Social-démocratie et gauche radicale dans un paysage politique en crise latente

lundi 5 janvier 2015.
 

Les élections européennes de mai dernier ont bien reflété l’état du paysage politique sur le Vieux Continent. Les forces de gouvernement ont décliné sur le plan électoral, mais ont conservé la maîtrise d’un jeu institutionnel que les forces les plus oppositionnelles restent incapables de bouleverser. En clair, le système politique de l’Union européenne (UE) absorbe encore bien les chocs consécutifs à la grande crise économique de 2008. Plusieurs indices attestent cependant de craquements sous la surface.

La tendance générale est à la baisse de la participation, à l’imprévisibilité croissante des comportements électoraux, et au progrès de partis échappant à l’opposition droite/gauche ou se situant sur ses franges les plus radicales. Plus spécifiquement, les systèmes partisans de plusieurs pays sont en recomposition avérée ou probable, qu’il s’agisse de la Grèce, de l’Espagne ou de l’Irlande. Dans ces trois derniers Etats, c’est l’ascension de gauches alternatives qui bouleverse le jeu politique. Dans d’autres pays au cœur du capitalisme européen et moins frappés par la crise, c’estau contraire la droite radicale qui est en essor. Mais dans tous les cas, ces formations appartiennent à des familles politiques encore en construction, peu « européanisées » en comparaison de celles qui constituent l’arc central du gouvernement de l’UE, à savoir les droites conservatrice et libérale et la gauche sociale-démocrate.

Cette dernière apparaît en stagnation électorale comme idéologique, face à une crise qui exprime le dysfonctionnement irrémédiable de la zone euro et du capitalisme financiarisé. Les sociaux-démocrates, en proie à de multiples contraintes au niveau national, affirment souvent compter sur le niveau européen pour combler ce déficit d’alternative. Malheureusement pour eux, cette perspective se brise régulièrement sur trois problèmes.

Premièrement, ils sont en position subalterne dans la « grande coalition » qui gouverne l’UE, si bien que leur spécificité est très peu visible.

Deuxièmement, l’architecture de l’UE n’est pas favorable à une plus grande solidarité intra-européenne et à une relance réelle des investissements au niveau communautaire. Elle présente un biais très net en faveur de la compétition par le marché, tandis qu’aucun dispositif n’est en mesure de faire converger une pluralité d’Etats présentant des intérêts économiques divergents et des cycles sociaux désynchronisés.

Troisièmement, les propositions des sociaux-démocrates pour l’UE restent insuffisantes. Leur pensée économique, encore prisonnière d’une gangue orthodoxe,les empêche d’expliquer clairement comment faire de l’euro une véritable monnaie publique s’assurant la confiance des populations, ou comment faire prévaloir l’intérêt des corps sociaux sur les intérêts capitalistes dont l’espace pour le compromis s’est réduit.

Aucun lien mécanique ne conduit pour autant à l’essor d’une gauche radicale aux ambitions plus transformatrices. La crise systémique de 2008 offre toutefois une opportunité stratégique à cette famille politique en reconstruction lente mais réelle. En son sein, la stagnation guette les formations les plus crispées sur l’identité communiste originelle et une forme partidaire isolée des autres mouvements anti-néolibéraux. L’avenir semble plus souriant à celles capables d’articuler d’une part une doctrine totale de l’émancipation, y compris par rapport au productivisme ; et d’autre part une porosité militante avec les divers groupes luttant contre la dépossession démocratique et sociale, y compris hors du mouvement ouvrier.

Même dans cette configuration plus adaptée aux sociétés contemporaines, la gauche radicale devra affronter deux défis redoutables. Le premier concerne les rapports avec la social-démocratie, que ce soit avec son électorat (en attirer une partie est la clé de progrès électoraux massifs) ou avec ses dirigeants (un gouvernement majoritaire dépendra très probablement de leur soutien). Le second concerne la mise en œuvre d’une politique de transformation dans le cadre européen. Le thème de la désobéissance à l’UE a récemment émergé, se voulant une voie médiane entre le risque de « social-démocratisation » et celui du « solo funèbre », mais reste à préciser.


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