crise humanitaire et aux besoins les plus urgents de la population, mais elle soulève aussi la question cruciale de la transformation des rapports de production, la réorganisation de la production, des structures et agents économiques et surtout la redistribution des ressources – matérielles et humaines.

Quelles sont vos priorités en la matière ?

Le développement capitaliste néolibéral de l’économie grecque des dernières décennies a mis en place et consolidé des structures, des institutions, des règles formelles et informelles et des conceptions dont la destruction est une condition préalable pour la sortie effective de la crise en faveur des forces de travail. Les principales difficultés auxquelles le gouvernement de la gauche devra faire face sont liées à des mécanismes historiques de fonctionnement de l’économie grecque, tels que son système fiscal, son cadre institutionnel, son mode d’administration publique, etc. Mais après deux décennies de propagande néolibérale, il faudra aussi affronter le mépris des moyens publics et sociaux de l’organisation de l’économie, intériorisé par une grande partie de la société grecque. La participation de la société organisée dans la conception, la mise en œuvre et le suivi de notre plan est donc un défi majeur. La participation populaire et le contrôle social par des communautés locales, la promotion du rôle des travailleurs et des syndicats dans la prise de décision et dans le contrôle de l’économie à travers la mise en place de collectifs sociaux et locaux, sont nécessaires pour que la notion de "développement" concerne la société tout entière et pas seulement les privilégiés. Nous voulons renforcer les consultations publiques, les référendums, les comités permanents d’audit, les conseils ouvriers qui sont autant d’institutions permettant de cultiver une "nouvelle éthique" de promotion des valeurs de solidarité, du sens de la collectivité et de la dignité par opposition aux valeurs du marché du néolibéralisme.

Le changement de politique en Grèce risque d’être bloqué par l’Europe. Comment peut-on affronter dès maintenant ce problème ?

Nous ne considérons pas une victoire de Syriza dans les élections à venir comme un simple changement de gouvernement en Grèce, mais comme une rupture générale du statu quo politique. Bien entendu, nous ne sommes pas les seuls à penser cela. Les forces néolibérales dominantes en Europe auront probablement la même perception d’un gouvernement de Syriza. Non seulement parce que celui-ci mettra en œuvre un programme qui se différencie à l’opposé du leur, mais aussi parce qu’un tel précédent pourrait être trop risqué pour l’avenir des politiques d’austérité en Europe. Dans le même temps, les choses semblent avoir commencé à changer dans la façon dont les peuples européens, et même des parties de l’establishment économique et politique, perçoivent cette crise non comme une particularité grecque mais comme un problème structurel de l’Union monétaire, qui met en danger l’Union européenne dans son ensemble. Dans cet esprit, Syriza a déjà lancé une vaste campagne pour créer des alliances dans toute l’Europe avec des forces politiques et sociales qui ne sont pas nécessairement d’accord avec l’ensemble de notre programme, mais qui perçoivent l’urgence d’un changement radical des politiques au niveau européen. Le soutien international (basé sur les valeurs de solidarité et de réciprocité) au gouvernement de la Syriza, dans ses efforts pour créer un nouveau paradigme politique pour le bénéfice de la majorité sociale en Europe, est en effet essentiel à la réussite de notre projet.


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