6ème : La République du temps retrouvé

mardi 4 novembre 2014.
 

Par Clément Sénéchal, essayiste

Retrouver le temps de se retrouver. Voilà le mot révolutionnaire.

La délégation accordée, la belle tension du suffrage, s’est changée en dépossession à mesure que les institutions se sont éloignées de nous, et nous avons perdu la joie des batailles dans la bouillie des rancœurs. Les divers trucages de la société du spectacle ont changé les discours en mauvais tours, et nous avons perdu l’esprit des mots dans la fange des insultes. Les percées répétées du capitalisme ont disloqué la société, et nous avons perdu l’envie des autres dans le fer des identités. La jungle économique infiltrée partout a réduit l’horizon de nos vies, et nous avons perdu le goût du futur dans la quotidienneté poussiéreuse. Le règne étendu de la propriété privée a détruit les solidarités matérielles, et nous avons perdu le sens du travail collectif dans l’angoisse du tous contre tous. Le productivisme échevelé déplace le niveau des mers, mais nous avons perdu la faculté d’agir dans l’attente du déluge.

Nous ne savons plus où nous rencontrer. Ni pour quoi faire. Égarés dans un monde dérobé, nous nous dérobons à notre tour par le repli sur la sphère privée. Les imaginaires et l’espoir qui les stimule se sont défaits dans l’impuissance. À petit feu on crève de solitude devant nos télés. Le venin du cynisme et l’analgésique de la frivolité ont trop profondément contaminé les entrailles du dispositif politico-médiatique, le critique et le poétique ont perdu la partie. « Il n’y a pas d’alternative », clame le Leviathan jusque dans nos reins.

La Vème République est coupable.

Le présidentialisme a généré l’infantilisme et la superstition, laissant croire à la supériorité d’une vie singulière sur celles des autres. « Plus l’homme met en Dieu, moins il garde en lui-même », disait Marx. Nous ajoutons : « Plus l’homme met dans le Président, plus il perd de lui-même ». Irresponsable devant les chambres qui votent ses lois, irresponsable devant le gouvernement qui les projette, irresponsable devant le peuple qui s’y conforme, irresponsable devant la Justice, le président de la Vème République concentre sur sa figure monarchique la grande séparation du politique d’avec le peuple, du pouvoir d’avec ses sujets. La volonté générale achoppe sur celle d’un homme seul, englué dans les influences mondialisées du capital.

Dans ce régime, on peut trahir son mandat sans que rien ne se passe. On peut renier le résultat des référendums impunément. On peut faire semblant de s’affronter le temps d’une élection et mener la même politique sans protestations. On peut brimer la majorité sociale et rester sur le trône. Dans ce régime le pouvoir est en apesanteur, il n’est tenu à rien. Et nous sommes ses fantômes.

Pourtant la société bourdonne, les indignations crépitent et les résistances fleurissent. Se retrouver, c’est reconstituer le politique, réinstaller la multiplicité et la pluralité humaine au centre de la place publique. Cette place publique, c’est la Constituante. Se reconstituer, c’est remettre le pouvoir au centre du monde que nous habitons, remettre l’Histoire sur ses jambes, nous relier les uns aux autres par la médiation politique. Ecrire, penser, partager : c’est lutter déjà contre un système qui broie les consciences en nous abrutissant.

Il y a tant à discuter ! Des instruments nouveaux : le référendum révocatoire, le référendum d’initiative populaire, les pétitions législatives, le vote obligatoire… Tous les outils qui permettent d’assurer l’équilibre entre délégation et contrôle doivent être explorés. Des questions centrales : comment s’assurer que chacun devienne actif dans la République ? Comment s’assurer que la volonté du grand nombre, condensée dans le suffrage, ne soit pas tordue par la médiation institutionnelle ? Comment repousser la souveraineté du capital ? Comment préserver l’écosystème ? Comment restaurer des temps communs, partager nos richesses, rejoindre la vie commune ?

Bref, comment se retrouver dans un même avenir ?

En commençant déjà par se mettre en mouvement, ici et maintenant.


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