GI’s, Tsahal, talibans... On achève bien les enfants…

jeudi 19 mars 2015.
 

Les enfants pakistanais morts dans un attentat à Peshawar, au début du mois de décembre, ont attiré l’attention des médias, à juste titre. Chaque année, de nombreux enfants viennent grossir les bilans macabres des différents conflits, mais leurs morts n’entrent que trop rarement en ligne de compte au moment de les analyser. Victimes collatérales ou cibles délibérées ?

par Patrick Howlett-Martin, vendredi 26 décembre 2014

« Pourquoi faut-il que souffrent aussi les enfants ?

Dira-t-on qu’ils portent dans leur chair les péchés de leurs parents et qu’ils en sont par conséquent solidaires ? Un mauvais plaisant objectera peut-être que l’enfant grandira et péchera à son tour, le moment venu. Mais ce garçon de huit ans n’a pas eu le temps de grandir et il a été déchiré par les chiens. Aucune harmonie future ne rachètera une seule des larmes de l’enfant martyr. Si les larmes des enfants sont indispensables pour parfaire la somme de douleur qui sert de rançon à la Vérité, j’affirme catégoriquement que celle-ci ne mérite pas d’être payée un tel prix ».

Dostoïevski, Les Frères Karamazov.

C’est à la haine, au deuil et à la douleur provoqués par les violences subies par les familles du Proche-Orient, au cours de ces dix dernières années, que l’on doit le terrible attentat contre une école d’enfants de militaires pakistanais à Peshawar, le 6 décembre 2014, dans lequel cent trente-deux d’entre eux ont été assassinés par balles par un commando taliban.

Lors d’une émission télévisée de la chaîne américaine CBS (« 60 minutes ») le 12 mai 1996, Mme Madeleine Albright, alors secrétaire d’Etat du gouvernement de M. William Clinton, interrogée par la journaliste Lesley Stahl sur les sanctions à l’encontre de l’Irak — tenues pour responsables, selon un rapport de l’Unicef, de la mort de cinq cent mille enfants, un nombre plus élevé qu’à Hiroshima —, avait répondu que le prix était certes élevé mais valait la peine d’être payé (1). Le secrétaire à la défense de M. Anthony Blair avait eu des propos équivalents lorsqu’il avait été interviewé à la radio sur le sort des enfants irakiens victimes des bombes à fragmentation utilisées par l’armée britannique. Ainsi, dans les attentats ciblés, la présence d’enfants est délibérément ignorée : pour tuer un militant du Hamas (Essa al-Batran), Israël bombarde sa maison sise au camp de Bureij, dans la bande de Gaza, et tue ses cinq enfants. Pour assassiner Nizar Rayan, un dirigeant du mouvement islamiste, le 2 janvier 2009, l’aviation israélienne détruit sa maison et ses onze enfants (2). Afin d’éliminer le général lybien El Khweldi El-Hamedi, l’OTAN tue treize civils dont trois de ses petits-enfants. L’éditorial du magazine Military Times du 3 décembre 2012, qui appartient au plus grand groupe de presse américain (Gannett Company), affirme que les enfants afghans peuvent être pris pour cibles par les forces de l’OTAN parce que les talibans les utiliseraient comme complices de leurs actes (3). Dans le village afghan de Uwshi une fillette de huit ans fit détoner une bombe près d’un commissariat de police et en fut la seule victime (4). Lors de l’offensive de Gaza en 2009, des soldats israéliens utilisèrent un jeune Palestinien de 9 ans, à Tel al-Hawa, comme chien renifleur pour d’éventuelles bombes dissimulées (5).

