M. Hol­lande, vous êtes comp­table d’une cer­taine idée de la France qui se joue à Gaza

mercredi 20 août 2014.
 

Quand la vio­lence crée une spirale incon­trôlée et la mort de 300 civils inno­cents, la situation exige une réponse urgente et déter­minée ", viennent d’indiquer à bon escient le pré­sident du Conseil européen, Herman Van Rompuy, et le pré­sident de la Com­mission euro­péenne, José Manuel Barroso, au moment d’élever au niveau 3 les sanc­tions éco­no­miques contre la Russie. On ne sache pas que le pré­sident russe, Vla­dimir Poutine, où l’un de ses subor­donnés, ait donné l’ordre de faire sauter en vol le Boeing 777 de la Malaysa Air­lines. Il y a déjà huit fois plus de civils inno­cents mas­sacrés à Gaza, mais ceux-​​là soi­gneu­sement ciblés et sur l’ordre direct d’un gou­ver­nement.

Les sanc­tions de l’Union euro­péenne contre Israël restent au niveau zéro. L’annexion de la Crimée rus­so­phone déclenche indi­gnation et sanc­tions. Celle de la Jéru­salem ara­bo­phone nous lais­serait impa­vides ? Peut-​​on à la fois condamner M. Poutine et absoudre M. Néta­nyahou ? Encore deux poids deux mesures ?

Nous avons condamné les conflits inter­arabes et inter­mu­sulmans qui ensan­glantent et décom­posent le Moyen-​​Orient. Ils font plus de vic­times locales que la répression israé­lienne. Mais la par­ti­cu­larité de l’affaire israélo-​​palestinienne est qu’elle concerne et touche à l’identité des mil­lions d’Arabes et musulmans, des mil­lions de chré­tiens et Occi­dentaux, des mil­lions de juifs dis­persés dans le monde.

Ce conflit appa­remment local est de portée mon­diale et de ce fait a déjà suscité ses méta­stases dans le monde musulman, le monde juif, le monde occi­dental. Il a réveillé et amplifié anti-​​judaïsme, anti-​​arabisme, anti-​​christianisme (les croisés) et répandu des incendies de haine dans tous les continents.

Nous avons eu l’occasion de nous rendre à Gaza, où il existe un Ins­titut culturel français ; et les SOS que nous recevons de nos amis sur place, qui voient les leurs mourir dans une ter­rible solitude, nous bou­le­versent. N’ayant guère d’accointances avec les actuels pré­si­dents du Conseil et de la Com­mission euro­péens, ce n’est pas vers ces émi­nentes et sagaces per­son­na­lités que nous nous tournons mais vers vous, François Hol­lande, pour qui nous avons voté et qui ne nous êtes pas inconnu. C’est de vous que nous sommes en droit d’attendre une réponse urgente et déter­minée face à ce carnage, comme à la sys­té­ma­ti­sation des puni­tions col­lec­tives en Cis­jor­danie même.

Les appels pieux ne suf­fisent pas plus que les renvois dos à dos qui masquent la ter­rible dis­pro­portion de forces entre colo­ni­sa­teurs et colo­nisés depuis quarante-​​sept ans. L’écrivain et dis­sident russe Alexandre Sol­je­nitsyne (1918−2008) demandait aux diri­geants sovié­tiques une seule chose : " Ne mentez pas. " Quand on ne peut résister à la force, on doit au moins résister au men­songe. Ne vous et ne nous mentez pas, mon­sieur le Pré­sident. On doit tou­jours regretter la mort de mili­taires en opé­ration, mais quand les vic­times sont des civils, femmes et enfants sans défense qui n’ont plus d’eau à boire, non pas des occu­pants mais des occupés, et non des enva­his­seurs mais des envahis, il ne s’agit plus d’implorer mais de sommer au respect du droit international.

La France est bien placée pour initier un mou­vement des grands pays euro­péens pour la sus­pension de l’accord d’association entre Israël et l’UE, accord condi­tionné au respect de nos valeurs com­munes et des accords de paix sous­crits par le passé. De même pourrait-​​elle faire valoir qu’un cessez-​​le-​​feu qui débou­cherait sur un retour au statu quo ante, lui-​​même déjà into­lé­rable, ne ferait que contribuer au pour­ris­sement de la situation et donc au retour de l’insécurité pour les uns comme pour les autres.

L’enfermement complet n’est ni viable ni humain. Pourquoi la police euro­péenne ne pourrait-​​elle revenir sur tous les points de passage entre Gaza et l’extérieur, comme c’était le cas avant 2007 ?

Nous n’oublions pas les chré­tiens expulsés d’Irak et les civils assiégés d’Alep. Mais à notre connais­sance, vous n’avez jamais chanté La Vie en rose en trin­quant avec l’autocrate de Damas ou avec le calife de Mossoul comme on vous l’a vu faire sur nos écrans avec le premier ministre israélien au cours d’un repas familial. L’extrême droite israé­lienne vous sem­blant moins répré­hen­sible que l’extrême droite fran­çaise, à quelque chose cette incon­sé­quence pourrait être bonne : faci­liter les échanges et les pres­sions au nom de valeurs com­munes. Israël se veut défenseur d’un Occident ex-​​persécuteur de juifs, dont il est un héritier pour le meilleur et pour le pire. Il se dit défenseur de la démo­cratie, qu’il réserve plei­nement aux seuls juifs, et se prétend ennemi du racisme tout en se rap­pro­chant d’un apar­theid pour les Arabes.

L’école stoï­cienne recom­mandait de dis­tinguer, parmi les évé­ne­ments du monde, entre les choses qui dépendent de nous et celles qui ne dépendent pas de nous. On ne peut guère agir sur les acci­dents d’avion et les séismes – et pourtant vous avez per­son­nel­lement pris en main le sort et le deuil des familles des vic­times d’une catas­trophe aérienne au Mali. C’est tout à votre honneur. A for­tiori, un homme poli­tique se doit de monter en pre­mière ligne quand les catas­trophes huma­ni­taires sont le fait de déci­sions poli­tiques sur les­quelles il peut inter­venir, surtout quand les res­pon­sables sont de ses amis ou alliés et qu’ils font partie des Nations unies, sujets aux mêmes devoirs et obli­ga­tions que les autres Etats. La France n’est-elle pas un membre per­manent du Conseil de sécurité ?

Ce ne sont certes pas des Français qui sont direc­tement en cause ici, c’est une cer­taine idée de la France dont vous êtes comp­table, aux yeux de vos com­pa­triotes comme du reste du monde. Et il ne vous échappe pas que faux-​​fuyants et faux-​​semblants ont une cré­di­bilité et une durée de vie de plus en plus limitées.

Rony Brauman Ex-​​président de MSF, pro­fesseur à Sciences Po ; Régis Debray Ecrivain ; Chris­tiane Hessel Veuve de Sté­phane Hessel ; Edgar Morin Directeur de recherches émérite au CNRS


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