Des élections européennes aux nouvelles perspectives politiques

vendredi 27 juin 2014.
 

Pour tirer les leçons de l’ensemble de la séquence électorale qui vient de se terminer, des affaires à l’UMP, de la politique du gouvernement et des conséquences de tout cela sur la décomposition politique en cours à droite comme à gauche, il était nécessaire de prendre du recul. Et même ainsi, il est encore bien difficile de cerner précisément ce qu’il faut faire dans les mois à venir. C’est le temps du tâtonnement, il faut savoir le reconnaître.

Pas la peine de tourner autour du pot : nous avons été battus à l’élection européenne

Les électeurs qui s’étaient mobilisés, portés par l’espoir lors de l’élection présidentielle derrière la candidature de Jean-Luc Mélenchon, n’ont pas vu cette fois-ci la nécessité de se déplacer. Beaucoup a été dit sur les raisons de cette abstention. Il serait erroné et dangereux de l’analyser comme une progression du désintérêt pour la chose publique. En fait, dans le contexte actuel et pour les européennes après le déni du vote démocratique contre le TCE en 2005, nombre d’électeurs n’ont pas vu l’intérêt de se déplacer car ils ont pensé que leur suffrage ne servirait à rien, n’aurait aucun pouvoir sur la modification des politiques européennes. Quant à la frange d’électeurs qui avaient été convaincus par le programme écologique de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle, ils sont pour beaucoup retournés au vote EELV ou Nouvelle Donne cette fois-ci. Après, il y a tous les problèmes liés à l’image du Front de Gauche ces derniers mois, je ne vais pas développer plus ici car beaucoup a déjà été dit, et je pense que si les conséquences sont réelles, elles n’expliquent pas tout.

Dans une telle situation, la première tentation peut être « d’insulter notre électorat », d’un côté les classes populaires qui ne sont pas allé voter, de l’autre les classes moyennes « versatiles ». Pas de plus grande erreur. Il n’y aura pas de révolution citoyenne sans la majorité de la population. Ce n’est donc pas en se repliant sur « la classe ouvrière » parée de toutes les vertus qu’on trouvera la solution pour débloquer la situation. Pour recréer une dynamique, il faut non seulement convaincre les classes populaires, en retrait des élections mais aussi des mobilisations, de reprendre leur place dans le combat pour changer de société. Cela ne se fera pas d’un coup de baguette magique. Ce n’est pas par une incantation au retour sur le terrain -comme si nous l’avions abandonné !- ni à « l’immersion dans les masses », qu’on réglera la question du rapport de force. D’abord, pour ce qui est du PG, nous n’avons que 12 000 adhérents, fatigués à juste titre après 5 années intenses. L’époque où le PC avait des centaines de milliers d’adhérents avec un réseau dense d’organisations dans les communes populaires, de la jeunesse jusqu’aux retraités, est terminée. Et cela ne sert à rien de rêver de le reconstruire. Un seul parti politique ne pourra plus être l’organisateur principal des mobilisations. Sans oublier aujourd’hui le poids du FN et la montée des intégrismes religieux qui détournent nombre de citoyens de la lutte politique vers le conflit ethnique ou religieux.

Alors oui il faut résister, mais ce n’est pas la seule somme des combats de résistance qui renversera le système, pas plus d’ailleurs que des heures de débat à ressasser le bilan, sinon nous l’aurions renversé depuis longtemps. Il nous faut trouver l’alchimie entre combats au quotidien indispensables et initiatives politiques globales, articulant anciennes formes de résistances, syndicats et associations, et nouvelles formes qui peuvent apparaître dans la lutte. Mais pour le moment nous ne sommes pas en Espagne. Il n’y a ni mouvement des Indignés ni marées citoyennes en France.

La deuxième tentation est le repli sur soi, chacun sur nos partis, qui le PCF, qui le PG, etc., chacun étant évidemment le meilleur et le seul capable de reconstruire le rapport de force. Le repli sur soi amène à considérer que seules « les masses » sont « pures », que tout le reste est politicien. Ce type d’expérience se termine toujours de la même manière : le rabougrissement. J’ai vécu cela à une époque chez les Verts, je connais par cœur. Le NPA a aussi été victime de cette illusion qu’il pouvait se passer de tout le monde, de toute alliance politique. On voit où cela l’a mené.

L’isolationnisme ne mène nulle part, sauf au sectarisme.

En période de reflux, il faut au contraire ouvrir les portes, les fenêtres, humer ce qui se passe et être disponible pour toute recomposition, bien évidemment sans tomber dans l’aventure politique ni les combines politiciennes.