Les opérations militaires, comme les attentats terroristes, font plus de victimes chez les enfants désemparés que chez l’ennemi armé. En Afghanistan, à Baghlan, un attentat terroriste perpétré le 6 novembre 2007 tue cinquante-neuf écoliers (6) ; le 9 juillet 2009, un autre attentat, à Kaboul, fait seize autres victimes, âgés de 8 à 12 ans (7). Lors des opérations militaires israéliennes contre Gaza, entre septembre 2000 et novembre 2004, cinq cents enfants palestiniens, qui ne prenaient évidemment pas part aux combats, sont tués et plusieurs milliers blessés. Au terme de la deuxième offensive (décembre 2008 - janvier 2009) trois cent treize enfants ont été abattus selon le rapport d’Amnesty International (8). Lors des bombardements de l’aviation israélienne de décembre 2012, trente-trois sont morts et deux cent quarante-sept blessés, selon le Centre palestinien des droits de l’Homme. A Gaza, comme à Sderot, 75 % des enfants de 4 à 15 ans sont atteints du syndrome de stress post-traumatique. A Houla, près de la ville de Homs, au mois de mai 2012, les milices syriennes pro-Assad ont assassiné méthodiquement 32 enfants, égorgés ou tués d’une balle dans la tête (9).

Le taux de mortalité infantile dans les camps de réfugiés de la capitale afghane est parmi les plus élevés au monde : 144 pour 1 000 enfants de moins de 5 ans. Ce chiffre signifie qu’un enfant sur sept ne survivra pas jusqu’à sa sixième année. Rod Norland, le correspondant du New York Times à Kaboul, a donné la liste nominative de vingt-deux enfants de moins de 5 ans morts de froid dans ces camps pour le seul mois de janvier 2012 (10).

Il a fallu attendre sept ans pour que le sergent Frank Wuterich, leader de la patrouille responsable de l’exécution de sept enfants et de leurs mères à Haditha (Irak), en 2005, soit jugé. Sanctionné par la justice militaire pour… « négligence » (negligent dereliction of duty), sa promotion a été ajournée tandis que sept de ses acolytes étaient relaxés (11).

A la morgue de Bagdad, se trouve une pièce sombre, celle dite des absents, ou des centaines de portraits d’enfants non identifiés, aux visages généralement maculés de sang, sont projetés sur quatre écrans afin que des parents ou voisins puissent les identifier et se recueillir sur leur tombes numérotées dans le cimetière voisin.

A tuer des enfants que peut-on espérer sinon plus de deuils, de haine et de violence ?

Patrick Howlett-Martin est diplomate. Son livre le plus récent est La politique étrangère du Brésil (2003-2014). L’émergence contestée, L’Harmattan, décembre 2014.

(1) Le texte original (consultable ici) est le suivant :
- “We have heard that half million children have died. I mean that´s more children than died in Hiroshima. Is the price worth it ?”
- “I think, this is a very hard choice, but the price, we think the price is worth it.”

(2) Ashraf Khalil, Ahmed Burai, « Israeli strike kills a top Hamas leader in Gaza », Los Angeles Times, 2 janvier 2009.

(3) Bob Dreyfuss, « The US military approves bombing children », The Nation, 4 décembre 2012.

(4) Joshua Norman, « 8-year-old Afghan tricked into suicide bombing », CBS News, 26 juin 2011.

(5) Anshel Pfeffer, « Two IDF soldiers charged with using 9-year-old human shield in Gaza war », Haaretz, 11 mars 2010.

(6) Tahir Quadiry, « Suicide bomber kills 50 in northern Afghanistan », Reuters, 6 novembre 2007.

(7) Abdul Waheed Wafa, Alan Cowell, « Truck blast in Afghanistan leaves at least 24 dead », The New York Times, 9 juillet 2009.

(8) Rapport sur la guerre de Gaza, 25 août 2009.

(9) Neil Mac Farquhar, Hwaida Saad, « Many children among victims in Syria attack », International New York Times, 26 mai 2012.

(10) Rod Nordland, « Driven away by a war now stalked by winter’s cold », International New York Times, 3 février 2012.

(11) « Anger in Iraq after plea bargain over 2005 massacre », The New York Times, 24 janvier 2012.


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