Ebola : le crime de la pauvreté et du sous développement

mercredi 12 novembre 2014.
 

Les injonctions du FMI et de la Banque Mondiale ont jeté le Libéria, la Sierra Léone et la Guinée dans une pauvreté endémique. C’est sur ces ruines qu’ont prospéré les maladies.

Ebola ! Ce nom, apparu d’un coup, revient désormais à chaque bulletin d’information, accompagné d’images que l’on croirait tirées d’un film d’épouvante. Des corps hagards y déambulent dans les rues, parfois chassés par des foules inquiètes et paniquées, alors que des personnels médicaux recouverts de combinaisons risquent leur vie pour en sauver d’autres. Ebola interpelle nos consciences.

Cela fait dix mois que ce virus chemine dans les pays côtiers de l’Ouest africain. Dix mois d’une progression inexorable sous les yeux d’une communauté internationale défaillante et ahurie, qui a fait preuve d’une incroyable cécité jusqu’à ce que le virus atteigne les terres occidentales. Il aura fallu que quelques cas soient découverts dans quelques-unes de leurs capitales pour qu’enfin on prenne conscience de sa gravité. Voici qui devrait à nouveau rappeler que tous les êtres humains vivent sur la même planète. Personne ne s’en sortira seul ! Raison de plus pour mettre en partage les connaissances des équipes scientifiques et appeler non pas à la monopolisation de la santé et des médicaments entre quelques firmes mais à faire de la santé – qui n’est autre que le bien-être humain – un enjeu d’intérêt commun. Faute de s’assigner à penser ainsi, Ebola a pu prospérer. Pourquoi, en effet, ne pas avoir agi plus tôt alors que l’Organisation des Nations unies avait, dès le 13 février dernier, lancé l’idée « d’une initiative mondiale » afin d’éviter de telles catastrophes ? Pourquoi les paroles officielles aux tribunes internationales, qui ne manquent pas une occasion de donner quelques solides leçons de développement, se transforment-elles dans les faits en réduction des aides aux pays les plus pauvres ? Pendant ce temps, le Liberia, la Guinée et la Sierra Leone comptent leurs morts par milliers. À l’heure où ces lignes sont écrites, on dénombre près de 5 000 victimes, selon les estimations officielles. Le double, voire le triple, est sans doute plus proche de la réalité et la menace d’une progression exponentielle se fait de plus en plus précise.

Un petit vent de panique a sans doute poussé les institutions européennes et les États-Unis à engager quelques mesures, il y a une quinzaine de jours. L’Union européenne vient de nommer un coordinateur dont les missions demeurent très floues tant les voix restent discordantes au sein de l’Union. Le seul accord conclu pour l’instant a permis d’établir un protocole unique de soins et d’évacuation des volontaires de santé étrangers. C’est en soi une bonne chose. Mais comment penser que l’Union européenne puisse en rester à protéger ses courageux humanitaires, tout en laissant le virus continuer sa prolifération ? Certains pays dont la France ont également renforcé les contrôles aéroportuaires.

Certes, le Nigeria et le Sénégal ont pour le moment endigué l’épidémie. Mais aujourd’hui, le Mali est touché et nul doute que d’autres pays le seront prochainement, en Afrique et ailleurs, tant Ebola fait fi des frontières et des peuples. Comment accepter qu’on trouve tant d’argent en un claquement de doigts pour engager des guerres, ou que des crises bancaires fassent partir des milliards en fumée, alors que l’Union européenne n’a, pour l’instant, dégagé que 84 millions d’euros sur les 500 millions prévus ? Elle n’a dressé que quelques hôpitaux de campagne, alors que 1 milliard d’euros au moins serait immédiatement nécessaire. De leur côté, les États-Unis viennent d’expédier un important contingent de militaires dans les pays concernés, dont certains se demandent quelle sera sa véritable mission.