C’est ainsi que nous avons pratiqué après l’éparpillement des candidatures à la présidentielle de 2007 et le désastre électoral qui s’en est suivi ainsi que la démoralisation et les rancœurs. Cela a pris du temps, des appels par ci, par là, des rencontres. Nous étions tous motivés par la compréhension d’une urgence : si nous n’allions pas vers le rassemblement, vers la recomposition, la gauche française de transformation sociale allait subir le sort de la gauche italienne : elle allait disparaître de notre pays, laissant ainsi le champ libre au social-libéralisme. C’est ce qui a rendu évidente la création du Front de Gauche ainsi que celle du Parti de Gauche.

Aujourd’hui tout renforcement du front de forces antiaustéritaires est positif. Toute faille dans le dispositif PS de soutien au gouvernement est utile.

Nous ne pouvons pas rester isolés. Nous avons besoin de rassembler tous ceux qui rejettent maintenant la politique austéritaire, pas pour des raisons de basse cuisine politicienne mais parce que tout affaiblissement des capacités du gouvernement à imposer ses politiques libérales est positif pour la vie quotidienne de nos concitoyens. La marche vers un front politico-social passe aussi par l’élargissement du front politique.

Ils mettent du temps à se décider ? Certes, mais ne boudons quand même pas notre plaisir de voir que c’est parce que nous avons eu raison dès le début dans notre analyse sur ce qu’allait être la politique de Hollande, parce que nous n’avons eu de cesse de mener la bataille contre le « il n’y a pas d’autres solutions », montré que tous ceux qui luttaient pouvaient s’appuyer sur notre fermeté, notre cohérence, qu’aujourd’hui d’autres peuvent faire le pas sans avoir peur de se retrouver isolés.

Bienvenue donc à EELV qui a décidé de quitter le gouvernement.

Le débat fait rage aussi en son sein entre ceux qui, dans la perspective de la présidentielle de 2017, font feu de tout bois contre le gouvernement et ceux qui espèrent pouvoir négocier leur retour à un moment ou à un autre et encore plus le renouvellement de l’accord électoral qui les a faits sénateurs et députés. Il faut dire que leur sortie du gouvernement a été mal préparée car ceux qui l’ont décidée étaient convaincus que François Hollande, entre perdre les Verts ou s’obstiner à prendre Valls comme 1er ministre, allait choisir de garder les ministres Verts. Erreur d’appréciation qui a obligé Cécile Duflot à annoncer sa sortie sous peine d’être déconsidérée à tout jamais (encore que la politique soit le seul endroit où on voit des résurrections) à la grande fureur de ceux qui rêvaient d’être calife à la place du calife et en l’occurrence d’être ministre à la place de Cécile Duflot et Pascal Canfin.

Doit-on refuser de discuter parce que nous avons des désaccords importants sur certains dossiers ? Est-ce jouer le jeu traditionnel du système que de mener le débat politique ? Sommes-nous trop guidés par les élections et les négociations entre appareils ? Non. Ce qui importe ce sont les actes. Le conseil fédéral d’EELV a appelé à rejeter le collectif budgétaire. Ce n’est pas anodin.

Bienvenue de même à ceux qui au PS auront le courage de rompre.

Nous nous trouvons encore dans un entre-deux : une fraction de nos concitoyens ne veut plus rien savoir du PS, jusqu’à l’expression d’une haine d’autant plus forte que ce sont des électeurs qui ont voté pour François Hollande au second tour de l’élection présidentielle. Ils ont aussi souvent tendance à mettre toute la gauche dans le même sac : « gauche et droite c’est pareil, ils ne pensent qu’à eux, ils se moquent du peuple ». D’autres hésitent encore et restent attachés à l’idée de gauche. Il nous faut gérer cette contradiction au plus près et de la façon la plus fine possible : ni refuser le débat avec ceux qui hésitent ni apparaître comme uniquement préoccupés de manœuvres politiciennes.

Le fait que nous soyons présents dans les luttes sociales, démocratiques, écologiques est la meilleure démonstration de ce qui est notre priorité. Nous n’avons jamais fait passer les élections avant les luttes. Au contraire, nous avons à chaque fois utilisé les périodes électorales qui ouvrent de faibles lucarnes médiatiques : Jean-Luc Mélenchon l’a magistralement fait pendant la campagne présidentielle et nous l’avons de nouveau fait avec le soutien de nos listes autonomes municipales à chaque lutte locale avec laquelle nous étions en phase. Il nous faut marcher sur les deux jambes : luttes et résistances au quotidien d’un côté, bataille politique y compris dans les élections, de l’autre.

