Présidentielles : on a encore oublié la culture !

samedi 24 février 2007.
 

Il y a deux mois, artistes et professionnels du spectacle s’inquiétaient de la faiblesse des propositions culturelles des candidats à la présidentielle (Le Monde du 1er décembre 2006). A neuf semaines du premier tour de l’élection, l’inquiétude a cédé la place au désarroi. La culture ne fait toujours pas l’objet d’un débat national. Et le silence des candidats devient pesant.

Comme pour combler ce vide, les initiatives se multiplient : appel, débats, lettres aux candidats... Afin de replacer « la culture dans les débats de l’élection présidentielle », la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) vient de créer un site (www.2007culture.org) qui présente le programme des partis, permet aux internautes de donner leur avis sur telle proposition et liste les principaux rendez-vous à venir.

Dès l’automne 2006, la revue culturelle Cassandre lançait un appel aux candidats, constatant « l’absence de véritable projet culturel » dans les différents partis. Quelque 1100 personnes ont signé la pétition : la philosophe Marie-José Mondzain, le sociologue Patrick Champagne, disciple de Pierre Bourdieu, des directeurs de théâtres, de simples citoyens, avec un profil « gauche de la gauche ».

Ce buzz parviendra-t-il à inverser la tendance ? On est de la situation qu’appelait de ses vœux Jacques Chirac, pas plus tard que le 31 janvier, lors de la célébration du trentième anniversaire du Centre Pompidou, à Paris : « Dans le débat (présidentiel) qui s’ouvre, il faut parler beaucoup de culture. Car la France ne serait pas la France sans une grande ambition culturelle » déclarait le président de la République, avant d’ajouter : « Soyons fiers de notre modèle (...) Les enjeux sont immenses, et le combat toujours à livrer pour que la culture ne soit pas abandonnée aux seules forces du marché. » Selon le chef de l’Etat, il appartient « d’abord à l’Etat » de « faire preuve d’audace et de ne pas hésiter à investir pour l’avenir ».

L’audace, on la cherche... Sur les cent propositions du pacte présidentiel de Ségolène Royal (PS), deux seulement concernent « la culture, levier de la réussite scolaire » : il s’agit de « soutenir la création et l’emploi culturels », et d’ « inscrire l’éducation artistique et la pratique artistique à tous les niveaux de la maternelle à l’université ». Le parti de Nicolas Sarkozy retient également deux propositions culturelles parmi ses « 92 priorités » : la mise en ligne des œuvres tombées dans le domaine public et la « gratuité totale dans les musées nationaux ». Chacun prévoit, « dans le mois à venir », son rendez-vous culturel de la campagne. François Bayrou (UDF) « dévoilera quelques mesures » lors de la journée de « dialogue avec les acteurs du monde de la culture », samedi 17 février, au Sénat. Le parti communiste, lui, propose de consacrer 1% du PIB à la culture, via une loi de programmation budgétaire. Etc.

« Le débat actuel n’est pas une fête intellectuelle... Mais la politique de Malraux ne figurait pas dans un programme », tempère le chercheur au CNRS Philippe Teillet, qui a rédigé une synthèse des propositions dans la revue de l’Observatoire des politiques culturelles (Articuler la culture à un projet de société, n°31). Donc, rien n’est joué. Au-delà des déclarations, les entourages des candidats travaillent dans l’ombre, ouvrent des pistes, espèrent qu’elles seront suivies.

D’où vient, quand même, ce désintérêt apparent ? Est-ce l’absence de marges de manœuvres en matière culturelle ? « Le poids des institutions nationales et souvent parisiennes sur le budget de l’Etat est tel que ses capacités d’interventions sont quasi inexistantes. A quoi bon imaginer l’avenir quand ce qui attend les futurs ministres est avant tout la gestion du passé ? » s’interroge Philippe Teillet.

Ou bien les candidats hésitent-ils à aborder des sujets qui divisent la profession ? La décentralisation culturelle, par exemple. Alors que les collectivités locales financent les deux tiers des dépenses culturelles, ne faut-il pas redistribuer les cartes et clarifier les relations entre l’Etat, les régions, les départements, les villes ?

Car, paradoxalement, jamais les enjeux n’ont semblé aussi essentiels : le droit d’auteur et le téléchargement d’œuvres sur Internet, la diversité culturelle, le financement de la culture (privé, public...), les difficultés du cinéma d’auteur, le rayonnement des artistes français à l’étranger. Ou encore le rôle de l’éducation artistique, qui fera l’objet d’un débat, au Théâtre de la Colline, à Paris, le 15 mars. « C’est toujours en bonne place dans les projets politiques, mais toujours de manière fumeuse », constate Jean-Pierre Loriol, président de l’Association nationale de recherche et d’action théâtrale, un des initiateurs de la rencontre.

Des questions autrefois taboues ont émergé, au lendemain de la crise des intermittents du spectacle, plus particulièrement autour du spectacle vivant : qui doit financer l’emploi culturel, comment résoudre le déséquilibre entre une offre de spectacles qui ne cesse d’augmenter et un public qui n’est pas toujours au rendez-vous ? Certains vont jusqu’à se demander : n’y a-t-il pas trop d’artistes ? « Il ne faut pas avoir peur d’aborder toutes les questions. En revanche, la remise à plat n’est pas sans risque, celui d’une tentation libérale. Refonder, c’est au contraire affirmer une ambition nationale », plaide Francis Peduzzi, nouveau président du Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles).

Sa lettre aux candidats, envoyée le 6 décembre 2006, a reçu quelques réponses -celle de François Bayrou (UDF), d’Arlette Laguiller (LO), de Ségolène Royal (PS) et de Dominique Voynet (Verts). « Je ne sais pas s’il faut parler de silence, tempère-t-il, donc. En 1995 et en 2002, la culture ne suscitait pas plus de débat. Sauf qu’à l’époque nous n’étions pas confrontés à la même urgence. Aujourd’hui, on arrive à une fin de cycle, l’après-Malraux, l’après-Lang. » Surtout, il observe « une souffrance » chez les artistes. Comme s’ils se sentaient moins considérés que par le passé. Comme si, au-delà des annonces, le monde de la culture attendait une parole symbolique.

Clarisse Fabre et Nathaniel Herzberg (Le Monde 15.02.07)


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