Cette inertie concerne également, et c’est plus grave, l’Organisation mondiale de la santé qui n’a rien vu venir, ou minimisé mois après mois le phénomène. De ce fait, elle n’a pris aucune mesure quand le virus était circonscrit à de petits périmètres. Pourtant les alertes se sont multipliées dès l’apparition du virus, en décembre 2013. Comme l’a lui-même reconnu J. Kerry, un seul pays fait figure d’exemple : Cuba. Forte de sa diplomatie médicale d’excellence au service des pays en développement et alors qu’elle subit les méfaits du blocus américain, la petite île n’a pas attendu qu’un de ses ressortissants soit touché pour se projeter à l’avant-garde de la lutte contre le virus Ebola. Elle a dépêché un important contingent de 165 médecins et personnels de santé, début octobre, pour la Sierra Leone ; 296 autres personnels sont attendus cette semaine au Liberia et en Guinée. Pendant ce temps, les pays européens ne cessent de tergiverser, prenant le risque, avec les autres pays occidentaux et l’Organisation des Nations unies, de perdre la bataille contre le temps, si précieuse quand une telle épidémie fait rage, précisément parce que leur raisonnement a plus à voir avec les comptabilités imposées par les maîtres de la finance qu’avec le souci de donner la priorité aux êtres humains. Décidément, ces drames confirment la nécessité de refonder les institutions internationales, dont évidemment l’Organisation mondiale de la santé, afin qu’elles établissent, dès l’apparition des premiers symptômes, des protocoles d’urgence dans les pays en difficulté.

L’Union européenne, si prompte à organiser la chasse et le fichage des migrants, serait quant à elle bien avisée de prendre la mesure du désarroi des pays africains face aux épidémies de toutes sortes, en dégageant les fonds nécessaires à une véritable coopération sanitaire qui associerait les populations locales et en cessant de faire de l’indispensable aide au développement une coquille vide. Car, au-delà de l’urgence des mesures à prendre, de nombreuses questions restent ouvertes sur les causes de l’épidémie. En effet, de quoi Ebola est-il le nom ? Certainement pas d’une énième malédiction tombée du ciel, dont Le Pen père rêvait lorsqu’il affubla le virus d’un odieux « Monseigneur Ebola », contre lequel les Africains ne pourraient rien puisque victimes d’un mauvais sort, sans doute lié à la couleur de leur peau ! Moyen commode et odieux pour masquer qu’Ebola est le nom de la pauvreté, du sous-développement et de la violence des politiques ultralibérales.

Rappelons que le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée ont subi la foudre des plans structurels de la Banque mondiale et du FMI, dans les années 1980 et 1990. En quelques années, leurs funestes recommandations ont été suivies à la lettre. En échange du financement de ces institutions vampires, ces États ont dû démanteler tout ce qu’ils avaient pu construire de services publics et vendre leurs infrastructures à des entreprises privées, pour la plupart issues des anciens pays colonisateurs. Pour prendre l’exemple de la Sierra Leone et en nous limitant au problème qui nous occupe, 5 000 fonctionnaires de santé ont été renvoyés en trois ans et la masse salariale du ministère de la Santé divisée par trois au début des années 1990. Aujourd’hui, les systèmes sanitaires du Liberia et de la Sierra Leone sont exsangues. On y compte, respectivement, 1 et 2 médecins pour 100 000 habitants, quand, en France, on en compte 300. Ces deux pays dépensaient respectivement, en 2007, 39 et 32 dollars par an et par habitant en matière de santé (31 et 25,50 euros), quand la Guinée dépensait moins de 62 dollars (49,50 euros). La France de son côté dépense près de 5 000 dollars par an et par habitant (3 995 euros). De plus, la vétusté des infrastructures, notamment des routes, qui empêche toute action d’urgence, figure en bonne place dans les obstacles relevés par les ONG. Ces « ajustements », pour reprendre le pompeux euphémisme néolibéral, ont jeté ces pays dans la pauvreté endémique et préparé le terrain à des guerres civiles parmi les plus violentes qu’a connues le continent africain, combinées à une corruption structurante et à un trafic d’armes des plus lucratif.

C’est bien sur ces ruines qu’ont prospéré des terribles maladies, dont la malaria, la tuberculose, le paludisme, le sida, les nombreuses maladies liées à l’eau souillée et, désormais, le virus Ebola. Ces pays, parmi les plus pauvres et fragiles de la planète, mettront des années à se remettre de l’épidémie et de ses conséquences sur l’économie.

L’activité commerciale pâtit dès aujourd’hui de leur mise en quarantaine et de la fermeture de ports. L’ONU estime à 32,6 milliards de dollars (26 milliards d’euros) le coût de l’épidémie d’ici à la fin de l’année si celle-ci n’est pas contenue. Les peuples africains vont tenir une place de plus en plus importante dans notre humanité commune. Les aider à relever les défis sanitaires auxquels ils font face est un impératif humain. Encourager le développement des infrastructures d’assainissement, de transport, de services publics, par de nouvelles formes de coopérations est un devoir pour préparer notre avenir commun. Le terrible drame qui se joue là-bas nous le rappelle opportunément. Les aider, c’est faire progresser notre commune humanité.

Patrick Le Hyaric, eurodéputé du Front de Gauche, L’Humanité dimanche


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