C’est parce que nous avons confiance en notre capacité à ne pas abandonner ce terrain que nous pouvons nous préoccuper aussi de la bataille politique. Les médias ne s’intéressent qu’aux petites phrases ? C’est vrai. Qu’y pouvons-nous ? Ce n’est pas en nous taisant que les médias vont faire des grands reportages sur nos combats au quotidien. Croire cela, c’est se faire de grandes illusions sur le rôle et la place des médias : ils sont au service du système, pour son maintien en place. Qu’il y ait des journalistes qui font bien leur boulot, qui informent sans distorsion ? Bien évidemment il y en a, mais malheureusement pour ce qui est des journalistes politiques des radios, télévisions et des quotidiens ils sont vraiment l’exception. Nous n’y pouvons rien, c’est ainsi. Refuser de leur répondre ? La tentation est souvent grande mais dans ce cas on laisse à d’autres le soin de parler pour nous et en général, pas en bien. Nous ne sommes pas sûrs qu’ils ne vont pas déformer nos propos en les coupant au bon endroit ou en les sortant de leur contexte ? Oui c’est vrai. Aucun choix n’est très satisfaisant. Alors nous faisons de notre mieux. Mais pour ce qui est du Monde, de Libération, du Nouvel Observateur, c’est quand même le microcosme politique, qui certes fait beaucoup parler dans les couloirs du parlement et des médias, avec cet entre-soi entre monde politique et monde médiatique, mais la grande masse de nos concitoyens ne lit aucun de ces journaux et ils ne perdent rien car le temps où cette presse était réellement de gauche relève d’un passé lointain. Aujourd’hui ce sont les meilleurs défenseurs du système.

Au niveau de sa direction, le PS a achevé sa mue de parti social démocrate en parti libéral. Il faut maintenant que cela soit intégré par tous les militants du Front de Gauche. Pour toute une génération qui a été formée dans la bataille du Programme commun, de l’Union de la Gauche puis de la Gauche plurielle, du désistement républicain, réaliser que l’époque des alliances avec le PS est terminée, c’est douloureux. Pour celles et ceux qui comme moi n’ont pas baigné dans cette culture, c’est évidemment plus facile. Les rythmes ne sont pas les mêmes selon les années de militantisme, la proximité avec le PS, le type d’insertion dans le monde du travail, les fins de mois plus ou moins difficiles.

Il faut maintenant que nous amenions les militants socialistes sincères à comprendre et à prendre acte de cette évolution et en tirer les conséquences. La seule différenciation du PS avec la droite traditionnelle porte dorénavant, non sur les questions sociales, sans même évoquer les questions économiques, mais sur les questions sociétales. Et encore il n’ose même pas tenir tête à la droite sur tout.

Il n’y a plus rien à attendre de l’appareil PS. Donc cela ne sert à rien de l’interpeller, cela fait perdre du temps, de l’énergie et sème la confusion. Le problème n’est pas de rassembler « la gauche » au sens mythique du terme. C’est terminé. C’est autre chose qu’il faut construire. PC et PG avancent la proposition d’un Front du peuple. C’est l’objectif.

En attendant, il y a des étapes, surtout dans une situation politique où le moins que l’on puisse dire est que nous ne sommes pas à l’offensive mais plutôt dos au mur. Malgré toutes ses imperfections, le Front de Gauche, cabossé, critiqué, objet de ressentiment, reste le seul outil que nous avons tant que nous n’arrivons pas à le dépasser en un front plus large, plus ancré à la base, avec plus de capacités de mobilisations citoyennes. Aujourd’hui nous en avons besoin pour organiser le soutien aux luttes car la réaction du gouvernement, à commencer par Manuel Valls, face au mouvement des cheminots est très significative : ayant réussi à casser toute éventuelle unité du mouvement syndical en se mettant la CFDT dans la poche, Hollande-Valls ont décidé d’aller au bras de fer contre la CGT et Solidaires. Et pour cela ils peuvent compter sur les chiens de garde du capital pour tromper les citoyens. En face, hélas, nous n’avons pas les mêmes moyens pour contrer cette misérable offensive contre les travailleurs même si nous faisons tout ce que nous pouvons pour soutenir les cheminots comme notre présence dans les rassemblements ou le tract du PG distribué dans toutes les gares. Ils n’hésitent pas non plus à utiliser la répression contre tous ceux qui résistent que ce soit la Confédération Paysanne, le DAL, les syndicalistes un peu partout et maintenant les intermittents. Quand j’écris cela, j’ai comme un goût amer dans la bouche car j’ai l’impression de réécrire ce que j’ai pu dire du gouvernement Sarkozy. Mais après tout ce n’est pas la première fois que la social-démocratie trahit la « gauche » : c’est un ministre de la SFIO, Jules Moch, qui envoya l’armée contre les mineurs en 1948 faisant 6 morts, de nombreux blessés et plus de 3 000 licenciements accompagnés de l’expulsion des logements. C’est un président du conseil SFIO, Guy Mollet, qui vota les pleins pouvoirs au général Massu pendant la guerre d’Algérie.

Mais au-delà du gouvernement ou de l’appareil PS, il reste encore des militants aux convictions socialistes profondément chevillées au corps. Il faut qu’ils comprennent que la ligne Hollande-Valls est maintenant bien installée, que le PS ne redeviendra pas social-démocrate et encore moins socialiste. Le PS français « de gauche » n’était qu’une queue de comète anachronique de l’ex social-démocratie européenne. Il est maintenant rentré dans le rang. Ces militants tiennent à mener la bataille politique à l’intérieur de leur parti. Mais ils doivent se préparer à en sortir car sinon ils vont s’épuiser et se démoraliser inutilement. Nous n’avons pas trop de militants qui veulent se battre pour changer la société, qui refusent le fatalisme, la soumission au système, le « il n’y a pas d’autres solutions ». Nous avons besoin que tous ceux-là restent militants et à un poste de combat qui soit utile.

Pour être sortie des Verts, je sais que ce n’est jamais facile de rompre le lien avec un parti auquel on a appartenu des années. Il y a les combats menés en commun localement avec les copains, on espère toujours que demain sera mieux, qu’on va pouvoir reprendre la majorité. C’est tellement éprouvant de reconnaître que tout cela est terminé. Je sais aussi que pendant ce moment de recherche, pour l’extérieur, la décision ne va pas assez vite et on est vite accusé de ne pas vouloir bouger pour garder sa place. Combien de fois pendant ces semaines où à plusieurs militants verts nous discutions sur ce qu’il y avait de mieux à faire, n’ai-je entendu "de toute façon elle ne va pas sortir, elle préfère rester au chaud, garder sa place de députée."

Oui une rupture politique est douloureuse. Nous-mêmes lorsque nous avons rompu avec les Verts nous avons pris le temps de construire notre sortie car nous ne voulions pas la concevoir comme une aventure personnelle, mais bien comme une démarche politique construite et utile. Les camarades qui ont quitté le PS pour créer le PG ont fait de même, ils ont pris le temps de préparer leur projet pour le lancer dans les meilleures conditions. Certes la situation est différente aujourd’hui puisque le Front de Gauche existe et que donc toute rupture avec le PS ne rend pas orphelin. Mais on peut comprendre que l’état du FdG aujourd’hui fasse hésiter. Pourtant déjà certains ont commencé à rompre les amarres, responsables de section, élus locaux ou le délégué d’Homosexualité et Socialisme (HES) par exemple. Cela ne sert à rien de mépriser les camarades qui ont du mal à franchir le pas, il faut leur tendre la main. Mais l’attente ne pourra pas durer des mois : les semaines à venir vont être décisives avec le vote du collectif budgétaire.

Que ce soit EELV ou les députés PS qui élèvent la voix depuis plusieurs mois, les deux vont devoir choisir : ce lundi 23 juin commence à 16h le débat sur la loi de finance rectificative suivi la semaine suivante de celui sur le financement de la sécurité sociale, donc l’application concrète de la politique d’austérité et des 50 milliards de baisse des dépenses publiques. Le vote qu’ils feront sera regardé de près et déterminera la suite.

Mais je ne voudrais pas que certains pensent que seules ces batailles politiques me préoccupent. J’ai dit pourquoi elles ne me semblaient pas anodines et pourquoi il fallait les mener.

Mardi j’étais au rassemblement des intermittents, hier à celui des cheminots. La tâche de la semaine c’est le soutien sans faille à ces deux luttes, notamment avec la présence demain à Paris à la manifestation interprofessionnelle. Puis la participation à la journée de grèves et de manifestations de toutes les professions en colère appelée par la CGT le jeudi 26 juin car comme le dit la CGT, des mobilisations se développent également dans les secteurs des transports, électriciens et gaziers, de la santé, et de l’industrie pharmaceutique, services publics, etc."

Puis le 1er juillet tous à Amiens pour soutenir les militants de la Confédération Paysanne en butte à la répression pour refuser le projet de la ferme des mille vaches et les 5 et 6 juillet à Notre-Dame-des-Landes


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